Article publié en 2013. Une récente actualité explique cette réédition.

Lobbies et UE : opérations transparence et crédibilité à intensifier

Par Jacques Degain -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2013 - SEVE N° - crédits iconographique Phovoir

Depuis Juin 2011, afin de réglementer et organiser ces pratiques, souvent contestées, les sociétés et organisations, désirant s’adresser aux parlementaires,  sont invitées à s’inscrire sur un registre de la transparence.  

Une réforme qui a rencontré un évident succès puisque 5 671 organisations ou groupes d’intérêts figurent sur ce document. Reste que l’inscription reste facultative et que certaines grandes entreprises n’ont pas souhaité y figurer.  

Le lobbying, souvent critiqué, joue pourtant sa crédibilité sur la transparence. Notamment en matière de santé. L’obligation d’inscription sur ce registre n’est plus qu’une question de temps, estiment députés et observateurs. Reste qu’il convient désormais de faire vite.  

 

 

Bruxelles est après Washington -  mais en fait pas si loin de la métropole américaine- la capitale du lobbying d’affaires.  Le poids croissant de la Commission européenne et celui du Parlement européen qui voient leurs  pouvoirs renforcés depuis le traité de Lisbonne de 2007 - ratifié en 2009, après l’approbation de chacun des pays de l’Union – explique ce fait et ne peut qu’inciter les lobbyistes à intensifier leur action à Bruxelles et dans une moindre mesure à Strasbourg,  siège officiel du Parlement européen.

Combien sont-ils ainsi à prendre les routes de la capitale belge et de la métropole alsacienne, à aller de l’une à l’autre, pour porter leurs « bonnes » paroles aux députés européens et aux membres de la Commission ? Les estimations divergent. Surement au moins 15 000, mais certainement bien plus. La vérité est  que leur nombre  s’est considérablement accru en moins de trente ans ans. En 1985, on estimait que Bruxelles comptait environ 1 000 lobbyistes.  Ils  seraient près de vingt fois plus aujourd’hui, peut-être même davantage.

Il est vrai que l’Europe de 2013 n’a rien à voir avec celle de 1985. L’élargissement  de l’Union, le pouvoir accru du Parlement depuis le traité cité plus haut - pouvoir qui va encore s’accentuer au cours des prochaines années, notamment après les élections de 2014 -  la compétitivité entre les  Etats, la concurrence sévère,  la crise économique, la politique parfois agressive des sociétés ou des groupements d’intérêts, les enjeux industriels,  justifient  évidemment  cette présence de plus en plus grande et surtout de plus en plus prégnante des lobbyistes. Le fait aussi que l’Europe vote des lois qui seront reprises, peu ou prou, dans des législations et réglementations nationales ou qui les inspireront fortement,   motivent aussi cette action des lobbyistes. Même si  le phénomène  est loin d’être aussi  impressionnant que certains veulent le laisser croire – n’est-ce pas Jacques Delors qui vers la fin des années 80  affirmait que dans les dix ans qui suivraient, 80% des réglementations  nationales seraient inspirées  par les directives de Bruxelles ? – le fait est que l’influence de Bruxelles et de Strasbourg sur les législations nationales est indéniable, même si elle est  moins forte que ne le craignent les électeurs européens ou que ne le dénoncent certains partis politiques.

 

Des affaires embarrassantes

Dans ce contexte, on comprend l’empressement des lobbyistes à intervenir dans les débats et à tenter de convaincre leurs interlocuteurs, le plus souvent députés ou membres de la commission. Et c’est à ce niveau que parfois des excès sont dénoncés. En clair les lobbyistes  emploieraient-t-ils des méthodes contestables, voire condamnables pour inciter les décideurs et parlementaires européens à les écouter d’une oreille très attentive, pour ne pas dire complaisante ? Un récent documentaire sur la chaine TV franco allemande Arte dénonçait ainsi les actions peu recommandables  de certains lobbyistes. On se souviendra aussi longtemps dans les milieux parlementaires de ces trois députés européens - un roumain,  un slovène, un  autrichien - piégés par des journalistes du Sunday -Times qui se faisant passer pour des lobbyistes leur avaient proposé jusqu’à 100 000 euros pour déposer et faire adopter des amendements  favorables au secteur bancaire.   « Un des  plus grands scandales qu’ait connu  le Parlement »,  a commenté un député. C’est peu dire… 

 L’affaire Dalli, du nom de l’ancien commissaire à la santé,  est un autre pavé dans la mare jeté sur l’activité des lobbyistes de Bruxelles. Ce haut responsable  européen a été évincé de son poste après avoir été soupçonné par le Président de la commission d’avoir entretenu des relations ambigües  avec un lobbyiste qui aurait tenté de faire modifier une directive anti tabac et de faire accepter sur le marché européen une pâte à tabac à chiquer.  Or, il semble bien  que John Dalli ait été victime d’un complot de la part de cette même industrie du tabac qui cherchait à se débarrasser de lui. Les faits restent troubles mais la cote des lobbyistes dans cette affaire est descendue de plusieurs crans.

Pour autant faut-il les brûler en place publique ? «  Le lobbying est un élément fonctionnel et indispensable du système communautaire, répondent dans leur ouvrage, les  ‘règles d’or du lobbying’, Natacha Clarac et Stéphane Desselas. Il permet d’éclairer les décideurs européens sur leur choix finaux et l’impact de ceux-ci ».  Un sentiment que semblent partager un certain nombre de députés européens.  « Il y a lobbying et lobbying, explique ainsi Françoise Grossetête, député UMP-PPE (Parti Populaire Européen). Nous avons en effet besoin d’être en relation  avec des lobbyistes qui nous informent de manière intelligente de tel ou tel aspect d’un texte ou d’un projet de directive ; nous ne pouvons pas tout savoir et tout connaitre. C’est ce lobbying qui nous est utile  et que nous ne rejetons pas, bien évidemment. En revanche, on bannit tout lobbying qui s’apparente à une pression ou à une tentative de pression sur un parlementaire ou un conseiller technique ». Et Françoise Grossetête, qui est membre de la commission de l'Environnement, de la Santé publique et de la Sécurité alimentaire du Parlement, de dénoncer  l’action du lobby du tabac, dans les discussions actuelles sur la nouvelle directive tabac aujourd’hui en cours d’élaboration et que l’Europe voudrait voir boucler avant les élections de 2014. Une industrie du tabac  qui emploie, s’insurge Françoise Grossetête,  des méthodes que « l’on croyait oubliées ».  A tel point, insiste la député que « j’ai décidé de ne plus recevoir ses représentants. Mes collaborateurs non plus d’ailleurs ».  Un exemple isolé ? Peut-être pas, mais qui ne doit pas condamner tous les lobbyistes qui sillonnent Bruxelles.

« J’ose affirmer, écrit  ainsi  le député UMP-PPE, Jean Paul Gauzès en avant propos de l’ouvrage cité plus haut, que le lobbying est utile. Il apporte en l’occurrence au législateur des éléments d’information, de réflexion et de confrontation ». La crédibilité des lobbyistes « repose sur leurs talents et leurs compétences » insiste pour sa part Anne Houtman, chef de la représentation de la commission européenne à Paris.

 

Déontologie et crédibilité

 Reste qu’il n’est pas certain que ces compliments et les seuls critères de compétence, suffisent à rassurer et à convaincre ceux qui mettent en doute le bien fondé de la présence des milliers de lobbyistes à Bruxelles.   D’où la nécessité, l’obligation pour cette profession d’affirmer une déontologie précise qui assoit sa crédibilité. Il y va de l’intérêt, aussi, des autorités européennes.  C’est dans cet objectif, commun, que depuis Juin 2011 a été institué,  un registre de la transparence,  sur  lequel peuvent s’inscrire les entreprises et les associations qui travaillent et interviennent auprès des institutions européennes et où  elles décrivent leur secteur d’activité. Le progrès est indéniable. Cette transparence doit rassurer les parlementaires qui peuvent identifier leurs interlocuteurs et savoir quelles  entreprises ou associations ils représentent.  A tout moment le parlementaire, le politique, le journaliste, voire le simple électeur, s’il en est curieux, peut consulter notamment par Internet,  ce registre sur lequel  on comptait, en janvier dernier,  5 671 entreprises ou organisations inscrites. Près de la moitié (48 %) l’étaient dans la catégorie « représentants intérêts et groupements professionnels »,  et 28 % dans la catégorie « ONG ».  Les lobbyistes ont d’ailleurs tout intérêt à jouer le jeu, comme le rappelle Françoise Grossetête, puisque ceux qui sont inscrits ont un badge qui leur permet d’entrer sans problème au Parlement, d’assister aux travaux sur les sujets qui les intéressent, et d’être conviés par la commission à des sessions où sont débattus des thèmes qui les concernent particulièrement.    

Reste quand même un épine et elle est de taille : l’inscription sur ce registre reste facultative. Ce qui fait déjà dire aux détracteurs de ce système que les plus grandes entreprises avancent masquées, que leur influence est toujours aussi forte et cela d’autant plus que les relations entre les uns et les autres se passent dans l’ombre.  « Les lobbies n’ont rien perdu de leur pouvoir, assène une député d’Europe Ecologie,  et la création de ce registre l’a même renforcé puisqu’il leur a assuré une crédibilité qu’ils n’espéraient plus. »  Exagéré sans doute,  et l’on mettra ce propos sur le compte de la polémique politique.  Pour autant, il est regrettable  que tout ne soit pas aussi clair, aussi limpide que cela devrait l’être. Le fait que l’inscription sur ce rapport reste facultative accroît les doutes et les suspicions.  Ce qui n’est pas du meilleur effet.  Nombre de grandes entreprises internationales ne sont pas inscrites sur ce registre. « Une éthique sans défaut et un comportement transparent vis-à-vis des décideurs doivent être des lignes directrices de toute action de lobbying » écrivent dans leur ouvrage Natacha Clarac et Stéphane Dessalas qui plaident à juste raison pour une inscription des entreprises et des lobbyistes dans ce registre  commun à la Commission et au Parlement, et cela malgré son  caractère facultatif. « Il faut  arriver à l’obligation d’inscription, insiste encore Françoise Grossetête,  mais déjà les progrès sont indéniables » 

Et quid des lobbyistes français à Bruxelles ? Ils ont investi la ville depuis bien des années et même si nombre d’entre eux prennent régulièrement  le Thalys à Paris pour rallier, souvent pour quelques jours seulement, la capitale belge, d’autres  « campent » plus longtemps à Bruxelles où leur entreprise  a crée une plate forme.  Dans un rapport en 2011, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, mettait en avant cette présence française et insistait sur la nécessité pour les lobbyistes français, certes en progrès, d’être encore plus performants face à leurs concurrents européens. Car en la matière, la compétition est rude. D’autant plus que face à des lobbyistes traditionnels, appelons-les ainsi,  se met parfois en place des contre-lobbyistes qu’il ne faut  pas confondre avec des anti-lobbyistes.

 

L’exemple de « Finance Watch »

L’un  des exemples les plus intéressants de contre lobbying concerne le secteur financier, domaine qui en période de crise économique, de crise bancaire, déchaine le plus de discussions, de passions,    de polémiques.  Ainsi face au lobby bancaire, s’est créé, à l’initiative de députés européens,  et notamment de Patrick Canfin, aujourd’hui ministre français, un organisme de contre pouvoir, « Finance Watch »,  qui prend de l’ampleur au fil du temps face aux représentants à Bruxelles, des banques et des investisseurs.  « Nous ne sommes pas arrivés en proclamant que nous serons les Bruce Willis de la finance, prêts à sauver le monde de ses excès. Nous voulons seulement incarner un contrepoids »,  expliquait le secrétaire général de cette organisation,  Thierry Philipponnat, dans le journal économique Les Echos du 23 janvier dernier.

Cette initiative n’est pas la seule. Les associations de patients, dans le domaine  de la santé, tendent de plus en plus à s’organiser en contre pouvoir face aux industriels de la pharmacie, du médicament et de la chimie. On l’a constaté, il y a déjà quelques années déjà, lorsque les industriels du médicament ont milité pour pouvoir informer directement  les citoyens et les consommateurs sur leurs médicaments, dans certaines affections. Les associations de patients sont alors montées au créneau, faisant action de contre-lobbying.  Avec un certain succès. 

L’industrie pharmaceutique européenne qui a un bureau à Bruxelles n’est en effet pas inerte… Depuis de nombreuses années,  par l’intermédiaire de l’EFPIA (European federation of pharmaceutical industries and associations), elle joue son rôle de lobbyiste auprès de la commission et du Parlement. «  Mais toujours avec doigté et habilité », explique Denis Durand de Bousingen, journaliste indépendant, qui connaît parfaitement les rouages de l’Europe. Elle se heurte chaque jour davantage aux associations  de patients qui ont su créer des liens souvent étroits avec  les parlementaires européens qui leur prêtent une oreille attentive, surtout depuis que certaines affaires ont éclaté. Nombreuses sont également les firmes qui ont pignon sur rue à Bruxelles et qui mènent séparément des actions de lobbying avec leur représentants. Sur le registre européen, on note ainsi la présence officiellement déclarée de firmes françaises comme Sanofi ou Servier.

L’habilité, les investisseurs dans le domaine de la biologie, ont su aussi en faire preuve. Ces financiers ont ainsi convaincu l’Europe d’accepter une pénétration plus importante des capitaux indépendants dans les sociétés de biologie. Au grand dam de la profession, notamment en France, qui s’est insurgée  contre cette réforme qui mettrait en danger, disaient-ils, l’indépendance  de la biologie et des laboratoires d’analyse.  Rien n’y a fait et les syndicats biologistes français ont eu beau monter à Bruxelles, leur contre lobbying eu peu d’effet.  Un  exemple de lobbying réussi de la finance, du moins en partie, mais qui ne prête pas à des critiques fondamentales. C’est le jeu normal de la démocratie où chacun plaide son  dossier, mais qui montre aussi l’importance d’une présence bien établie à Bruxelles.

 «  Pour nous, journalistes, il est intéressant de rencontrer régulièrement les lobbyistes, ce sont des informateurs intéressants », explique encore Denis Durand de Bousingen.  Des lobbyistes qui courent également les congrès européens, où se bousculent  parlementaires et  membres de la commission. Des rencontres qui permettent aux uns et aux autres de mieux se connaître. Mais cela se fait « de façon informelle, en bonne intelligence, dit encore Denis Durand de Bousingen, sans engagement de part et d’autre ». 

Alors le lobbyiste, ange ou démon ? N’ l’un ni l’autre. On rencontrera encore et toujours évidemment, le lobbyiste acharné, qui tentera de forcer portes et fenêtres pour plaider sa bonne cause auprès des parlementaires ou des politiques. Mais il se fera de plus en plus rare. Le mérite de l’Europe aura été de réglementer, voire de régenter, ce monde du lobbying dont beaucoup s’attachent à vanter l’intérêt lorsqu’il répond à des règles précises. Le registre de transparence est une étape importante dans ce domaine. « En 19 ans comme député européen, explique Françoise Grossetête, j’ai vu un changement important et assisté à des progrès constants et  conséquents».

La transparence reste  en tout cas indispensable,  essentielle : c’est le seul gage, l’unique garantie de la crédibilité du lobbying européen.  Même si elle ne fera pas taire toutes les critiques.

 

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