Alcoologie

Traiter l’abus d’alcool, c’est possible

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Impact Médecin N° 505 - Page 0

L’abus d’alcool concerne 15% de la population. Contrairement à l’alcoolo-dépendance, forme avancée d’alcoolisme, il est éradicable dans 50% des cas par une prise en charge adaptée. Le déni général reste l’obstacle à franchir.

 

Le Dr André Morge, généraliste auvergnat relève un défi thérapeutique. Très impliqué dans le réseau départemental PARADE* de prise en charge de l’alcoolisme, il se félicite de l’officialisation prochaine du réseau qui a déjà recruté et formé une quarantaine de médecins en Puy de Dôme : « Le principe est celui d’une prise en charge pluridisciplinaire des problèmes socio-psycho-juridico-physiques des patients. L’objectif, prouvé faisable en 3 à 5 ans, est de faire de 50% des abuseurs d’alcool des consommateurs abstinents ou normaux : pas plus de 3 verres par jour pour un homme, 2 pour une femme. ». Un étiquettage précis de la pathologie est indispensable. Le Dr Morge poursuit : « Les personnes en abus (ou excès) de consommation d’alcool en ont, selon le DSM IV** et la CIM 10***, un usage nocif qui entraîne des perturbations socio-professionnelles (conflit avec la maréchaussée, comparution aux tribunaux, licenciement, accidents de travail), physiques (cirrhose hépatique, neuropathie, cardiomyopathie) et personnelles (divorces) ». Cette mobilisation se heurte néanmoins au déni général persistant. Alors que l’on compte aujourd’hui 20% d’alcooliques dans la population française consultant les structures de soins (ville et hôpital) dont 15% de buveurs excessifs, 5% de dépendants.

 

Un patient sur deux touché entre 40 et 50 ans

Ajoutant sa contribution aux rares chiffres français de l’épidémiologie alcoologique, le Pr Michel Reynaud (psychiatre, chef de service au CHU de Clermont-Ferrand) entend donner de la publicité à son enquête (voir plus bas) sur l’alcoolisation en Auvergne. Un patient homme hospitalisé sur deux y est en délicatesse avec la liqueur bacchique entre 40 et 50 ans. A quoi répond une dommageable inertie thérapeutique. Les professionnels de santé repèrent la dépendance plutôt que l’abus, or cette dépendance offre un tableau propre à rebuter les soignants, tel le Dr Marc Doucin installé à proximité de Clermont-Ferrand :« Mes succès thérapeutiques sont confidentiels ». En réponse à cette perception négative du problème, le Pr Reynaud défend l’efficacité réelle d’une prise en charge au sein d’un réseau, simple mais pas assez diffusée. D’abord le repérage des buveurs excessifs (l’abus d’alcool) grâce au test DETA (voir encadré ci-contre en haut). Deux réponses positives au cours de l’entretien médecin-patient suffisent pour signer l’abus ou la dépendance. On passe alors au bilan physique qui comporte le dosage des marqueurs d’imprégnation éthylique. L’augmentation des gamma GT, peu spécifique, est tardive et les lésions tissulaires déjà installées. Il vaut mieux se fonder sur l’augmentation des CDT (carbohydrate deficient transférases) précoce et positive en 15 jours. Le taux de cette enzyme suit spécifiquement l’alcoolisation et disparaît avec elle. Vient ensuite l’évaluation du retentissement psychosocial, préalable à des interventions psychothérapeutiques courtes, qui freinent ou annulent l’évolution alcoolodépendante, qui se produit dans 70 à 75% des cas en l’absence d’intervention. Michel Reynaud insiste sur l’efficacité prouvée de ces thérapies brêves, dont l’apprentissage peut se faire aisément par tout généraliste : « Il s’agit de 15 minutes de conversation orientée et codifiée avec le patient, que l’on reconduit 3 ou 4 fois à une semaine d’intervalle ». A condition de trouver un lieu où se former ! Ils sont rares en France et l’adhésion des confrères n’est pas acquise : « Le trouble n’est pas vécu comme pathologique. Les patients ne sont pas réceptifs aux conseils, ils tiennent à leurs habitudes et font de l’humour sur les dégâts de l’alcoolisme. Le déni du malade précède celui du médecin », persiste le Dr Doucin.

 

Changer la culture de l’alcool

Michel Reynaud le sait et n’oublie pas de revoir les codes socioculturels impliquant l’alcool. Il prépare un large programme national de sensibilisation avec le soutien des pouvoirs publics enfin de préparer l’individu au conseil du praticien sur l’excès d’alcool. Une sorte de croisade en amont, une prise en charge graduelle avec une formation spécifique des MG qui éviterait le séjour en service d’addictologie. Là encore, le Dr Doucin objecte : « Les malades résistent à l’intrusion dans leur vie. Je propose, ils disposent. Ce qui n’empêche pas la fuite des clients rebelles à toute intervention. Un double fiasco car le patient ne se porte pas mieux et mon cabinet se porte moins bien » conclut-il. Le cas du Dr Gilles Demignieux installé à Blois incite effectivement à l’intégration en réseau de soins (tel PARADE). Il s’est tellement consacré à l’aide des alcooliques qu’il avoue une catastrophe économique : il ferme son cabinet. Non sans se réjouir d’y avoir « vécu des moments merveilleux sur le plan relationnel ». Pas du tout dégoûté de cet exercice il continue d’oeuvrer en institution. Il faut y voir un appel à la pratique épaulée et formée en réseau pour une réussite annoncée, scande énergiquement Michel Reynaud, en reconnaissant que les autorités de tutelle n’offrent que parcimonieusement le soutien qu’on serait en droit d’attendre. Le déni vole haut.

En 2017 l’INPES propose cette information au grand public.

 

* PARADE, Patients A Risque d’Abus et DEpendance. Réseau départemental expérimental en cours d’agrément ministériel proposant une prise en charge pluridisciplinaire synchronisée avec des MG payés aux forfaits (différents selon le niveau d’intervention) et des patients en dispense d’avance de frais.

** DSM IV : manuel américain de classication des maladies mentales, 4è mise à jour

***CIM 10 : Classification International des Maladies (OMS), 10è édition

 

TEST
Etes-vous en délicatesse avec l’alcool ? Le test DETA en quatre questions permet de le savoir.
1- « avez-vous déjà éprouvé le besoin de Diminuer votre consommation d'alcool ?»
2 - « votre Entourage vous a-t-il déjà fait des remarques à ce propos ? »
3 - « avez-vous l'impression de boire Trop ? »
4 - « Avez-vous besoin d'un verre dès le matin ? »
Deux réponses positives ou plus vous classent dans les personnes ayant des problèmes avec l’alcool.

 

 

L’excès d’alcool diagnostiqué une fois sur dix
Une étude transversale (ville et hôpital) de prévalence de l’alcoolisme en Auvergne a été réalisée en 1998 sous la direction du Pr Michel Reynaud. Le classement des comportements alcooliques s’est fait en abus, dépendance et problème d’alcool (personnes avec un score DETA supérieur ou égal à 2 sans signes psychiques ou physiques avérés d’intoxication).
A l’hôpital, tous services confondus, la prévalence de l’alcoolisation excessive chez les malades est de 22,5%, pour moitié des dépendants et pour un quart des buveurs excessifs. Elle concerne 4 fois plus d’hommes que de femmes mais la méconnaissance de la pathologie touche autant les uns que les autres. 25% des hommes hospitalisés entre 16 et 25 ans ont un problème d’alcool non diagnostiqué, un sur deux entre 36 et 55 ans (dont un tiers de dépendants). La situation ne s’améliore pas ensuite : jusqu’à 75 ans un tiers garde un problème d’alcool. Si les femmes sont moins touchées (une sur quatre entre 36 et 55 ans), la moitié de ces abus alcooliques est méconnue des soignants. Une prise en charge thérapeutique n’est proposée que dans 58% des cas en service psychiatrique, dans 17 à 19% des cas dans les autres services hospitaliers. Parallèlement, les généralistes n’ont pas recours à un avis spécialisé dans 80% des cas repérés, déjà peu nombreux. D’où la volonté affichée de Michel Reynaud : « il faut absolument traiter en amont les problèmes d’alcool, non plus en aval au stade des complications. » Volonté qu’il va mettre à l’épreuve en dirigeant bientôt à Paris le programme de sensibilisation national contre les addictions.

 

Les entretiens de Théragora
Les robots s'imposent dans le bloc opératoire
Les robots assistants chirurgiens sont désormais très présents dans les salles d'opération des hôpitaux. Associés à l'intelligences artificielle et à la réalité virtuelle, ils ouvrent la voie à la chirurgie cognitive de quatrième génération.
Archives vidéos Carnet Le Kiosque Théragora Mots de la semaine Derniers articles en ligne
Contactez-nous

Théragora est le premier site d'information sur la santé au sens large, qui donne la parole à tout ceux qui sont concernés par l'environnement, la prévention, le soin et l'accompagnement des personnes âgées et autres patients chroniques.

contact@theragora.fr

www.theragora.fr

Suivez-nous et abonnez-vous sur nos 5 pages Facebook

Facebook Théragora
Facebook Théragora Prévenir
Facebook Théragora Soigner
Facebook Théragora Acteurs de ma santé
Facebook Théragora Soutenir

Linkedin Théragora