Par François Bourbillon, Directeur général, Santé publique France, Saint-Maurice, France (BEH N° 5, 6 du 19 février 2019)

Alcool et réduction des risques

- Théragora le 21février 2019 /FL N° 18 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

Les comportements des Français vis-à-vis de l’alcool, leurs modes de consommation, les risques pour la santé et leur perception, l’impact sur la mortalité, tout comme les modes d’approvisionnement des jeunes de 17 ans auxquels la vente d’alcool est interdite, forment un ensemble de connaissances qui permettent de fonder les stratégies de prévention des consommations excessives d’alcool et d’adapter au mieux les interventions et actions de prévention. C’est le mérite de ce BEH consacré à l’alcool que d’aborder ces multiples questions.

Ainsi, nous constatons : 

• une consommation d’alcool en France qui reste, en 2017, à un niveau élevé et relativement stable par rapport aux années précédentes : la quantité d’alcool pur consommée par habitant de plus de 15 ans est équivalente à celle de 2013 (11,7 litres). 

• une très grande hétérogénéité des modes de consommation, notamment selon l’âge et le sexe (JB Richard et coll.). Ainsi, 

– les consommations quotidiennes d’alcool s’observent essentiellement chez les 65-75 ans (26%) ; elles ne sont que 2,3% chez les 18-24 ans. En moyenne, 10% des 18-75 ans déclarent consommer de l’alcool chaque jour et les hommes trois fois plus que les femmes ;

 – à l’inverse, les ivresses régulières (au moins dix ivresses au cours des 12 derniers mois) s’observent principalement chez les jeunes de 18 à 24 ans et concernent 19,4% d’entre eux en 2017, contre moins de 1% des plus de 55 ans.

Les données de l’enquête Escapad (OFDT) chez les jeunes mineurs de 17 ans (A Philippon et coll.) confirment les données sur l’ivresse ; ils étaient 16,4% à déclarer avoir connu trois alcoolisations ponctuelles importantes dans le mois précédant l’enquête. Les mêmes jeunes mineurs interrogés dans le cadre de l’enquête Escapad n’éprouvent aucune difficulté à s’approvisionner en alcool ; ceux qui ont déclaré avoir bu des boissons alcoolisées dans le mois les ont achetées en magasin pour 91% d’entre eux ; ils sont même 77,5% à en avoir consommé dans un débit de boisson.

L’interdiction de vente aux mineurs peut donc être considérée comme non respectée.

• qu’il existe une frange de très gros buveurs : 10% des 18-75 ans boivent à eux seuls 58% de l’alcool consommé.

• que l’impact très élevé de l’alcool sur la mortalité se confirme. C Bonaldi et C Hill ont actualisé les fractions de mortalité attribuables à l’alcool qui dataient de 2009. Ils estiment à 41 000 le nombre de décès attribuables à l’alcool en France en 2015 : 30 000 chez l’homme et 11 000 chez la femme. L’alcool serait responsable en France de 7% des décès. C’est plus que ce qui est observé dans nombre d’autres pays européens.
Le fardeau sanitaire global lié à la consommation d’alcool est en effet très important, comme le confirme une récente étude mondiale parue dans la prestigieuse revue médicale anglaise The Lancet, intégrant 195 pays 1. Les minimes et très sélectifs effets protecteurs de l’alcool sont réduits à néant par ses effets délétères. Les auteurs montrent que boire de l’alcool quotidiennement, même en petite quantité, n’est pas sans risque pour la santé. Pour résumer les résultats de l’étude, l’une de ses auteurs, le Pr E. Gakidou, conclut : Less is better, none is best.

 

Il est donc nécessaire de réduire la consommation d’alcool pour en limiter les risques sanitaires et les dommages sociaux. Mais comment concilier le fait que la consommation occasionnelle d’alcool soit, pour une majorité de Français, synonyme de plaisir et de convivialité alors que ses usages sont à l’origine d’une très forte morbidité et mortalité dans notre pays et partout où il est consommé dans le monde ?

 

Un message simple pour le grand public

 

Développer une stratégie de réduction de risques

 

La solution de réconciliation est d’aborder la consommation d’alcool selon une stratégie de réduction des risques. Un travail d’expertise scientifique réalisé sous l’égide de Santé publique France et de l’Institut national du cancer (INCa), rendu public en mai 2017, ouvre la voie 2. Après avoir analysé les risques, les experts ont estimé qu’il fallait trouver un compromis entre les risques attribuables à l’alcool au sein d’une population donnée et le risque acceptable pour un individu qui choisit d’en consommer en connaissance de cause.

Sur la base de ce ratio « risque/plaisir », ils ont fixé des repères pour la consommation. Ils recommandent ainsi aux personnes choisissant de consommer de l’alcool de ne pas dépasser deux verres par jour avec au moins deux jours par semaine sans consommation, ce qui peut se traduire par : « Pour votre santé, maximum deux verres par jour, et pas tous les jours ».

Ces repères sont d’autant plus attendus qu’ils s’inscrivent dans une tendance à la régulation constatée au sein de la population française. Ainsi, parmi les consommateurs d’alcool, le pourcentage de ceux qui consomment au moins un verre par jour est passé de 24% en 1992 à 10% en 2017. I Obradovic et MA Douchet montrent bien, dans leur focus sur l’étude Aramis, comment les jeunes développent des stratégies d’auto-réduction de risques et des systèmes de régulation solidaire ; jeunes qui sont demandeurs de repères...

Les Français ont donc déjà amorcé une synthèse raisonnable, conciliant plaisir et consommation à moindre risque. Promouvoir ces nouveaux repères de façon concordante, quel qu’en soit l’émetteur – pouvoirs publics, producteurs, industriels, débitants… – serait une bonne manière de leur montrer qu’ils ont fait le bon choix : le choix d’une consommation à moindre risque. 

 

Source Bourdillon F. Éditorial. Alcool et réduction des risques. Bull Epidémiol Hebd. 2019;(5-6):88-9. http://invs.santepublique france.fr/beh/2019/5-6/2019_5-6_0.html


Références

[1] GBD 2017 Risk Factor Collaborators. Global, regional, and national comparative risk assessment of 84 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks for 195 countries and territories, 1990-2017: A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2017. Lancet. 2018;392(10159):1923-94.

[2] Santé publique France, Institut national du cancer. Avis d’experts relatif à l’évolution du discours public en matière de consommation d’alcool en France. Saint-Maurice: Santé publique France; 2017. 149 p. https://www.santepubliquefrance. fr/Actualites/Avis-d-experts-relatif-a-l-evolution-du-discourspublic- en-matiere-de-consommation-d-alcool-en-Franceorganise-par-Sante-publique-France-et-l-Inca

Au sommaire de BEH N°5 du 19 février 2019

La consommation d’alcool chez les adultes en France en 2017. Jean-Baptiste Richard / Santé publique France, Saint-Maurice) et coll.

L’alcool est responsable de problèmes sanitaires et sociaux à court et long terme. Le recueil par enquêtes des consommations individuelles d’alcool permet de documenter et de suivre les usages d’alcool dans différents groupes de population. Cet article propose une mise à jour des connaissances sur les niveaux et les modes de consommation d’alcool de la population adulte résidant en France métropolitaine. En 2017, 87% des 18-75 ans ont consommé de l’alcool au moins une fois dans l’année ; 21% déclaraient avoir connu une ivresse dans l’année, 10% étaient des consommateurs quotidiens et 5% consommaient six verres ou plus en une même occasion toutes les semaines. La consommation d’alcool apparaît de plus en plus masculine à mesure que la fréquence de consommation augmente. Elle évolue avec l’avancée en âge, avec une diminution du nombre de verres consommés associée à une augmentation du nombre de jours de consommations. L’hétérogénéité existe également en ce qui concerne la quantité d’alcool bue : à eux seuls 10% des 18-75 ans consommaient 58% de la quantité d’alcool consommée déclarée. En 2017, la consommation d’alcool restait courante et à un niveau relativement stable par rapport aux années précédentes. Chez les moins de 25 ans, les tendances récentes montrent une stabilité des alcoolisations excessives, ceci faisant suite à une décennie d’augmentation, notamment des ivresses régulières. La répétition des Baromètres et des enquêtes menées auprès des adolescents permet de suivre les tendances de consommation d’alcool et de décrire la diversité de ses usages.v

 

La mortalité attribuable à l’alcool en France en 2015. Christophe Bonaldi / Santé publique France, Saint-Maurice, et coll.

Cette étude actualise l’estimation de la mortalité attribuable à la consommation d’alcool en France métropolitaine en 2015, dernière année pour laquelle les données de mortalité sont disponibles. En 2015, 41 000 décès sont estimés être attribuables à l’alcool, dont 30 000 décès chez les hommes et 11 000 décès chez les femmes, soit respectivement 11% et 4% de la mortalité des adultes de 15 ans et plus. Ceci inclut 16 000 décès par cancers, 9 900 décès par maladies cardiovasculaires, 6 800 par maladies digestives, 5 400 pour une cause externe (accident ou suicide) et plus de 3 000 pour une autre maladie (maladies mentales, troubles du comportement, etc.). La fraction attribuable pour l’ensemble des pathologies associées à l’alcool représente jusqu’à 15% des décès chez les 35-64 ans contre moins de 8% pour les autres âges. Hors causes externes, un peu moins de 500 décès (1% des décès attribuables à l’alcool hors causes externes) sont attribuables à une consommation modérée entre 7 et 18 grammes d’alcool pur par jour, et 90% du total des décès sont liés à des consommations supérieures à 53 g/j.Bien que la consommation d’alcool ait beaucoup diminué en France depuis la fin des années 1950, on estime que 7% des décès chez les plus de 15 ans sont attribuables à l’alcool sur un total de 580 000 décès en 2015. L’impact sanitaire de la consommation d’alcool en France reste donc considérable. Ces résultats soulignent l’importance des politiques de santé publique visant à réduire la consommation d’alcool en France.l cliquez ici

 

Consommation et approvisionnement en alcool à 17 ans en France : résultats de l’enquête ESCAPAD 2017. Antoine Philippon / Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) Paris, et coll.

Pour pallier l’absence de données épidémiologiques sur les niveaux d’usage de substances psychoactives en population adolescente, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a initié en 2000 une enquête sur les modes de vie, la santé et les consommations de tabac, d’alcool et de produits stupéfiants auprès des adolescents français convoqués à la Journée Défense et citoyenneté (JDC). Le neuvième exercice de l’enquête nationale ESCAPAD (Enquête sur la santé et les comportements lors de l’appel de préparation à la défense) s’est déroulé en 2017. Ce dernier exercice est l’occasion de faire un état des lieux des consommations d’alcool et des modes d’approvisionnement à la fin de l’adolescence en 2017. En 2017, 85,7% des adolescents de 17 ans ont déclaré avoir déjà bu de l’alcool au cours de leur vie. L’usage régulier d’alcool (au moins dix fois dans le mois) concernait 1 jeune sur 10 (8,4%) et 44,0% des jeunes de 17 ans ont déclaré une alcoolisation ponctuelle importante (API) au cours du mois. Par ailleurs, malgré l’interdiction de vente aux mineurs, les adolescents qui ont déclaré avoir bu des boissons alcoolisées dans le mois étaient 91,0% à en avoir acheté en magasin et 77,5% à en avoir consommé dans un débit de boissons. La majorité d’entre eux (52,7%) a déclaré en outre n’avoir jamais eu à présenter de carte d’identité pour justifier de son âge lors d’un achat en bar ou en restaurant. Les résultats d’ESCAPAD 2017 confirment la très grande diffusion de l’alcool à l’adolescence et la persistance des comportements d’alcoolisations ponctuelles importantes (API). En outre, l’interdiction de vente de boissons alcoolisées aux mineurs s’avère peu efficace au regard de la facilité avec laquelle les adolescents semblent s’en procurer. Si ces analyses liminaires font apparaitre un léger recul significatif de l’expérimentation et des usages réguliers d’alcool entre 2014 et 2017, elles révèlent aussi la nécessité de renforcer les actions pour mieux garantir le respect de législation de la vente d’alcool.l cliquez ici


Lire le BEH du 19 février 2019 consacré à l'alcool cliquez ici

 

 

 

 

 

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