Nous sommes à un tournant de notre système de santé, qui peut encore le nier ? Au-delà de la dégradation de l’offre de soins, de la rupture de sa continuité, nous assistons, impuissants, à l’érosion progressive des droits des patients. Nous sommes les témoins désabusés du désengagement progressif de l’accès aux soins de la part de l’État qui, pour réduire les dépenses publiques en santé, en appelle à la dépense privée.
Tout a commencé au début des années 70, avec le désengagement progressif de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) du remboursement de la chirurgie ; puis ce fut au tour de l’optique, de l’auditif et du dentaire. Un nouveau chapitre s’ouvre, alors que la Cnam commence à se désengager des soins primaires, en limitant le recours à la téléconsultation et son remboursement mais aussi en confirmant le doublement des franchises médicales.
Alors qu’il a été prouvé que le recours à ces franchises, sous couvert de responsabiliser les usagers de soins, n’a fait qu’augmenter les inégalités sociales de santé, faut-il davantage pénaliser les patients pour faire des économies, a fortiori dans le contexte économique actuel ? Cette « contrepartie à un meilleur accès à la santé » ne va-t-elle pas à l’encontre du principe même de la Sécurité sociale ? N’y a-t-il pas d’autres leviers à activer, à commencer par les profits de l’industrie pharmaceutique, les prescriptions et actes injustifiés favorisés par le paiement à l’acte et la T2A, la fraude à la Sécu ?
Autre syndrome de ce désengagement progressif de la Cnam : sa prise de distance sur les remboursements des téléconsultations, dont s'accommode le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) qui semble ne pas avoir saisi le virage que doit prendre notre exercice ; dénigrant dès qu’il le peut ce qu’il considère (à tort) comme une « médecine fast food », faisant ainsi le jeu des syndicats réfractaires au changement.
Après avoir plafonné de manière arbitraire le volume annuel du recours à la téléconsultation et à la télé-expertise à 20% sous peine d’une double pénalité pour les praticiens réfractaires, l’Assurance maladie a décidé en septembre 2022 de mettre fin à son remboursement intégral. C’était vite oublier les besoins et la détresse des usagers de soins en zones sous-dotées et l’utilité d’un tel dispositif en Ehpad… Et cela ne signifie aucunement de cautionner le déploiement des cabines de téléconsultation dans les gares et les supermarchés. Et cela ne signifie aucunement de cautionner le déploiement des cabines de téléconsultation dans les gares et les supermarchés.
En élargissant le champ, que voit-on se profiler ? Une baisse des remboursements sur les soins primaires, donc, mais aussi des médecins frondeurs tentés par un déconventionnement qui priverait de remboursement leurs patients. Le tout sur fond de non-obligation pour les médecins de participer à la permanence des soins ou aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), suite au détricotage de la proposition de loi Valletoux sous la pression des syndicats médicaux dénonçant une atteinte aux libertés professionnelles.
Mais qui se préoccupe des patients, au final ? Tout ce « jeu » malsain met sur la touche nombre d’entre eux, qui se tournent alors vers ce que le privé s’active à déployer pour leur « offrir » un accès aux soins. Face à cette financiarisation progressive de la santé, les syndicats réfractaires au changement s’arc-boutent sur le modèle dépassé d’un médecin travaillant en solo en libéral, payé à l’acte, alors que le modèle devrait être celui d’une alliance entre ville et hôpital, entre salariés et libéraux conventionnés et faire la part belle au partage de compétences afin de coconstruire un service public de santé territorialisé et cogéré au nom de la responsabilité populationnelle.
L’urgence absolue, c’est une refonte du système d’accès aux soins, pour que le patient soit écouté et entendu, que ses plaintes soient prises en compte et que les médecins, collégialement, puissent y répondre, avec tous les outils à leur disposition. Sans ressources médicales supplémentaires d’ici 2035, une réorganisation vertueuse est obligatoire. La délégation de tâches est une nécessité et la télémédecine, un moyen dont la profession ne peut plus faire abstraction, apportant une solution là où personne n’en propose.
L’urgence, c’est de réadapter l’offre à la demande, en rééduquant la population à ce que doit être le besoin de soins. Il est grand temps de prendre en compte ces enjeux majeurs d’équilibre entre offres (pertinentes) et demandes (judicieuses) afin de rétablir ce lien humain et empathique qui est l’essence même de l’exercice médical, en présentiel ou à distance, pourvu qu’il soit au service et à l’écoute des patients. Ne nous trompons pas de combat !
Dr Cédric Villeminot, médecin généraliste salarié/libéral à Annecy
Dr Adrien Chaboche, médecin généraliste à Paris
Dr Dominique Maier, médecin urgentiste, fondateur du Centre médical d’appui
Dr Pascal Gleyze, chirurgien orthopédiste à l’Hôpital Privé de la Miotte (Belfort)