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Le CEA

Par Jacques Busseau -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2008 - Visite Actuelle N° 144 - Page 0

Après le CNRS (VA juin 2004) et l’INSERM (VA février 2005), nous poursuivons notre découverte du monde de la recherche en France avec un voyage au centre du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), un organisme multidisciplinaire dont le domaine des Technologies pour la Santé fait plus que jamais partie des axes prioritaires de recherche.

 

 

On connaît avant tout le CEA pour son rôle originel dans la mise en place du parc nucléaire français et dans la mise au point de solutions techniques pour la gestion des déchets radioactifs. Son importance n’est pas moins grande en ce qui concerne la défense et la sécurité, à travers la conception, la fabrication et le maintien en condition opérationnelle des têtes nucléaires de la force de dissuasion française, ou, dans la lutte contre le terrorisme, la conduite du programme interministériel de recherche dans les domaines nucléaire, radiologique, biologique et chimique, pour le compte du Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN). Mais on sait peut-être moins que, dès sa création en 1950, l’organisme a également été chargé d’étudier les effets des rayons ionisants (issus des isotopes) sur le vivant et d’appliquer ces rayonnements à l’étude de la matière vivante. Aujourd’hui, les recherches relevant de cette mission, finalement liée à des préoccupations de santé publique, sont menées principalement au sein de la Direction des sciences du vivant (DSV).

 

La technologie au service de la santé

« Depuis toujours, précise en effet Jacques Grassi, Directeur du programme Technologies pour la Santé, la santé et la biologie font partie des préoccupations du CEA. Mais au fil des années, surtout autour du développement du nucléaire, se sont développées des compétences technologiques qui trouvent aujourd’hui des implications plus fortes dans ce domaine ».

En 2004, on a donc rajouté dans les objectifs prioritaires du CEA la notion de « Technologie pour l’information et la santé » et dès 2005, on mettait en place un programme transversal, justement baptisé « Technologie pour la Santé » (TPS).

« L’idée de base, la philosophie de ce programme, poursuit Jacques Grassi, est qu’en réunissant des compétences technologiques -pouvant parfois venir de domaines très éloignés de la biologie et des besoins biomédicaux- et des compétences en biologie et en médecine, on peut proposer des systèmes de diagnostic et de traitement qui permettent d’améliorer la prise en charge médicale de nos concitoyens ».

Il est organisé autour de 2 types d’actions.

« Premièrement, identifier et faire mûrir, en fonction des compétences existant au sein du CEA, des projets susceptibles d’apporter une vraie réponse à un besoin médical et de conduire à des applications industrielles. 8 projets sont aujourd’hui financés et on en comptera 3 autres d’ici la fin de l’année. À titre d’exemple, nous travaillons sur la mise au point d’un appareil, destiné à être couplé à l’imagerie par émission de positons, qui permet la mesure, en continue, de la radioactivité circulant dans le sang, et ce afin d’obtenir une exploitation quantitative des images. Cet automate sera utilisable sur des petits animaux (souris, rats). Élément important pour ceux qui travaillent ou font de la recherche en imagerie.

Deuxièmement, favoriser l’émergence de projets de création d’entreprise dans le domaine des TPS ».

Cette transversalité implique par ailleurs la réunion, tous les mois, des représentants de toutes les directions opérationnelles afin de faire mûrir les projets.

 

Améliorer le service médical rendu

Globalement, on travaille « au fil de l’eau ». « Selon le principe du bottom up, explique encore Jacques Grassi : on ouvre un guichet auquel les chercheurs viennent proposer des projets au fur et à mesure de leur émergence. En fait, nous sommes devenus beaucoup plus structurants en nous efforçant de construire des projets ayant une chance plus grande d’arriver à l’application industrielle et médicale. Ce qui doit permettre à terme d’améliorer le service médical rendu à la population et de créer des start up ».

Ce programme mobilise environ 8 millions d’euros par an et une centaine de personnes à ce jour.

« Il existe d’autres programmes transversaux, conclut sur ce point Jacques Grassi, dans le domaine de l’énergie, des nanosciences, de la sécurité, mais le programme TPS a une vision très applicative et très orientée vers l’industrie qui, de façon modeste mais significative, contribue à améliorer la valorisation de la recherche.

Il est très important que les gens puissent échanger, que des physiciens et des chimistes puissent ainsi être en phase. Confidentialité oblige, on ne peut détailler aujourd’hui des projets encore à un stade préliminaire, mais j’espère que dans quelques années, nous pourrons montrer comment sont venus ‘‘de très loin’’ des projets innovants dans le domaine de la médecine et de la biologie ».

 

4 grands domaines de recherche

Il existe déjà de nombreux contrats de collaboration dans ce domaine entre le CEA et l’industrie. « Chaque année, souligne Christian Vincent, Adjoint au Directeur, et Responsable du Pôle valorisation et Partenariats Industriels Stratégiques de la DVS, nous signons entre 70 et 90 nouveaux contrats, pour des collaborations qui peuvent durer de 1 à 3 ans. Majoritairement avec des sociétés appartenant à l’industrie pharmaceutique et à l’industrie du diagnostic, mais aussi depuis quelques années avec l’industrie biomédicale qui fabrique des équipements pour le diagnostic à l’hôpital.

En fait, le CEA travaille avec toute l’industrie pharmaceutique  française et bon nombre d’entreprises étrangères. L’un des projet phare, labellisé par le pôle de compétitivité MEDICEN, consiste à développer et à valider des biomarqueurs translationnels (applicables de l’animal à l’homme) pour la maladie d’Alzheimer. Ce projet, nommé Transal, est mené en partenariat avec sanofi-aventis et Servier.

Dans le domaine du diagnostic, nous sommes en relation avec BioMérieux pour la France ou avec des sociétés américaines, comme Bio-Rad. Très présents dans le domaine de l’imagerie médicale et moléculaire, nous aidons Guerbet à conforter son leadership en Europe pour certains produits de contraste destinés à la RMN et travaillons également avec des géants comme Siemens, General Electric et Philips ».

Parmi les grands axes de recherche pilotés par la DSV, le tout premier est effectivement l’imagerie médicale et la pharmacologie associée. « Nous sommes plutôt focalisés sur le cerveau, poursuit Christian Vincent. Ce qui concerne bien évidemment les laboratoires s’intéressant à des maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, Parkinson, Huntington, mais aussi à des désordres psychiatriques comme la schizophrénie ou l’autisme ».

Le 2e grand axe est la radiobiologie et la radiopathologie. « Une des grandes missions du CEA est de comprendre les effets des rayonnements ionisants sur le vivant, explique encore Christian Vincent ; effets sur les tissus, mais aussi sur les cellules, puis sur les composants moléculaires de ces cellules, jusqu’à l’ADN. Nous observons les effets sur le génome de ces rayons ionisants. En traduisant ce programme de façon plus proche de l’industrie pharmaceutique et des hôpitaux, nous travaillons dans le domaine du cancer et sur le phénomène de la sénescence cellulaire ».

« Le 3e axe, plus fondamental, mais avec des répercussions dans le domaine des sciences de la vie tournées vers l’homme, est la biologie structurale et l’ingénierie des macromolécules biologiques : par des techniques vraiment physiques -par exemple la résonance magnétique nucléaire, ou la cristallisation des protéines et l’étude cristallographique de ces protéines par des rayons X, voire par des neutrons- nous étudions la forme des molécules se trouvant dans les cellules pour comprendre la relation entre la forme des ces macromolécules biologiques, leur fonction et leur fonctionnement. Une fois cette relation comprise, on est à même de tenter, rationnellement, de modifier ces macromolécules biologiques par le génie génétique pour transformer ces protéines, en particulier celles ayant des indications thérapeutiques, et faire en sorte qu’elles correspondent mieux à un traitement thérapeutique chez un patient. Qu’elles soient par exemple plus actives, plus résistantes à une dégradation une fois injectées dans l’organisme ou pour éviter une réaction indésirable du système immunitaire ».

Le 4e axe -en interaction avec Grenoble (voir encadré)- est le développement d’outils, appelés « biopuces », qui permettent de « mieux analyser certains événements à très grande vitesse sur de très faibles quantités de produit, de manière totalement automatique, et en parallèle. Ce qui donne la possibilité d’étudier plusieurs paramètres biologiques et plusieurs échantillons en même temps ».

A côté de ces grands partenariats, menés avec les industriels, le DSV s’appuie sur une activité de transfert de technologie dynamique à partir de son portefeuille de brevets « Si on devait en mettre un seul exemple en exergue, conclut Christian Vincent, ce serait le transfert du test de détection post mortem de l’encéphalopathie bovine spongiforme : pour des raisons historiques, le CEA a été capable de réunir des compétences complémentaires pour développer ce test transféré à la société Bio-Rad, aujourd’hui leader mondial dans ce domaine.

Et globalement, notre portefeuille de brevets est très bénéficiaire puisqu’en cumulant l’ensemble des redevances, sur la base de nos technologies transférées depuis 2000, on atteint presque les 60 millions d’euros. Ce qui correspond en fait à la valorisation de nos recherches… »

 

CEA et transferts de technologies
En quelques chiffres, le CEA, « Etablissement public à caractère scientifique, technique et industriel » , représente 10500 salariés pour le civil, 9 centres de recherche, un budget de 1,9 milliard d’euros, dont 840 millions de subventions (chiffres 2006) ; le reste provenant de tous les contrats avec les partenaires et des réponses aux appels d’offres internationaux.
« Si l’on réunit à la fois la DSV et ce qui se fait dans le domaine des technologies au sein de la Direction des Recherches Technologiques et de la Direction des sciences des matières (DSM), souligne Christian Vincent, on arrive environ à 1500 chercheurs, 300 thésards et postdoctorat, un budget de 145 millions d’euros environ, 700 publications scientifiques par an, un portefeuille de 371 familles de brevets, soit 55 nouvelles demandes de brevets par an en moyenne ».
Très tôt, le CEA s’est occupé de transférer des technologies vers des sociétés issues du CEA. L’une des plus importantes, créées par le passé dans le domaine de la santé a été le groupe Oris (1986), appartenant au holding CEA Industrie (devenu Areva il y a quelques années), qui avait 2 grands domaines d’activité, la médecine nucléaire et le développement d’outils de diagnostic à partir d’anticorps (pour détecter des molécules dans le sang ou les urines). Elle regroupait 1200 personnes au moment d’être vendue à Schering AG.
Depuis 1984, dans le domaine des sciences du vivant et du biomédical, le CEA a créé 9 sociétés toujours en vie (start up) et 9 projets de sociétés en cours qui devraient déboucher sur des créations de start up.
« Utiliser les méthodologies générées par le nucléaire pour développer les technologies pour la santé et, plus particulièrement, comprendre les effets sur le vivant des rayonnements et des toxiques issus des activités nucléaires, tels sont les objectifs de la Direction des sciences du vivant », peut-on lire sur le site internet du CEA.
Le 1er de ces objectifs concerne « les applications des technologies générées par le nucléaire aux technologies pour la santé et aux biotechnologies. Les savoir-faire acquis dans le marquage moléculaire et la détection permettent in vitro d’appréhender la structure et le fonctionnement du vivant et in vivo d’étudier la physiologie des organismes vivants sans en perturber les grands équilibres ». Les outils et connaissances ainsi développés sont notamment mis en œuvre dans le cadre des recherches en radiobiologie et toxicologie nucléaire qui constituent le 2e axe de recherche, lequel porte sur la recherche biologique et médicale pour l’énergie nucléaire. Il s’agit de « comprendre et d’évaluer les effets des activités nucléaires sur la santé et sur l’environnement, en particulier aux faibles doses d’exposition. L’enjeu de ces recherches est de pouvoir accéder à une évaluation scientifique et rationnelle des risques radiologiques et chimiques associés aux activités nucléaires, à court et à long termes, afin d’améliorer les méthodes de prospection et d’établir des normes plus sûres ».
« Menées dans un contexte international, ces recherches sont évaluées tous les 4 ans. Chacun des instituts de DSV est ainsi doté d’un Conseil scientifique chargé de son évaluation, formé de personnalités extérieures au CEA et comprenant un tiers de membres étrangers ».

 

Grenoble, l’innovation technologique
Le centre CEA de Grenoble utilise les avancées en nano- et en micro-technologies pour développer de l’instrumentation, des microsystèmes pour des applications en diagnostic, en recherche en sciences du vivant, en imagerie médicale, en thérapie.
« Nous menons des travaux qui permettent d’améliorer le processus de découverte et d’identification de nouvelles molécules thérapeutiques ou de biomarqueurs, précise Jean Chabbal, Directeur du Département Microtechnologies pour la Biologie et la Santé, Direction de la Recherche Technologique. Nous sommes donc dans ‘‘le domaine des outils’’, en amont du développement clinique. Nous avons en particulier focalisé une partie de nos recherches sur la création de systèmes d’imagerie moléculaires optiques pour travailler avec des souris de façon à mieux comprendre et mesurer les effets in vivo d’un nouveau médicament. Il s’agit en fait d’une recherche longitudinale : à partir d’un modèle de souris, on marque un modèle de tumeur in vivo avec un émetteur de lumière, puis on active cet émetteur et on le visualise –tel est le domaine de l’imagerie optique moléculaire-, de façon à suivre l’évolution de la tumeur dans le temps et en particulier sa réponse à une thérapeutique. Dans le développement de nouveaux médicaments cela permet, au niveau préclinique, à la fois d’obtenir des informations essentielles sur la biodistribution du médicament un vivo, à partir de modèles animaux, et d’observer comment les molécules thérapeutiques en développement agissent sur la tumeur, en bien ou en mal ».
Un gain de temps essentiel, grâce à une méthodologie « ouverte », notamment aux entreprises du médicament, françaises et étrangères.
Lesquelles apprécient cet apport considérable dans la réduction des coûts de développement des médicaments et la possibilité d’éliminer le plus tôt possible des molécules n’ayant pas d’avenir.
Les recherches sont actuellement très ciblées sur la cancérologie. Mais, conclut Jean Chabbal, « d’autres applications se développent en cardiovasculaire -nous sommes par exemple capables de marquer une plaque d’athérome- et des potentialités se font jour, notamment dans le domaine inflammatoire ».
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