Industrie pharmaceutique, 35 heures et visite médicale en 2000

35 heures, le temps revisité

Par Jacques Busseau -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2000 - Visite Actuelle N° 59 - Page 23

La loi sur l’aménagement et la réduction du temps de travail, que l’on a tout simplement appelée loi sur les 35 heures, n’a rien de la génération spontanée. Cette suppression légale de 4 heures hebdomadaires fait même partie d’une grande lignée dont la lente évolution semble devoir mener les futures générations vers la DTT (Disparition du temps de travail) ou, plus sérieusement, vers une partition plus large du temps de travail. Elle est en tout cas aujourd’hui la résultante d’une volonté manifestée à partir de 1993 par la Loi quinquennale et accentuée 3 ans plus tard par la loi dite “de Robien”.

 

En ce qui concerne la Convention collective de l’industrie pharmaceutique, et plus précisément la visite médicale, les dispositions spécifiques sur le temps de travail sont peu nombreuses. On relève brièvement que les cadres peuvent travailler plus ou moins 10% de leur temps de travail normal sans que cela donne lieu au paiement d’heures supplémentaires ou à des récupérations en temps, et en particulier la clause “équivalence temps/visite” -aujourd’hui point de blocage des négociations- pour la profession. Le principe de cette dernière disposition existe depuis l’origine de la convention collective, en 1956. Les signataires ont instauré une équivalence entre les visites effectuées en cabinet et le salaire minimum pour déterminer la quantité de travail donnant droit au salaire minimum conventionnel pour 173 heures 33. A l’époque, les “anciens” doivent effectuer 110 visites en cabinet et ceux qui rencontrent les spécialistes sur listes ne sont tenus qu’à 90 visites par mois. L’activité à l’hôpital n’est pas encore intégrée dans la durée légale du travail. Elle fait seulement l’objet d’une rémunération forfaitaire par matinée, égale à 2% du salaire minimum mensuel réel versé au VM pour 110 visites. Lorsqu’on effectue des visites supplémentaires, on perçoit un forfait (2%) en plus du salaire “conventionnel” ou un jour de congé (éventuellement payé) pour 5 visites au-delà du nombre normal mensuel.

 

Les années ARTT

En 1961, les secteurs se sont rétrécis et le nombre de visiteurs a gonflé. Les employeurs estiment que 110 visites ne correspondent pas à une activité à temps plein. Ils n’obtiennent pas l’augmentation conventionnelle du nombre de visites. En revanche, la nouvelle convention prévoit la possibilité de conclure des “accords particuliers” avec chaque délégué pour que celui-ci effectue entre 110 et 120 visites (le principe concerne également les visites sur listes auprès des spécialistes). Les accords existeront. Ils seront le plus souvent plus près de 120 visites que de 110 !… Quant à la visite hospitalière elle n’est toujours pas intégrée, mais elle donne lieu à une rémunération forfaitaire supplémentaire de 2,73%. Par ailleurs, il ne faut plus que 4 visites supplémentaires, au-delà du nombre normal mensuel, pour obtenir un jour de congé. Douze ans plus tard, les employeurs reviennent à la charge et demandent la fin de l’équivalence temps/visite. Sans plus de succès. Ils vont néanmoins obtenir le passage à 126 visites, toujours pour 173h1/3. C’est à cette époque qu’apparaît la notion de “matinée hospitalière”. Elle correspond à 3 visites en cabinet libéral. C’est à cette date que l’équivalence-salaire devient équivalence-temps : en effectuant 126 visites, le délégué est réputé avoir fait 169 heures de travail effectif dans le mois. EPU et congrès n’entrent pas dans cette équivalence mais donnent lieu désormais à rémunération supplémentaire. En 1990, la durée légale du travail a diminué ; le nombre de visites est ramené à 123 pour 169 heures. S’ensuivent les “années d’aménagement du temps de travail” qui donneront naissance, en 1998 puis en 1999, aux deux lois sur les 35 heures. C’est tout d’abord la loi quinquennale de décembre 1993 qui fait apparaître quelques nouvelles notions comme l’annualisation de la durée du travail, la réduction du temps de travail et la préretraite progressive. C’est ensuite l’accord interprofessionnel d’octobre 1995 qui oblige les branches professionnelles à négocier sur certains thèmes, dont la réduction, la flexibilité ou la modulation. Il introduit en outre le lien entre réduction du temps de travail, lutte contre le chômage et emploi (l’objectif est peut-être moins évident aujourd’hui. Avec le temps !…). La Loi de Robien, en juin 1996, ne fera alors que préciser ces différentes nouveautés légales, en aménageant notamment le dispositif de réduction prévu dans la loi quinquennale, avant que les lois de juin 1998 et de janvier 2000 ne les rendent obligatoires et déterminent un échéancier. Une durée indicative Les premiers projets de textes sortent en décembre 1997. Il s’agit, on le sait, de réduire la durée légale du travail de 39 à 35 heures, à compter du 1er février 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés, et du 1er janvier 2002 pour les autres. Cette durée ne constitue cependant ni une durée maximale ni un temps minimum d’occupation des salariés, mais une durée indicative (avec notamment un phénomène de modulation des horaires sur l’année, selon d’éventuelles périodes creuses ou surchargées) à partir de laquelle se déclenchent certaines garanties légales comme les heures supplémentaires. Globalement, l’ARTT doit ménager une amélioration des conditions de travail et non alourdir la charge de travail des salariés… sans pénaliser dans le même temps la productivité de l’entreprise ! De plus, les 35 heures doivent être payées 39. Sur cette nouvelle base, les négociations sont donc ouvertes dès octobre 1998 entre les partenaires sociaux de l’industrie pharmaceutique (SNIP et syndicats de salariés) dont l’objectif, à travers la signature d’un accord, est de “ fixer de grands principes d’aménagement du temps de travail pour permettre aux laboratoires qui ne peuvent signer des accords d’entreprises, ou à celles ayant échoué dans leurs négociations, d’appliquer malgré tout les dispositions minimales prévues au niveau de la branche professionnelle ”.

 

Spécificité de la visite

Dès février 1999, le SNIP propose un projet d’accord qui sera discuté au cours des mois suivants avec les syndicats de salariés. Malgré une suspension des négociations en mai et juin, on parviendra pratiquement à une signature en septembre… avant que les règles du jeu soient brusquement changées par l’annonce d’un deuxième texte de loi et que les discussions achoppent, en fin d’année, sur les nouvelles dispositions, avant tout celles résultant de “ l’amendement Gremetz ”… Le principal point de blocage vient de la visite médicale. Autant il paraît aisé d’appliquer la loi lorsqu’il s’agit d’un temps de travail effectif, productif, donc quantifiable, autant il apparaît très compliqué de réduire pour ce faire la visite médicale à un nombre d’heures donné. Une journée type d’itinérants, pour employer le terme “catégoriel” (qui concerne également, par exemple, les ARC), est composée de temps réellement effectif et de temps non productif. Voilà pourquoi depuis plus de 45 ans, on tente de normaliser la profession à travers une équivalence “nombre de visites/temps de travail”.

 

Dans le champ des hors-cadres…

Ce fut d’abord, on l’a vu, une équivalence salaire, puis une équivalence temps, laquelle était mensuelle. Ce en quoi l’industrie pharmaceutique a longtemps innové, dans la mesure où, jusqu’en 1998, l’approche de la durée légale du travail en France fut hebdomadaire. Vis-à-vis de la loi sur les 35 heures, tout serait plus simple si les VM étaient classés parmi les cadres. Pour ces derniers, on a pu en effet mettre en place un décompte en jours de travail sans références horaires. Il est cependant à peu près avéré aujourd’hui que 70 à 80% environ des VM sont non-cadres, c’est-à-dire classés en groupe 5. Et ceux qui sont en groupe 6 doivent par ailleurs dépendre de l’article 4 (véritables cadres) de la convention collective de 1947 (AGIRC)et non de l’article 4bis (assimilés cadres) pour être concernés par la mesure en question. La solution exista bien un temps dans la mesure où le deuxième projet de loi gouvernemental (annoncé à l’automne 99 et devenu texte de loi le 19 janvier dernier) avait d’abord prévu (contrairement à la première loi) d’intégrer les “ itinérants” aux “ cadres ”. Véritable pavé “jeté dans le Code du travail ”, le texte considérait pour la première fois les cadres comme une “ population ” à part (des études syndicales démontrent il est vrai qu’ils peuvent travailler jusqu’à 45 heures par semaines, ce qui leur rend les 35 heures quasi inaccessibles) et acceptait qu’on ne les soumette plus à la réglementation du travail (comme cela est déjà le cas pour les “ cadres supérieurs ”), c’est-à-dire au contrôle horaire, pour décompter leur durée de travail uniquement en jours. En tout état de cause, la disposition apparaissait parfaitement adaptée au métier de la visite médicale. Certains laboratoires profitèrent d’ailleurs de cette “ brèche ” pour signer des accords dans ce sens avec leurs délégués. Pour eux, tout est à refaire aujourd’hui, car au cours du débat à l’Assemblée nationale intervint l’amendement du député communiste Gremetz qui supprime le bénéfice de cette disposition aux non-cadres, met fin à l’espoir entrevu et rejette les négociateurs du SNIP et des syndicats de salariés dans l’impasse ! Voilà donc de nouveau la visite “ prisonnière ” des références horaires au nom d’une considération qu’on peut qualifier de “ politique ” : en cédant sur ce point, le gouvernement pouvait bénéficier du vote communiste et faire “ passer ” l’ensemble de son projet de loi devant le Parlement…

 

Consensus avant les vacances ?

Fin février, 50% des salariés de l’industrie pharmaceutique étaient a priori concernés par un accord d’entreprise. Certains grands groupes sont par ailleurs toujours en négociation. La période transitoire sur les heures supplémentaires permet il est vrai de prendre encore un peu son temps. Mais la situation la plus préoccupante concerne les structures de moindre importance (comptant cependant plus de 20 salariés) qui ne peuvent pas signer par manque de délégués syndicaux et auraient grand besoin de s’appuyer sur un accord de branche. Lequel permettrait en outre aux entreprises ayant déjà signé de voir leurs accords validés. Mais, c’est un fait, les négociations sont arrêtées depuis plusieurs mois, sapées par l’amendement Gremetz. Aujourd’hui, il appartient donc au SNIP de faire de nouvelles propositions. Les partenaires sociaux se rencontrent mi-mars sur un autre thème, celui des salaires minima conventionnels. L’occasion est peut-être bonne de fixer un échéancier. Pour l’heure, la Direction des Affaires sociales étudie, à travers les accords d’entreprises, les dispositions éventuellement transposables à l’échelle de la branche (ce qui semble néanmoins très aléatoire) et prend note des suggestions avancées par les partenaires sociaux. Un syndicat propose par exemple la prise en compte d’une équivalence visite annuelle et non plus mensuelle. L’idée semble réaliste dans le cadre d’une entreprise parce que celle-ci est capable de “ dominer ” ses spécificités (produits à proposer, cibles visées…), mais plus difficile à concevoir au niveau d’une branche professionnelle où il convient d’aboutir à des standards ou des fourchettes applicables à toutes les entreprises. Tout simplement parce que chacune d’entre elles conçoit la visite différemment. La proposition mérite cependant d’être creusée. A l’évidence, la solution idéale n’existe pas. Sinon elle aurait déjà été proposée… L’important est de parvenir à une position qui, à la fois, ne vienne pas contredire les entreprises ayant déjà signé un dispositif légal et permette à celles n’ayant pas encore signé d’entrer dans un dispositif-cadre. Cet état consensuel sera-t-il atteint avant les prochaines vacances estivales ? Les partenaires sociaux s’y emploient. Disons que ce serait souhaitable.

 

Rapport au temps…
“Le modèle du temps de travail qui a longtemps prévalu est issu de l’époque industrielle où le rapport au temps était conçu comme un rapport hiérarchique, constitutif de subordination temporelle du travailleur. […] Un temps, mesure d’échanges -le travailleur vend son temps en contrepartie d’une rémunération- mais aussi limite à la subordination, puisque la “juridification” du temps de travail a consisté dès le départ à limiter la durée légale du travail. […] Sans doute jusqu’à la fin des années 70, le temps de travail est donc principalement une référence objective. Il est caractérisé par l’uniformité du temps, un temps standard, […] homogène, typique, lié aux caractéristiques organisationnelles de la production de masse et des produits standardisés. […] Aujourd’hui, de nouveaux modes de rapport au temps s’installent dans l’organisation du travail dans l’entreprise, dans la vie des salariés auxquels il faut ajouter les incidences sur le temps de travail des politiques de l’Emploi. […] Les rapports hiérarchiques sont aussi bousculés. Le client devient une composante essentielle, le salarié étant souvent plus lié aux volontés de son client qu’aux prescriptions de son employeur. […] Les politiques de l’Emploi ont elles aussi une incidence sur le rapport au temps de travail. La France n’est pas le seul pays à aller dans ce sens ; l’installation du chômage conduit à voir dans le partage du temps de travail un instrument de lutte contre le chômage”… Jean-Jacques Paris, Commissaire européen. Séminaire de l’IFIP (Institut de formation de l’industrie pharmaceutique), mai 1998.
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