Jeannick Tarrière, fondatrice du cabinet d'analyse stratégique Trait d'Union revient sur la genèse du texte issu de la commission mixte paritaire

Résiliation des couvertures santé : fin des tirs croisés au Parlement

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Théragora le 19 mai 2019 N° 21 - Page 0

Réunis en commission mixte paritaire, mercredi 15 mai, députés et sénateurs ont fini par trouver un accord sur la proposition de loi relative au droit de résiliation sans frais des contrats de complémentaire santé. Cette nouvelle loi donnera droit aux assurés - particuliers comme entreprises - de résilier sans frais et à tout moment après la première année de souscription, leur contrat de complémentaire santé (individuel ou collectif). Récit du parcours d’une mesure législative qui a quitté le giron institutionnel pour s’installer dans le débat public.

 

 

Fin des débats. Mercredi 15 mai 2019, les parlementaires réunis en commission mixte paritaire (CMP) sont tombés d'accord : particuliers comme entreprises pourront résilier sans frais et à tout moment après la première année de souscription, leur contrat de complémentaire santé. La disposition entrera en vigueur dès le 1er décembre 2020 sans attendre le renouvellement automatiquement annuel du contrat.

Les parlementaires ont par ailleurs, imposé aux organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) d’afficher le taux de redistribution des contrats, plus parlant que les frais de gestion et d’acquisition. Les organismes complémentaires qui présentent de bons taux de redistribution, pourront enfin quitter le champ de l’institutionnel pour rejoindre le cadre porteur de la transformation.

 

L’engagement collectif des acteurs confronté aux chiffres

A l'image de la commission mixte paritaire qui a dû être réunie pour aboutir à un consensus, cette disposition législative a mis du temps pour devenir réalité. Près de deux ans, depuis qu'Emmanuel Macron a fait du reste à charge zéro (RAC 0) son cheval de bataille pour améliorer l’accès aux soins, lors de la campagne présidentielle de 2017.

Dès la fin 2017, les concertations sont lancées auprès de différents acteurs visant à traduire dans les faits l’engagement présidentiel de proposer aux Français une offre de soins sans reste à charge dans l’optique, les prothèses en dentaire et audioprothèse.

Rendus fin mai-début juin 2018, les arbitrages sont officiellement annoncés, lors du 42ème congrès de la Mutualité Française, organisé à Montpellier, du 13 au 15Juin 2018. Le 9 juin, la réunion de la Direction de la Sécurité Sociale (DSS) formalise des avancées majeures sur le RAC 0, tout en butant sur la lisibilité des contrats.

 

Progression des cotisations aux complémentaires trois fois supérieures à l'inflation

UFC Que choisir laisse échapper son courroux et fustige les OCAM qui vont voir leur rôle encore se renforcer avec les évolutions envisagées. La veille de l'annonce d'Emmanuel Macron sur la concrétisation du reste à charge zéro, l'association de consommateur dénonce les nombreuses défaillances du secteur et l'opacité des tarifs de ces organismes. Un pavé dans la mare et au mauvais moment.

L’étude tombe d’autant plus mal que le ministère de la Santé veut mettre à contribution les complémentaires sans qu’elles augmentent leurs tarifs. L’UFC-Que choisir révèle une hausse des cotisations trois fois supérieure à l’inflation. « La cotisation moyenne à une complémentaire santé s’élève en 2017 à 688 € par an, soit 47 % de plus qu’en 2006. Les cotisations complémentaires ont ainsi progressé trois fois plus vite que l’inflation sur la dernière décennie ».

 

Dépenses hors de contrôle

Dans le prolongement des critiques de la Cour des comptes, l’association de consommateurs dévoile l’inquiétante dérive des frais de gestion et de communication « Les organismes complémentaires ont dépensé 7,2 milliards d’euros en 2016 pour leurs frais de gestion, soit 20 % des cotisations hors taxes. Sur ce total, plus de 2,8 milliards d’euros ont été consacrés aux frais d’acquisition, notamment en publicité et communication. Sur certains contrats, c’est même plus.

Et ces dépenses semblent hors de contrôle : depuis 2010, les frais ont augmenté deux fois plus vite que les remboursements accordés aux assurés ! ».En moyenne, seulement 70 % des cotisations reviendraient à la communauté des assurés sous forme de prestations, et même 66 % pour les contrats individuels, selon le rapport. "Pour les contrats avec le plus de frais, le taux de redistribution des cotisations descend même sous les 50 % : moins d'un euro cotisé sur deux revient alors aux assurés", affirme Alain Bazot, président de l'association.

 

"Pognon de dingue des minimas sociaux"

Les chiffres sont repris partout et installent l’idée que la réforme du reste-à-charge zéro va pousser à la hausse, les cotisations des complémentaires-santé. L’UFC-Que Choisir profite de cette exposition médiatique pour rappeler au gouvernement ses engagements en faveur d’une intensité concurrentielle renforcée et demande :

  • - l’encadrement par la réglementation de la lisibilité et la comparabilité des offres d’assurance complémentaire santé ;
  • - la publication de l’arrêté prévu par la loi Hamon (2014), pour que soit publiée dans les brochures d’assurance santé une liste standardisée de remboursements, exprimés en euros ;
  • - une meilleure transparence sur les frais de gestion, avec en particulier une information sur le taux de redistribution disponible avant la souscription.

L’après-midi de ce 12 Juin, le cabinet d’Agnès Buzyn envoie une note aux rédactions, précisant que dans le prolongement du discours du Président de la République, la signature des accords sera suivie d’un point presse en présence de tous les signataires qui pourront répondre à toutes leurs questions. A la même heure, Emmanuel Macron réunit les membres de son cabinet pour finaliser le discours en vue du Congrès de la Mutualité.

A minuit, sa responsable de la communication publie une vidéo montrant le chef de l’Etat dissertant devant ses collaborateurs, sur «le pognon de dingue» que le pays consacre aux minima sociaux. Le Buzz est immédiat. «Il fallait faire monter le sujet, attirer l’attention coûte que coûte. A côté de la tragédie de l’Aquarius, le congrès de la Mutualité ne faisait pas le poids. L’annonce du reste à charge zéro risquait de passer inaperçue» tentera d’expliquer un responsable de la communication d’un ministre du gouvernement Philippe dans Libération.

 

Des chiffres qui confrontent les acteurs à l’opinion publique

Le lendemain, dans une ambiance tendue, émaillée de quelques sifflets dans le public, le chef de l’Etat, rappelle aux mutualistes qu’ils se sont engagés à prendre leur part dans la couverture de ce panier 100 % santé. « Cette réforme ne saurait engendrer d'augmentation spécifique du coût d'acquisition d'une complémentaire santé pour les assurés, c'est l'engagement collectif que nous avons pris et il n'y a pas dans cette affaire, de marché de dupes....J'ai vu les polémiques naissantes, pas sur cet accord mais sur le passé, l'augmentation de certaines complémentaires, c'est l'engagement de la responsabilité collective des acteurs qui permet de maîtriser les coûts, ce que vous avez su faire dans plusieurs secteurs. C'est aussi la transparence complète, la concurrence sainement organisée qui permet d'éviter les pratiques dont les premières victimes sont nos concitoyens.».

Si le mécanisme de résiliation n’est pas directement évoqué, il est pour le moins suggéré. Plus de six mois après, le 18 Décembre 2018, les OCAM ne sont toujours pas à la fête. Conviés vers midi, au ministère de la Santé, dans le cadre du premier comité de pilotage sur la réforme du RAC 0, leurs représentants sont ensuite, convoqués à l’Élysée, dans le cadre de la mobilisation autour de l’urgence économique et sociale décrétée à la suite du mouvement des "gilets jaunes".

Au cours de cette réunion, le chef de l’État leur demande d’annoncer sous 48 heures, des mesures concrètes pour le pouvoir d’achat de leurs assurés. La possibilité d’introduire une résiliation infra-annuelle des contrats est explicitement évoquée. Le communiqué de presse publié par les services de l’Elysée, le mentionne expressément.

 

"Sabotage politique"

Dès le lendemain, l’UFC-Que Choisir rend publiques les premières tendances alarmantes de l’envolée des cotisations pour 2019. Puisqu’aucun indicateur officiel d’évolution des primes pour 2019 n’existe, l’UFC-Que Choisir a lancé un appel à témoignages pour recueillir des avis d’échéance 2018 et 2019. L’exploitation des premiers résultats montre « que dans la moitié des cas examinés, les assurés se sont vus notifier une augmentation de prime pour 2019 supérieure à 4 %, avec pour certains répondants une inflation qui dépasse même les 20 %.

La cotisation moyenne va ainsi franchir la barre des 700 €, et beaucoup plus pour les personnes âgées (jusqu’à 2000 € par personne et par an) ». En constatant que certaines complémentaires santé prennent prétexte de la réforme à venir du RAC 0 pour justifier leurs hausses de prix en 2019, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qualifie cette attitude, de « sabotage politique ».

L’association de consommateurs exhorte les décideurs à ne pas croire « aux promesses de Gascons », des complémentaires santé, y compris quand ils annoncent qu’aucune hausse de tarif ne sera liée au reste-à-charge zéro sur l’optique, le dentaire et les audioprothèses. « Les motivations des augmentations de cotisations ne sont pas détaillées aux assurés ; il suffira donc de leur dire que le tarif s’envole pour d’autres motifs, pour que la promesse soit tenue. Commode ! De même, l’engagement de maîtrise voire de diminution des frais de gestion laisse pantois.

 

Rupture de confiance annonciatrice d'une augmentation des frais de gestion

Si on ne peut que partager l’objectif, puisque notre récente étude montrait qu’ils s’élèvent en moyenne à 20 % des cotisations et qu’ils augmentent deux fois plus rapidement que les remboursements, annoncer cela sans objectif chiffré, ni contrôle, relève du bonneteau. Un jeu dans lequel les complémentaires santé excellent, puisqu’elles n’ont jamais respecté leurs engagements de 2010 sur la lisibilité.

Début janvier 2019, le Gouvernement annonce son intention de déposer un amendement dans le cadre de l’examen de la loi Pacte prévoyant la possibilité de résiliation infra-annuelle pour les contrats santé et prévoyance, dans le secteur individuel tout comme dans le secteur collectif. Le 18 Janvier 2018, le centre technique des institutions de prévoyance (CTIP) publie un communiqué de presse au ton inhabituel. Evoquant une rupture de confiance sur la forme et la méthode employée, le CTIP annonce en creux une augmentation des frais de gestion.

 

Concurrence accentuée en matière de couverture complémentaire santé

Arguant de cet aveu, l’UFC–Que Choisir demande aux Sénateurs d’adopter, dans la loi PACTE, la résiliation à tout moment de l’assurance santé pour permettre de contenir enfin les cotisations et appelle par ailleurs le gouvernement à une action résolue sur la comparabilité des contrats. Deux sénateurs du groupe Les Républicains (LR) Christine Bonfanti-Dossat et Philippe Dallier, déposent chacun un amendement à la loi Pacte, réclamant la résiliation à tout moment sans retenir l’attention des organismes de complémentaire santé.

Quand fin janvier, le ministère de la santé confirme que la résiliation infra-annuelle en santé, ne sera pas discutée dans le projet de loi Pacte, certains croient au répit, il sera de courte durée. Philippe Dallier n’a pas abandonné son projet d’amendement. Le 6 Février 2019, Gilles Le Gendre et ses collègues de la majorité, déposent à l'Assemblée nationale une proposition de loi visant à donner la possibilité aux assurés - particuliers pour les contrats individuels et entreprises pour les contrats collectifs -, de résilier sans frais et à tout moment après la première année de souscription, leur(s) contrat(s) de complémentaire santé. L'objectif des auteurs de ce texte est de permettre aux assurés de "bénéficier d'une concurrence accentuée en matière de couverture complémentaire santé".

 

Favorable à titre personnel au mécanisme de résiliation

La commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, au cours de la réunion du mardi 19 février 2019, nomme le député LREM Dominique Da Silva au poste de rapporteur de la proposition de loi. Inconnu de tous, sa fiche Wikipédia et son numéro de portable seront rapidement partagés. Malgré les réserves de plusieurs députés LREM, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale adopte le texte.

Plusieurs nouveaux amendements portés par le rapporteur du texte, viennent ensuite renforcer le texte. Parmi ceux-ci, un amendement qui ressemble en tous points à la revendication de l’UFC – Que Choisir vise à obliger les complémentaires santé à indiquer le taux de redistribution des cotisations collectées par catégorie de contrat. La proposition de loi qui comportait à l'origine quatre articles, en contient trois de plus à l'issue de son examen par l'Assemblée nationale.

Le 10 avril 2019, la commission des Affaires sociales du Sénat détricote le texte de l’Assemblée nationale. Au cours de cet examen, les sénateurs adoptent la suppression des articles 1, 2 et 3 de la PPL - supprimant de facto la possibilité de résiliation infra-annuelle pour les contrats collectifs ou individuels. Cependant, le groupe Les Républicains (LR) majoritaire au Sénat, apparaît divisé. Avant de passer à l'examen des articles, le président de la Commission, Alain Milon se déclare à titre personnel, pour ce mécanisme de résiliation.

 

Faire entendre la voix de la raison dans l’hémicycle

Conformément à la procédure parlementaire, le 29 Avril, la commission sénatoriale tient une nouvelle réunion lui permettant de se prononcer sur les amendements déposés sur le texte de la commission en vue de sa discussion en séance. Dans la liasse d’amendements, il y a l’amendement de rétablissement des articles supprimés du rapporteur Michel Amiel, déposés en son nom personnel et celui de Philippe Dallier, sénateur LR qui rétablit l'essentiel des dispositions du texte initial.

Le jour de l’examen en séance de la proposition de loi, UFC-Que Choisir appelle les Sénateurs à faire entendre la voix de la raison dans l’hémicycle, en adoptant cette réforme utile tant pour le pouvoir d’achat que pour l’accès de tous aux soins. S’alignant sur la sortie du Grand Débat, l’association précise que « Parmi tous les assurés, les retraités seraient les grands gagnants de la réforme avec des économies massives (jusqu’à 1370 € par an pour un couple) ».

À rebours du texte adopté en commission des Affaires sociales, les sénateurs adoptent l’amendement de Philippe Dallier et rétablissent en séance publique, le mécanisme de résiliation qu’ils avaient supprimé 15 jours plus tôt. L’amendement du Gouvernement imposant la publication du taux de redistribution est lui aussi adopté. Le 15 mai 2019, les parlementaires de LaRem se félicitent de l’accord trouvé entre sénateurs et députés en commission mixte paritaire. « C’était une promesse présidentielle d’Emmanuel Macron. Elle est tenue et créé de nouveaux droits attendus de longue date par de très nombreux Français ».

Pour les nombreux organismes complémentaires qui pourront afficher des taux de redistribution, dignes de la confiance de leurs adhérents, cette disposition permet de clore une période de plus de neuf années de relations tendues avec les pouvoirs publics qui ont souvent tournés au bras de fer avec les parlementaires au sujet des frais de gestion.

Lire le communiqué de presse de La République en Marche

 

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