C’est peu dire que le gouvernement a raté une belle occasion de montrer sa détermination dans la lutte contre les déserts médicaux, qui reste une préoccupation essentielle de la profession médicale et des élus locaux. On ne s’attendait certes pas à ce que le Premier ministre, Edouard Philippe et sa Ministre de la santé Agnès Buzyn annoncent, lors de leur déplacement commun à Châlus (Haute-Vienne) des mesures spectaculaires. Mais on est loin des espoirs nés des déclarations du candidat Macron il ya quelques mois.
Certes, le gouvernement, a dit le Premier ministre veut "faciliter" les initiatives locales et "les organisations innovantes" dans chaque territoire ; reste que ce principe réaffirmé restera lettre morte si l’on ne donne pas aux acteurs locaux les moyens de le mettre en pratique. Il n’est pas question non plus de mettre en musique des mesures coercitives même très minces, pour tenter de faire entendre aux jeunes médecins qui ont poursuivi leurs études dans des régions à la densité médicale faible, qu’ils auraient tout intérêt, avec des honoraires spécifiques par exemple, à s’installer plutôt dans ces contrées sous médicalisées que dans d’autres lieux. Il est vrai que la profession médicale s’est de tous temps élevée contre toute mesure qui pourrait menacer la liberté d’installation, même à la marge. Le gouvernement ne veut à l'évidence pas ouvrir un nouveau front avec les médecins libéraux
Reconnaissons que le développement de la télémédecine ou le doublement des maisons de santé peuvent avoir un impact et que l’intensification des stages pour les étudiants dans ces régions peu pourvues en médecins, auprès de praticiens déjà installés, peut donner des résultats positifs, tout comme la mesure facilitant le cumul emploi retraite des praticiens. Mais ces initiatives seront loin d’être suffisantes pour combler les « trous » et attirer des nouvelles vocations dans les campagnes où les services publics ont déjà disparu et où les écoles ferment les classes. Car c’est bien là le mal de la campagne française : les nouvelles générations partent vers la ville et on assiste ainsi année après année à un départ des forces vives qui faute d’avenir professionnel, ou d’avenir tout court se dirigent vers d’autres cieux.
Il faut regarder avec une attention toute particulière l’exemple de l’Isère, dont le conseil départemental a voté il y a quelques mois un dispositif très incitatif. Il prévoit ainsi un contrat d’installation pour les futurs jeunes médecins par l’octroi d’une bourse de 56 000 euros répartis sur la durée – trois ans- de l’internat contre une installation au terme des études pendant une période minimale de 2 ans. Les jeunes médecins généralistes devront s’engager à s’installer dans les zones labellisées« Désert Médical », c’est-à-dire celles qui comptent moins de 7 médecins pour 10 000 habitants.
Après leur sortie d’études, les internes auront la possibilité de s’installer directement ou bien 2 ans au maximum après s’ils veulent d’abord faire des remplacements.
Le département a également mis en place une aide matérielle à la première installation de médecins généralistes pour un montant de 10 000 euros, toujours sur ces zones sous médicalisées. Le Premier ministre qui a dit donc faire «confiance aux professionnels de santé et aux initiatives locales» pourrait se féliciter de cette initiative ; mais il aurait tort de s’en contenter.
Car si le dommage est parfois limité par la politique responsable de maires – de conseils départementaux- qui ont pris le taureau par les cornes, ils ne pourront pas toujours rester seuls face à un défi dont la collectivité nationale ne peut s’exonérer. Car on est encore loin du compte, même si l’arrivée de médecins étrangers venant de l’est ou du sud de l’Europe peut parfois laisser croire que la situation est moins critique que certains veulent bien le dire.
Tout n’est pas à jeter dans le plan du gouvernement mais comment se fait-il que l’on soit une nouvelle fois déçu par des annonces qui ne correspondent pas aux espoirs que les intentions ministérielles, voire présidentielles avaient suscité pour combattre les inégalités qui s’accroissent entre les régions, les départements et les villes ?
Dans ce contexte, la responsabilité de la profession médicale est tout autant engagée, sinon plus, que celle des pouvoirs publics. En refusant de réfléchir simplement à une limitation de la liberté d’installation dans des régions déjà bien dotées en médecins et notamment en généralistes, et à des dispositions qui sans être totalement autoritaires, mais plus qu’incitatives, feraient que des jeunes diplômés en médecine trouveraient des conditions d’exercice et de vie intéressantes dans des régions peu peuplées en médecins, elle porte une lourde responsabilité dans l'accroissement des inégalités. Reste à agir pour ces différences ne deviennent pas à la longue rédhibitoires.
Télécharger Renforcer l'accès territorial aux soins, format PDF