Publié dans Visite actuelle en mai 2000, la pénurie est toujours là 17 ans après, en pire

Remplacements des MG, gérer la pénurie

Par Jacques Busseau -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2000 - Visite Actuelle N° 61 - Page 0

Remplacements des MG, gérer la pénurie

Pour un généraliste, trouver un remplaçant, c’est dur. Les modifications des  conditions de niveau d’études requises pour les étudiants en vue d’effectuer des remplacements en médecine générale ont entraîné pour les médecins des difficultés à trouver un remplaçant. La vieille tradition française serait-elle en train de se perdre ?

 

 

En France, l’habitude a toujours été de remplacer les médecins absents par des étudiants en médecine, à l’inverse des autres pays d’Europe où les médecins transfèrent leurs patients vers d’autres confrères.

Schématiquement, il y a deux raisons à cela :

• d’une part le numerus clausus a baissé (il y a moins d’étudiants en médecine qu’il y a une vingtaine d’année) ;

• d’autre part, des dispositions législatives récentes ont rendu quasiment impossible à la dernière génération d’étudiants d’obtenir leur licence de remplacement.

En effet, l’Ordonnance du 24 avril 1996 a porté la durée du résidanat (internat de médecine générale) de 2 ans à 2 ans et demi, dans le souci d’assurer une meilleure qualité des soins promulgués au patient. Cette réforme a donc pris effet pour la génération des étudiants entrés en troisième cycle de médecine générale en 96-97.

L’objet d’un autre décret du 13 mars 1998 a été, lui, d’augmenter d’autant le niveau d’études requis pour effectuer des remplacements en médecine générale. Autrement dit, pour pouvoir effectuer des remplacements, il faut que l’étudiant justifie d’être inscrit en 3e cycle de médecine générale, et d’avoir accompli deux semestres de stages hospitaliers et un semestre chez un praticien agrée maître de stage.

Une dérogation du ministère avait cependant été introduite pour les étudiants n’ayant pas encore pu accomplir ce semestre chez le maître de stage jusqu’au 1er novembre 1999.  A l’approche de cette échéance, de nombreux médecins généralistes habitués à se faire remplacer et les Ordres départementaux ont cependant souligné l’incohérence de cette mesure (il y a d’ailleurs du changement dans l’air, voir encadré ci-contre).

 

Le problème des zones rurales

Les remplaçants n’y vont pas toujours. C’est en fait toute la question de l’aménagement du territoire qui pose d’autres problèmes : installations en zone isolée et désertification territoriale. Un cabinet très isolé, où le médecin est seul, n’attire pas forcément les remplaçants qui préfèrent exercer en ville. Si cette désertification devait s’aggraver, cela ne serait pas sans conséquence pour la santé publique.

Pour pallier cette carence, les médecins ont de plus en plus tendance à s’installer en cabinet de groupe. Ils peuvent ainsi assumer les patients de leurs confrères, en cas de vacances ou de maladies, sauf pour les spécialités techniques (chirurgie, radiologie) où ils ont toujours recours à des remplaçants.

 

Pénurie de maîtres de stage

Le problème est que mettre en place le stage et recruter un nombre suffisant de maîtres de stage qualifiés pour cette mission (c’est-à-dire des médecins installés en ville qui acceptent - et font accepter à leurs patients - d’avoir un étudiant à leur côté pendant les consultations) n’est pas chose facile pour les facultés. L’Ordre national des médecins, interrogé par le ministère sur l’opportunité de proroger la dérogation du 1er novembre 1999, se montrait favorable à toute mesure qui permettrait d’assurer les meilleures conditions de remplacement en médecine de ville.

Ainsi, dans l’attente de la publication d’un nouveau décret, les conseils départementaux pouvaient renouveler à titre exceptionnel et pour une période limitée la licence de remplacement aux étudiants qui en étaient déjà titulaires.

Cela n’a pas été le cas : certains n’ont accordé aucune dérogation, d’autres les ont limitées dans l’attente de nouvelles instructions.

 

Comment devenir remplaçant

Aujourd’hui aucune licence de remplacement ni dérogation n’est plus accordée aux étudiants qui sollicitent le renouvellement de leur licence de remplacement en médecine générale, s’ils ne peuvent justifier d’être inscrits en 3e cycle de médecine générale (avoir passé le certificat de synthèse clinique et thérapeutique) et d’avoir accompli deux semestres de pratique hospitalière et un semestre chez un maître de stage agréé. Cela exclut les étudiants inscrits en 3e cycle de spécialité (DES): ils ne pourront plus effectuer de remplacement chez un médecin généraliste puisqu’ils ne sont plus autorisés à effectuer le stage chez un praticien agréé.

Si l’étudiant effectue un remplacement sans y avoir été autorisé, il risque des sanctions :

• d’une part, pour exercice illégal de la médecine (article L 372 du Code de la Santé publique) et le médecin remplacé se rend complice de cet exercice illégal ;

• d’autre part, les caisses d’assurance maladie peuvent obtenir des contrevenants le remboursement des prestations versées par elles ;

• par ailleurs, les assurances professionnelles (Responsabilité civile professionnelle) peuvent ne pas prendre en charge les risques d’un tel exercice illégal.

 

Qu’est-ce qu’un maître de stage ?

Comme entrevu ci-dessus, l’étudiant en 3e cycle est tenu d’effectuer un stage rémunéré de 6 mois chez un médecin généraliste agréé, soit onze demi-journées par semaine, avant de pouvoir prétendre légalement à faire des remplacements.

Cette disposition met la France en conformité avec la directive européenne et répond à la nécessité d’une formation pratique sur le terrain de ce que sera le futur exercice de la médecine générale.

Le maître de stage est un généraliste praticien qui reçoit le stagiaire dans son cabinet.  Trois mille généralistes remplissaient déjà cette tâche dans le cadre de la procédure antérieure qui ne comprenait que 30 demi-journées de stage. L’augmentation de la demande impose de recruter de nombreux maîtres de stage. La maîtrise de stage est un enjeu important pour la profession : sa réussite conditionne la reconnaissance de la médecine générale.

C’est ici, bien souvent, que le futur généraliste apprend les choses essentielles pour son futur exercice : examiner un tympan, savoir palper et toucher le patient, l’écouter, l’installer dans un climat de confiance, lui laisser dire de quoi il souffre,  savoir dénouer une situation, appréhender un problème scolaire ou d’adolescence… Bref, avoir un rôle familial et social. Cela ne s’apprend pas toujours à l’hôpital.

 

Ce qu’en pensent les remplaçants

Cela dépend de leur cursus universitaire, c’est-à-dire des stages hospitaliers qu’ils ont effectués. Certains n’ont par exemple jamais fait de stage en pédiatrie, en gynéco-obstétrique, en ORL, en psychiatrie… L’hôpital ne les a pas forcément habitués à se trouver seuls devant un malade : il y a toujours le chef de clinique aux alentours qui peut aiguiller, le réanimateur qui peut aider, et aussi l’infirmière qui en sait beaucoup…

La transition de l’hôpital vers la ville est parfois abrupte. Pour que cette rupture avec le cocon hospitalier s’atténue, il faudrait que les assistants, PH et chefs de service soient plus attentifs à leurs étudiants.

 

Les remplacements en médecine générale par un médecin diplômé

Dans ce cas, on est plus tranquille. Quelques formalités d’usage sont néanmoins requises. Le médecin remplaçant doit être inscrit au Tableau de l’Ordre. Des médecins, ils sont rares, n’exercent que ce type d’exercice ; ils sont remplaçants permanents.

Le médecin remplacé doit déclarer le remplacement auprès de son conseil départemental en remettant une attestation d’inscription au Tableau de l’Ordre de son remplaçant (préférable à la copie de la carte d’identité professionnelle qui ne reflète pas les sanctions éventuelles) et un exemplaire signé du contrat de remplacement conclu.

 

Le remplacement du spécialiste

Le remplacement d’un médecin spécialiste qualifié peut être effectué :

• soit par un étudiant en médecine inscrit en DES (diplôme d’études spécialisées) de la spécialité concernée et titulaire d’une licence de remplacement délivrée par le conseil départemental ;

• soit par un docteur en médecine spécialiste qualifié dans la même discipline, conformément aux dispositions du règlement de qualification.

En fonction des spécialités, l’étudiant devra avoir effectué un certain nombre de semestres de stage. Par exemple, de 5 à 6 semestres pour les spécialités médicales. Le cas des chirurgiens est différent : ils doivent justifier 9 semestres de formation pratique, soit les trois-quart de la totalité de leur formation.

A noter que depuis le 1er novembre 1999, les internes de spécialités ne peuvent plus remplacer les médecins généralistes.

 

Combien ça coûte…

Aucune réglementation rigide n’existe en la matière. D’une façon générale, le remplaçant est logé, nourri (ou bien une indemnité correspondante lui est attribuée) : ses déplacements liés à la visite de la clientèle ainsi que les allers et retours lui sont remboursés.

La part moyenne des honoraires qu’il perçoit est habituellement de 50 %, mais il peut également toucher la totalité des honoraires (cela dépend du type de contrat de départ). Sa rémunération est établie à la fin du remplacement, sur la totalité des sommes perçues lors des consultations mais aussi celles qui seront versées postérieurement par les caisses d’assurance maladie dans le cadre de la CMU notamment.

 

La solution à l’européenne

Un médecin généraliste installé depuis 10 ans dans un cabinet parisien répond à nos questions :

 

Que pensez-vous du remplacement en France ?

“Quand je me suis installé, il y a dix ans, j’ai été confronté au problème du remplacement. D’une part, il s’agissait d’une période où déjà on trouvait peu de remplaçants, d’autre part, une fois trouvés, ceux-ci avaient des exigences extraordinaires : il me fallait leur laisser ma voiture, les loger et, sur le plan financier, leur laisser les honoraires des 25 premiers malades, “le reste étant pour moi”.  Comme je ne voyais pas les 25 malades “exigés” par jour, j’aurais donc dû leur payer la différence.  C’est à partir de ce moment-là que je suis devenu globalement défavorable à ce type de solution”.

 

Quelle autre solution avez-vous adoptée pour assurer le suivi médical de vos patients pendant vos vacances ?

“Dans mon quartier, il y a un cabinet de groupe qui prend toujours la même remplaçante. Celle-ci est bien connue des patients et est appréciée. Cette femme généraliste n’a jamais souhaité s’installer par ailleurs. C’est donc tout naturellement que j’ai pris l’habitude de transférer mes patients vers ce cabinet pendant mes congés. Déontologiquement, cela se passe bien, quand mes patients ont quelque chose qui ne va pas, j’ai toujours un compte-rendu. Bien entendu, je ne touche aucune réversion, mais ce qui m’importe c’est que mes patients soient vus dès que je ne suis pas là.

Mes patients trouvent cette solution très confortable : s’adresser toujours au même endroit, voir des médecins qu’ils connaissent bien, et à côté de chez eux les satisfont.”

 

Avez-vous perdu certains de vos patients ?

“C’est vrai qu’il y a le risque qu’un malade préfère le confrère habituel et continue ensuite à aller le voir.  Mais là où les choses sont drôles, c’est qu’il se passe aussi l’inverse. C’est le phénomène de la salle d’attente où les gens se parlent -”vous ne connaissez pas mon docteur qui prend actuellement ses vacances ;  il est vraiment bien ; vous devriez allez le consulter ”-  et c’est ainsi que je vois aussi arriver certains de leurs anciens patients .”

 

Dans quel cas, jugez-vous le remplaçant indispensable ?

“Si un confrère est touché par une maladie grave et qu’il doit s’arrêter au moins 6 à 8 mois. Dans ce cas, il est impensable de laisser le cabinet vide. Ce n’est pas une question financière, puisque les assurances prennent le relais pour indemniser le médecin malade, mais il s’agit surtout du devenir des patients pendant tout ce temps.”

 

Comment choisir son remplaçant ?

“Le plus souvent par le bouche-à-oreille entre confrères. Si l’on confie notre clientèle, c’est-à-dire des gens et des familles que l’on aime bien, on doit avoir confiance. Les annonces sont un peu trop anonymes de mon point de vue.”

 

En conclusion

Il y a quelques semaines, le Pr Bernard Glorion, Président de l’Ordre national des médecins, soulignait combien la situation pouvait apparaître délicate en notant que tout commence même avec la répartition des prescripteurs sur le territoire, “quand on constate qu’il y trois fois plus de médecins sous une ligne allant de Bordeaux à Lyon, cela pose problème car dans le même temps certaines régions sont un peu désertifiées comme le centre de la France ”.

Reste qu’il paraît peu probable de légiférer en ce domaine et de “contraindre” le corps médical à combler les “vides”.“On peut en revanche imaginer des procédures d’incitation à l’installation, poursuit le président ordinal : il faut attirer un certain nombre de médecins là où il y a besoin et en dissuader d’autres de s’installer dans des régions trop envahies. Mais on ne peut quand même pas imposer des installations ou pénaliser les praticiens. Les solutions relèvent avant tout de l’information et du conseil auprès des étudiants au moment de la Fac”.

On relève beaucoup de similitudes avec l’état des remplacements. “Dans ce cas, insiste pourtant le Pr Glorion, on peut avoir une autre philosophie : nous, Français, sommes apparemment les seuls en Europe à accepter que les étudiants assurent des remplacements. Ce qui signifie que dans les autres pays, les médecins se remplacent entre eux, selon un tableau de planification qui permet de s’adresser les malades à tour de rôle. Cela présente en plus l’avantage de garantir à la population une qualité de médecine égale, car un étudiant non thésé qui remplace n’en est encore qu’à ses débuts…Et pour les spécialistes, c’est encore plus criant. En chirurgie par exemple, il peut être préoccupant d’aller se faire opérer par un interne à qui il reste 4 ans d’études et qui n’a certainement pas encore étudié toutes les pathologies… Les médecins ont de fait une demande impérieuse de remplaçants mais il est peut-être temps aujourd’hui de considérer le problème sous un angle nouveau…”

 

 

Le problème du carnet à souche
Le remplacé laisse généralement son carnet au remplaçant, lequel doit l’utiliser en indiquant son nom et sa qualité ; le problème de la responsabilité respective du remplaçant et du remplacé, en cas de poursuite, n’a pas été tranché dans la pratique…

 

 

Remplacement sur Internet
Au moment où les médecins installés rencontrent des difficultés pour se faire remplacer, un nouveau site Internet spécifique (www.medecin-remplacant.com) propose de les mettre en relation avec les médecins cherchant à effectuer des remplacements. Ce service d’annonces gratuites est ouvert aux médecins installés et aux remplaçants de médecine générale ou de spécialité et offre également un service d’échange de garde et une bibliothèque de fiche pratique. A tester... Sinon, il y a les petites annonces et le bouche-à-oreille.

 

 

Prolongation…

Selon le Conseil national de l’Ordre des médecins, devant la pénurie de remplaçants et de maîtres de stage, le ministère semble actuellement envisager de façon sûre de prolonger la période transitoire de non-obtention du stage agréé jusqu’en 2001 (date initialement fixée au 1er novembre 1999). C’est une bonne nouvelle qui permettra de régler le cas des étudiants qui n’avaient pas encore pu valider leur stage chez le praticien.

 

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