La bataille entre pro et anti-Baclofène a connu de multiples épisodes : prescription hors AMM importante depuis 2009, RTU (Recommandation Temporaire d'Utilisation) déconnectée de la réalité en 2014, RTU raisonnable en mars 2017 et coup d'arrêt massif en juillet 2017 en passant la posologie maximale admise de 300 à 80 mg ! Un article du JIM daté du 21 juillet résume assez bien cette problématique : "Baclofène, la polémique s'envenime". On en oublierait presque que les sujets principaux de l'affaire sont des patients souffrant d'une addiction à l'alcool qui fait souvent de leur vie et de celle de leurs proches un enfer !
L'étude, strictement statistique, a pour titre "Le Baclofène en vie réelle en France entre 2009 et 2015. Usages, persistance et sécurité, et comparaison aux traitements des problèmes d’alcool ayant une autorisation de mise sur le marché." (Voir ici lien Apima http://www.apima.org/img_bronner/Rapport_Baclofene_2017_Assurance_maladie_ANSM.pdf ). Elle compare de 2009 à 2014, en analysant le remboursement de l'ensemble des patients du régime général entrant dans la définition ceux qui sont sous Baclofène "hors neurologie" (175 480 patients) à ceux qui sont sous Acamprosate (239 039), Naltrexone (84 061), Nalmefène (4 754) et Disulfirame (22 714).
Le constat est impressionnant : "l’utilisation du Baclofène, à fortes doses (plus de 180 mg/j), serait responsable de 10 morts et 116 hospitalisations supplémentaires pour 1000 personnes-années exposées par rapport aux traitements autorisés des problèmes d’alcool". Du coup, l'ANSM a eu le "courage" de limiter la prescription à 80 mg par jour sans autre forme de procès !
Mais premier "hic", l'étude elle même précise bien que le profil des patients n'est pas identique entre les deux cohortes (Baclofène versus autres traitement alcool). Gênant quand on compare l'efficacité d'un traitement sur une population (les alcooliques) dont la plus grande proportion n'est justement pas traitée et ô combien perturbée. Il eût été au minimum logique, plutôt que de se satisfaire de pourcentages de persistance dans le traitement, que l'assurance Maladie s'intéresse de plus près au sort des patients en faisant par exemple réaliser des entretiens avec des patients par les médecins conseils. Mais ça, c'est autrement du boulot que de faire tourner les ordinateurs bien au chaud entre opposants au Baclofène anonymes puisque personne n'a osé signer l'exploit !
Au lieu de réfléchir et surtout de concerter avec de vrais soignants qui voient de vrais patients, l'ANSM n'a pas trainé pour écrire aux médecins. La lettre se retrouve d'ailleurs sur son site. Cette lettre intitulée "RTU Baclofène : posologie maximale abaissée à 80 mg/j compte-tenu du risque accru d’hospitalisation et de décès au-delà de cette dose" rappelle que c'est 80 mg maximum, qu'il faut baisser de 10 à 15 mg tous les deux jours et invite à déclarer les effets indésirables (sans être d'ailleurs foutu de renvoyer directement sur la fiche de déclaration !). Le lien vers le rapport à l'origine de l'affaire est en plus déjà caduc !
En pratique, si vous n'avez pas l'habitude de prescrire du Baclofène, ce n'est sans doute pas le moment de commencer : 80 mg est une posologie qui aide à peine la moitié des patients et encore, il faut souvent monter plus pour redescendre ensuite. Si vous avez des patients sous 80 mg, pas de problème. Si vos patients sont au dessus, invitez les à essayer une baisse (certainement plus lentement que ce que préconise l'ANSM) et voyez ce qui se passe !
Si ça ne se passe pas bien, faites une déclaration de pharmacovigilance et demandez aux patients d'en faire une aussi. La déclaration du médecin et du patient peut se faire indifféremment à partir du lien https://signalement.social-sante.gouv.fr/psig_ihm_utilisateurs/index.html#/accueil . La présentation plus générale de l'action de signalement est sur ce lien.
Quand la baisse de posologie pose problème, notez "hors RTU" sur l'ordonnance, faites une déclaration de pharmacovigilance, demandez au patient d'en faire une , mais surtout impliquez le patient en lui faisant signer une décharge telle que celle-ci proposée par l'association Aubes. Une copie pour lui, une pour vous et une pour le pharmacien qui a besoin d'être sécurisé dans sa délivrance.
Ça ne protège pas de tout, mais le patient ne pourra pas arguer de son ignorance. Sinon, à défaut d'une pratique raisonnable, on va revoir des patients aller voir plusieurs médecins et pharmaciens pour avoir leur médicament : ce n'était pas l'objectif des pouvoirs publics, mais on y va tout droit.
Trouvé dans un article sur l'épisiotomie, cette belle métaphore citée par le professeur Claude Colette au sujet du principe de précaution : "C'est comme si vous sortiez avec votre parapluie ouvert tous les jours parce que vous avez peur qu'il pleuve...". À l'ANSM, on ne sort pas le parapluie, mais carrément le chapiteau !
Une suggestion aux complexes cerveaux anonymes ayant conçu et réalisé l'étude sur la prescription et délivrance du Baclofène : comparer une cohorte de patients douloureux soignés par paracétamol (voire par AINS) à une autre soignée par morphiniques. Parions que la mortalité est plus importante dans le 2 ème groupe. Et comme pour le Baclofène, surtout ne pas s'intéresser au résultat clinique sur la douleur !