Lévothyrox, l’affaire qui doit remettre le patient au cœur de la santé

Un avant et un après Lévothyrox

Par Frantz Lecarpentier -  Co-fondateur de Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Théragora le 21 mai 2018 N° 09 - Page 0 - crédits iconographique Frantz Lecarpentier

Il est beaucoup trop tôt pour commenter une affaire qui se déroule sous nos yeux. Un premier enseignement s’impose néanmoins : il y aura un avant et un après Lévothyrox. Avec à la clé la nécessité de tenir (enfin) compte de l'avis des patients.

 

Lévothyrox. Voilà des mois que ce traitement des troubles de la thyroïde défraie la chronique. Et pour cause! En France, cette hormone thyroïdienne était dispensée à environ 3 millions de patients, en mars 2017; soit 5% de la population. Un chiffre conséquent, mais qui doit surtout retenir l'attention pour avoir été multiplié par quatre en vingt ans... Et permettre ainsi au Lévothyrox de devenir l'un des médicaments les plus prescrits par les médecins en France.

Le feuilleton Lévothyrox retient aussi l'attention par ses multiples rebondissements. Dernier en date: l'interview accordée à France Télévision, début mai 2018, par un pharmacien ancien collaborateur au sein du département de recherche du laboratoire fabricant le fameux médicament. Un témoignage saisissant car il dénonce l'omerta qui règne sur cette affaire et en particulier sur le fait que le laboratoire Merck aurait su que l'acide citrique annihilait les effets de la lévothyroxine.

 

Rappel des faits

Pourquoi alors, avoir voulu modifier la formule du Lévothyrox? C'est là une question centrale de cette affaire dont les faits méritent d'être rappelés. En 2012 l’ANSM (Agence Française de Sécurité  du Médicament) demande au laboratoire Merck, fabriquant du médicament de modifier la formule de son produit. L’Euthyrox, nom commercial du Lévothyrox, aurait en effet parmi ses excipients du Lactose.  Or ce lactose rendait la formule instable sur une période de trois ans.

Le lactose est en outre réputé être un excipient à effet notoire. Certaines populations, comme les chinois, sont ainsi souvent allergiques au lactose, ce qui va, bien évidemment donner court à  certaines hypothèses reprises dans la presse, la modification de formule aurait eu pour objet de satisfaire au « marché chinois ».

La théorie du grand complot mondial n’est jamais loin. Surtout avec la taille du marché chinois. Le prix moyen de la boîte de 28 Lévothyrox est de 2,58 € en France. Il suffit donc de faire le calcul sur le marché asiatique pour se rendre compte des enjeux, puisque 5% de malades potentiels sur 1,3 milliard d’habitants en Chine, pourraient bénéficier d'un traitement à vie. Il y a donc de quoi affoler les compteurs.

 

 

Pas un mot sur le lactose

Pour remplacer ce lactose qui pose problème, Merck a mis à la place du manitol, de l’acide citrique anhydre et de l'amidon de maïs, croscarmellose sodique, de la gélatine et du stéarate de magnésium. Ces 4 derniers produits sont déjà présent dans l’Euthyrox. L’édition du Vidal 2010 consulté nous informe page 1190 qu’au chapitre "contre-indication absolue ou relative, mises en garde, précautions d’emploi, interactions et effets indésirables" : pas un mot sur le lactose. Cette nouvelle formule avec de l'acide citrique a  déjà été testée par des fabriquants de génériques. Pour changer sa formule, c’est un peu comme si, Lévothyrox s’était génériqué lui même en changeant juste l’excipient. Sur le papier, jusque là tout est dans les clous.

 

Absence totale de communication

La première autorisation de mise sur le marché (AMM)  en France remonte à 1980. Les autres AMM, en fonction des dosages, se sont étalées entre 1982, 1988 et 1999. Il s'est donc écoulé 32 ans entre 1980 et 2012 sans que le lactose ne pose problème Question en corollaire, combien d’effets indésirables de cette formule avec le lactose en excipient ont été signalés, par an, aux autorités sanitaires  ?

La suite est connue. Le Lévothyrox nouvelle formule arrive sur le marché en mars 2017, sans que personne ne soit informé dans la chaîne  de santé : ni les médecins, ni les pharmaciens, ni les patients.

Malgré cette absence totale de communication, les patients ont tout de suite perçu le changement de formule. Les plaintes ont été massives :  perte ou prise de poids, chutes de cheveux, altération de l’humeur, désir de suicide… Pour la première fois et plutôt rapidement, les pouvoirs publics ont été obligés de reculer  et de remettre sur le marché un produit retiré en procédant à des importations depuis l’Allemagne.

 

Des milliers de plaintes

Ce recul des autorités est une réponse à la colère légitime des patients. En fait il s’agit bien d’une révolte-patient. En très peu de temps on a pu voir des patients - surtout des femmes - s’organiser via les réseaux sociaux pour trouver des filières, qui en Espagne, qui au Liban ou au Luxembourg pour se fournir en Lévothyrox devenu introuvable dans l'Hexagone.

Les pharmaciens se sont retrouvés en première ligne pour répondre  à des patients qui leur décrivaient tous la même chose.  Les médecins pas plus informés ont dû revoir les dosages de leurs patients avec la nouvelle formule, car dans cette pathologie le dosage et la prescription doivent être particulièrement affinés. En quelques mois, des milliers de plaintes ont été enregistrées : 17310 signalement incomplets  au 30 octobre 2017 dont seul 1745 signalements exploitables. Ce qui en termes d’alertes explose tous les compteurs.

Résultat des courses, un peu plus d’un an après cette catastrophe industrielle, l’Association Vivre sans thyroïde estime que Levothyrox nouvelle version aurait perdu 1/3 de son marché au quatrième trimestre 2017 au profit d’autres médicaments (Euthyrox Merck, Henning, Thyrofix, TCAPS, L-Thyroxin, Eurthyral…). L’association Vivre sans thyroïde avance le chiffre d’un millions de personnes qui se sont donc détournés du produit que les pouvoirs publics et le laboratoire Merck voulaient imposer.

 

Des questions qui tombent en rafale

Comment les pouvoirs publics et le laboratoire Merck ont ils pu être aussi absents dans la communication et l’information sur le changement de formule de ce produit ? Et surtout pourquoi ce changement ? Combien de temps faudra t-il aux pouvoirs public pour réaliser que le patient n’est pas un client ni une entité un peu douillette juste victime de l’effet nocebo ?

Il ne faut pas oublier que cette pathologie touche très majoritairement des femmes à qui la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui est médecin, a expliqué qu’il faudrait bien qu’elles s’habituent à cette nouvelle molécule.

Annie Duperey  atteint de cette maladie était monté au créneau médiatique pour plaider, avec un brin d’humour, la cause des patients résumé à ce problème de « bonne femme ». Bref des emmerdeuses et des hystériques. Un médecin à pu dire à une mes amies, et elles ont été nombreuses à l’entendre,  « Vous lisez et vous croyez tout ce que vous voyez sur internet… C’est l’effet nocebo [sous entendu, « ma pauvre fille tu n’es qu’une gourde et tu nous ennuies des avec tes hormones »] ». Circulez !

 

32 millions dépensés

Pourquoi les pouvoirs publics annoncent-ils qu’à  fin 2018 l’Euthyrox  va être retiré du marché français ?

Si les pouvoirs publics voulaient organiser la contrefaçon de ce médicament, il ne s’y prendrait pas autrement. Il suffit d’interroger autour de vous pour trouver rapidement des patients qui sont sortis du circuit pharmaceutique français pour aller s’approvisionner à l’étranger ou bien plus dangereux  sur internet quand on sait que 50 % des ventes de médicaments sur le web sont des contrefaçons. Les faussaires sont déjà au travail.

Alors, pourquoi ne pas mettre sur le marché les deux formules : Lévothyrox nouvelle formule et Euthyrox ancienne formule ?

Le laboratoire Merck annonce qu’il a dépensé 32 millions d’euros pour changer sa chaîne de fabrication et qu’il ne veut pas revenir en arrière (en rappelant à chaque fois que c'est à la demande de l'ANSM qu'il a changé de formule) . Et le million de patients qui sont allés voir ailleurs si l’herbe était plus verte et qui, pour certains, se sont posés la question de la nécessité de leur traitement…

 

Catastrophe pour le patient

A choisir entre un produit avec du lactose qui rend le médicament instable mais dont les remontées en matière d’effets indésirables ont été très faibles depuis la date de sa mise en exploitation (1980) et la nouvelle formule à base de manitol et acide citrique qui donnent des des troubles majeurs aux patient-e-s le choix est vite fait.

Une autre question s'impose: quel est le comité d’expert à l’ANSM qui a décidé d’imposer ce changement de formule chez Merck en 2012 ?  Pourquoi seulement maintenant  si le lactose pose autant de problèmes ?

Et enfin pourra t-on connaitre les chiffres de la sécurité sociale pour connaître le surcoût de consultations  engendrées par ce qui est pour le laboratoire une catastrophe industrielle, et pour les pouvoirs publics une catastrophe sanitaire au moins sur le plan de la de communication. Mais surtout une catastrophe pour le patient qui est la victime de cette affaire.

 

Moratoire

L’image de l’industrie pharmaceutique est assez mauvaise comme ça. Avec l'affaire du Médiator et tous les grands scandales de ces 40 dernières années qui ont secoué l’industrie pharmaceutique, il est inutile d'en rajouter.

Un moratoire s’impose. L’obstination à vouloir arrêter l’Euthyrox à fin 2018 pourrait être la plus mauvaise solution.

Il est urgent de faire machine arrière toute, et d’écouter les patients. La France a semble t-il essuyé les plâtres d’un marché qui est planétaire et colossal en terme de chiffre d’affaire. Que les industriels et les autorités de santé le comprennent bien: il va falloir composer avec les patients, avec les associations de patients et, progrès ou pas, avec les réseaux sociaux qui accélèrent l’information. Dans cette affaire en cours, les patients ont montré leur force au delà même des association. Et Annie Duperey un formidable catalyseur.

Il convient aussi de s'interroger sur les 3 millions de patients sous Lévothyrox avec une progression constante et spectaculaire de prescription en 20 ans. Combien en ont réellement besoin ?  C’est une question que seul le patient peut résoudre avec son médecin. Avec ou sans lactose ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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