Eisai,une culture d’écoute

Par Jacques Busseau -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2002 - Visite Actuelle N° 79 - Page 19

4 ans après son arrivée sur le marché français, Eisai vient tout récemment de quitter son statut de “laboratoire monoproduit” à travers un rachat qui devrait lui permettre de s’imposer quantitativement après avoir acquis l’image qualitative d’un laboratoire éthique, à l’écoute à la fois des médecins, des malades et de leur environnement.

 

Eisai est un jeune laboratoire pharmaceutique. Son histoire commence au Japon il y a tout juste 60 ans et se limite durant plusieurs décennies au sud-est asiatique. Au début des années 90, son chiffre d’affaires atteint 2 milliards de dollars, mais le marché japonais -le 3e du monde- commence à stagner et à souffrir de baisses de prix. Eisai pense alors à s’internationaliser, ce qui passe à la fois par une réorientation de sa recherche vers la mise au point de produits à potentiel global et par une politique de partenariats afin d’aider cette globalisation. Le premier accord se fait avec Pfizer sur le produit Aricept® (traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer), commercialisé aux Etats-Unis et en Europe à partir des années 1997-98. Selon les termes de l’accord, Eisai possède l’AMM pour les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et l’Angleterre ; et partage la commercialisation avec Pfizer. Aricept® est licencié à Pfizer dans les autres pays.

Aujourd’hui 4e laboratoire japonais, 26e laboratoire mondial, Eisai réalise un chiffre d’affaires de 3 milliards de dollars, regroupant quelque 7 000 collaborateurs dans le monde.

Pour l’avenir, il y a bien évidemment le pipe-line qui dispose de 3 grands produits à moyen terme –un produit en phase 2-3 destiné aux cancers de la prostate, du colon, des poumons non à petites cellules et du pancréas, un produit en phase 2 doté d’une action d’inhibition enzymatique dans la sclérose en plaques, enfin un troisième dans le choc septique- mais aussi la volonté, très récente, d’une croissance externe comme le prouve l’exemple français (voir encadré).

 

Le concept hhc

Recherche et production sont basées au Japon, mais il faut noter que la fabrication d’Aricept® pour la France et l’Europe est effectuée près d’Amboise dans l’unité Pfizer.

La France, Eisai en découvre le marché fin 1997. C’est alors une création –on part de zéro “dans les sous-sols de la Tour Manhattan à la Défense”- en s’appuyant sur un seul produit, Aricept®, en co-promotion avec Pfizer.

Le Symposium de lancement se déroule le 14 novembre 1997, dans la Galerie des Batailles à Versailles, avec l’image très volontaire, “Ferrarissimo”, du cheval cabré. De la volonté il en a certainement fallu. “Le fait d’être monoproduit rend la situation assez inconfortable, souligne Paul Cadre, Pdg fondateur de Eisai SA, mais dans le même temps l’équipe entière est concentrée sur ce produit ; nous étions condamnés à réussir, donc à faire preuve de rigueur et de créativité”.

Par ailleurs, la culture japonaise repose sur la vision à long terme. Ce dont bénéficiera la filiale française. “Nous ne sommes pas pressés par l’actionnaire, poursuit Paul Cadre, même si le laboratoire est coté à la Bourse de Tokyo, même si nous devons faire des profits, comme toute entreprise. Ce qui donne dès lors la possibilité de développer une approche à la fois originale et éthique, comme celle du hhc (human health care). Ce concept hiérarchise en quelque sorte notre stratégie d’environnement, dans la mesure où il nous amène à nous centrer sur le médecin, le malade et la famille, en considérant que le profit viendra justement de cette référence aux fondamentaux de notre métier”.

Devançant ce que prônait récemment le président du SNIP -“lorsqu’on demande une reconnaissance il faut savoir s’engager”- Eisai a su s’intégrer dès le départ au monde de la santé, entre décideurs et malades. “D’autant, insiste Paul Cadre, que la maladie contre laquelle nous nous battons est une maladie sociale, sociétale, qui concerne autant l’entourage du malade que le malade lui-même. Il ne suffit donc pas de mettre au point un traitement mais de s’impliquer en même temps dans une stratégie thérapeutique” .

 

Les engagements

“Au départ, se rappelle une AR (pour Attachée de Région, déléguée dépendant d’un DZ, pour Directeur de Zone), notre laboratoire était perçu par le médecin comme un département de Pfizer. Aujourd’hui, nous sommes reconnus en tant que membres d’une véritable entité”.

Il faut dire que durant 4 ans, l’ensemble des collaborateurs (160 avant le rachat de Biodim, dont près de 120 sur le terrain) se seront engagés à décliner cette idée de hhc, à travers de nombreuses initiatives.

A commencer, en 1998, par un 1er Tour de France Alzheimer (un 2e suivra en 2000) ; l’objectif est de faire reconnaître comme enjeu de santé publique une maladie relativement confinée, aux acteurs très cloisonnés, en créant dans toutes les régions des colloques, des rencontres entre ces acteurs et avec les responsables politiques locaux, avant une ultime tribune dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Le 2e Tour de France sera même labellisé Etats généraux de la santé. Parallèlement, ont été et continuent d’être organisés chaque année des Forums -espaces de réflexion et de discussion, à raison de deux par an par région- suivis d’une Réunion nationale des Forums qui donne lieu à la publication d’un Livre Blanc annuel. “Nous avons pu de la sorte recenser la demande de soins par région, par commune, et mettre en parallèle les offres de soins, explique Paul Cadre. Cette véritable cartographie de la maladie d’Alzheimer a été mise à la disposition des autorités lors des Forums de région, ce qui a permis de travailler sur des pistes d’actions”.

1998 encore, en collaboration avec l’ANLLF (Association de neurologie libérale de langue française), Eisai créait avec Pfizer un Observatoire destiné à évaluer les pratiques diagn-ostiques et thérapeutiques en neurologie libérale. Parallèlement, le laboratoire développe avec les médecins généralistes une formation médicale continue en collaboration avec l’Unaformec.

En 1999 enfin, intervint la création de l’Institut Alzheimer dont  l’objectif est d’aider les médecins intéressés à monter des projets de  création de “centres de mémoire”.

 

Culture morale et procédures

Dans un tel contexte, le rôle “hyper impliqué” des AR se révèle “passionnant”, au dire même des intéressés. De par sa formation, initiale (3 semaines sur un domaine/un produit) et continue (2 séminaires annuels consacrés à la maladie et à l’organisation au quotidien du patient et des proches), puis son travail de proximité dans les services (l’AR hôpital, une demi-journée, chaque mois aide des services à faire passer des tests à des patients…), le délégué Eisai est non seulement accepté, mais recherché par le corps médical.
Il en va de même pour l’AR ville, reçu en règle générale pas moins de 30 mn par le médecin, avec son approche d’information médicale et de sensibilisation au rôle du MG (qui n’initie pas le traitement mais le renouvelle) dans la prise en charge de la maladie (repérer les signes propres à améliorer le diagnostic précoce, gage de d’efficacité du traitement), mais aussi d’initiateur de “work shops”, ou ateliers de neuropsychologie organisés durant les week-ends, qui lui apporte à coup sûr écoute et crédibilité.

Le plus souvent, souligne Yves Bub, directeur des opérations, les MG n’ont pas conscience que les traitements actuels, s’ils ne sont pas curatifs, offrent néanmoins la possibilité de maintenir le malade dans un certain degré d’autonomie, ce qui est certainement aussi important pour l’entourage que pour lui-même. Dans ce domaine encore non-enseigné en Fac, nous avons parfois l’impression d’être en partie formateurs. En tout cas nous avons démontré que nous n’étions pas que des vendeurs de médicaments”.

Dans la mise en place de cette stratégie, nul doute que la taille du laboratoire a joué, car si la décision est descendante, l’engagement est ensuite individuel. Or, en partant de zéro, il n’a pas été nécessaire de mettre en place des stratégies de changement, bien connues au sein des grands groupes, ou de lutter contre les antagonistes, les prés carrés. D’où des relations de proximité facilitées et une plus grande réactivité. “Lorsque tout le monde agit dans le même sens, on évite la culture du formalisme bureaucratique, pour autant, met en garde Paul Cadre en guise de conclusion, il a fallu également structurer nos actions,, car on ne peut construire une filiale de grand groupe multinational uniquement sur une culture qualitative. Gérer la croissance suppose la mise en place de process anticipatoires. Il ne s’agit pas d’être rigide mais de veiller à une certaine rigueur. Ce qui évite ensuite d’avoir à gérer une crise de croissance”…

 

Objectif chiffre d’affaires

Lundi 25 février dernier, en annonçant le rachat de Biodim, filiale de Cegedim, Eisai SA ajoutait à son “portefeuille monoproduit” une gamme de 3 spécialités dans le traitement des maladies du SNC -le neuroleptique Loxapac®, l’antiparkinsonien Parkinane® et l’antidépresseur Defanyl®- qui représentent aujourd’hui un marché annuel estimé à 9 millions d’euros mais devraient bénéficier prochainement d’un développement clinique particulier dans de nouvelles indications. L’objectif avoué des dirigeants est d’atteindre les 150 millions d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2010.
 

 

Paul Cadre, le goût de la création
En possession d’un diplôme d’endocrinologie et… d’une maîtrise de maths, le président d’Eisai a d’abord sacrifié à quelques années d’exercice libéral, avant de découvrir le monde de l’industrie pharmaceutique par le biais d’un travail en free lance au sein d’un laboratoire danois. Après un passage dans la recherche clinique, la direction médicale, le marketing…  c’est la direction du marketing-ventes qui l’attend chez Lederlé, puis la direction des opérations chez Merck Lipha France, avant le “challenge Eisai” qui permet de “réaliser un vieux rêve, avoue Paul Cadre, celui de créer, de laisser une empreinte, en installant la filiale d’un grand groupe, qui plus est dans un contexte éthique et une philosophie d’entreprise tout à fait en phase avec mon état d’esprit”. Mais en France, créer une entreprise apparaît vite comme une course d’obstacles. “Cela suppose donc une évidente persévérance mais également la connaissance des différents rôles proposés par l’industrie pharmaceutique, poursuit Paul Cadre. Avec néanmoins quelques tropismes. C’est par exemple mon passage au marketing qui m’a le plus apporté et qui me sert avant tout dans mes fonctions actuelles…”

 

 

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