D'après un entretien avec le Dr Mathieu Roumiguié, urologue au CHU de Toulouse, membre du sous-comité "vessie" au sein du CCAFU (comité cancérologie de l'AFU).

Tumeurs de la vessie : deux innovations clefs transforment le quotidien des patients

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Année 2018 - AFU N° 01 - Page 0


GRACE, ERAS, plusieurs programmes de réhabilitation améliorée pré, per et post-opératoire ont été développés. Leurs conclusions montrent qu'ils apportent une nette amélioration de la qualité de vie des patients opérés d'une tumeur de la vessie.

 

Quatrième cancer en fréquence chez l'homme (9ème chez la femme) et au 7ème rang pour la mortalité, le cancer de la vessie touche près de 12 000 personnes chaque année en France et conduit au décès de 3 000 d'entre elles. Lié essentiellement au tabagisme (et dans une moindre mesure aux expositions professionnelles à certains toxiques comme les amines aromatiques et les hydrocarbures aromatiques polycycliques - HAP) son incidence est en hausse. Après plusieurs décennies pendant lesquelles la prise en charge des patients n'a pas connu de grands bouleversements, ces tumeurs reviennent aujourd'hui sur le devant de la scène avec deux innovations importantes : la réhabilitation améliorée pré, per et post-opératoire et les premiers essais d'immunothérapie par anticorps monoclonaux (cf. encadré).
 
 
Les hématuries macroscopiques sont le principal signe d'alerte. La présence de sang dans les urines se retrouve chez 90 % des patients victimes de cancer de la vessie. Les saignements apparaissent souvent à la fin de la miction. D'autres signes, moins spécifiques, peuvent également être associés : envies plus fréquentes, brûlures ou douleurs lors de la miction… "La présence de sang colorant les urines doit conduire à consulter un urologue", rappelle le Dr Mathieu Roumiguié.

 

Quand la tumeur est limitée à la muqueuse…

Le spécialiste procèdera alors à un examen clinique approfondi et à des explorations complémentaires (ECBU, cytologie urinaire, échographie…). Il réalisera notamment une fibroscopie lui permettant d'examiner la cavité vésicale et de mettre en évidence des lésions suspectes. Il effectuera, si nécessaire, une résection par voie endoscopique de la (ou les) tumeur(s) présente(s). On parle alors de résection transurétrale vésicale (RTUV). La pièce opératoire est ensuite analysée par l'anatomo-pathologiste afin de déterminer le stade du cancer et son pronostic. 75 % des tumeurs de la vessie sont des carcinomes urothéliaux non infiltrants : seule la muqueuse est atteinte, le muscle vésical est intact (Tumeur de vessie non infiltrant le muscle - TVNIM). La majorité de ces tumeurs est plutôt de bon pronostic.
 
Une fois la RTUV réalisée, il est courant que soit proposée, en fonction du risque de récidive, soit une chimiothérapie intravésicale (mitomycine, doxorubicine, gemcitabine), soit une immunothérapie intravésicale par BCG. Jusqu’à présent, si les patients à haut risque rechutaient malgré un traitement de BCG bien conduit, l'urologue n’avait que l’ablation de la vessie (cystectomie) comme solution thérapeutique. Récemment, des immunothérapies de nouvelle génération ont fait l'objet d'essais cliniques pour ces tumeurs non infiltrantes récidivantes.

 

Cancer infiltrant, la cystectomie s'impose

25 % des cancers sont d'emblée infiltrants, c'est-à-dire qu'ils ont envahi le muscle (Tumeur de Vessie Infiltrant le Muscle - TVIM). Pour ces cancers qui sont de plus mauvais pronostic, la cystectomie précédée par une chimiothérapie néoadjuvante est recommandée. "Chez l'homme, nous procédons à l’ablation de la vessie et la prostate, chez la femme on réalise le plus souvent une pelvectomie antérieure et on résèque, en même temps que la vessie, l'utérus, la partie antérieure du vagin et – selon l'âge de la patiente – les ovaires", explique le Dr Roumiguié. Vient ensuite l'étape de la reconstruction. Cette reconstruction peut être continente ou non continente.


Reconstruire une nouvelle vessie

La dérivation urinaire continente se fait sous la forme soit d'une néovessie orthoptique, soit d'un réservoir hétérotopique.

- La néovessie orthoptique est ainsi nommée car elle est remise à l'emplacement originel de la vessie puis raccordée à l'urètre. Il en existe différents types, de formes variées. "On prélève 60 à 80 cm sur la partie terminale de l'intestin grêle, l’iléon, précise Mathieu Roumiguié. L'intestin est ensuite détubulisé. Puis, par un jeu de coutures, on fabrique une poche qui sert de réservoir à basse pression pour l'urine. Cette technique peut être aussi utilisée chez la femme en l’absence de lésion cancéreuse en regard du col vésical. Dans certains cas précis, la conservation des organes génitaux sera possible afin d’assurer un maintien de la qualité de vie sexuelle des patientes."
Pour qui ? Les conditions dépendent du patient (âge, absence d'insuffisance rénale, capacités physiques et psychiques…) et de l'évolution du cancer (notamment l'envahissement de l'urètre). Ces interventions sont habituellement proposées aux patients qui disposent d'un urètre préservé du cancer et d'un sphincter strié compétent. Il faut également que les patients soient capables d'apprendre à faire fonctionner cette nouvelle vessie qui ne réagit pas comme la vessie native, qu'ils soient motivés, et qu'ils soient en mesure de gérer les inconvénients susceptibles de survenir, par exemple sonder la vessie en cas de problème.
Chez la femme, dans certains cas précis, la conservation des organes génitaux (utérus et vagin) servira de soutien à la néovessie pour améliorer sa vidange.   

 

Aux origines de la néo-vessie
Dès 1852, le chirurgien John Simon a l'idée de pratiquer une dérivation urinaire à partir d'un segment de tractus intestinal. En 1911, Robert C. Coffey perfectionne la technique en mettant au point un système anti-reflux. Peu après, d'autres chirurgiens envisagent de détubuliser le segment digestif utilisé. Les bases théoriques de la technique sont donc là depuis la fin du XIXe siècle. Mais ce n'est qu'en 1950 que le Pr Roger Couvelaire réalisera la première néo-vessie à partir d'un greffon iléal sur un patient.

 

- La poche abdominale. Il existe de multiples montages possibles. Le plus connu est la dérivation continente de type Miami. Elle est conçue à partir du côlon droit et de la dernière anse iléale qui sont isolés du tube intestinal. "On utilise la valve qui fait la jonction entre l'intestin et le cæcum (iléo cæcale), et qui est continente. La poche est ensuite abouchée par un petit orifice stomial. Pour uriner, il suffit de mettre une sonde qui permet de vider le réservoir par auto-sondage", précise le Dr Roumiguié.
Pour qui ? Pour les patients dont l'urètre n'est pas fonctionnel ou colonisé par des cellules cancéreuses.

 


Pour les patients plus fragiles

Lorsqu'il n'est pas possible de fabriquer une dérivation urinaire continente, le chirurgien réalise une stomie urinaire.
Il s'agit d'une dérivation urinaire cutanée non continente qui débouche sur une poche externe. La méthode la plus employée est la stomie transiléale de Bricker.
Pour qui ? Pour les patients âgés, ou dont la maladie a atteint un stade très avancé. Et surtout pour ceux qui auront des difficultés à apprendre à utiliser une néovessie. Le Bricker est également conseillé en cas d'insuffisance rénale car les néovessies sont fréquemment contaminées par des germes issus de l'intestin, ce qui risquerait d'aggraver une maladie du rein.

 


Retour en GRACE

Plusieurs programmes, GRACE (Groupe Francophone de Réhabilitation Améliorée par Chirurgie) ou encore ERAS (Enhanced Recovery After Surgery) sont en cours. Ils visent à mesurer l'impact d'une prise en charge multidisciplinaire du patient avant, pendant et après l'opération. L'accompagnement est global : évaluation et prise en charge diététique (immuno-nutrition), exercice physique (remise en forme), recherche de comorbidités et traitement de ces comorbidités, suivi psychologique. L'ensemble de cet accompagnement préopératoire est coordonné par un infirmier spécialisé. L’objectif est que l'intervention se déroule au mieux. Par exemple, l'apport de compléments alimentaires protéinés améliore la cicatrisation et la pratique de la kinésithérapie respiratoire chez ces patients qui sont souvent d'anciens gros fumeurs, permet de réduire les complications respiratoires en postopératoire. "On prend le patient en charge dans sa globalité, avec ses facteurs de risque, et on essaye de lui apporter l'information, l'éducation et le soutien nécessaires dans tous les domaines." L'aspect psychologique n'est pas négligé. "Certaines équipes se sont rendu compte que l’intervention était mieux vécue lorsque le patient se rendait en marchant depuis l’accueil du bloc jusqu'à la salle d'opération ".
 
L'accompagnement se poursuit pendant l'intervention. Ainsi, le choix d'une anesthésie locorégionale ajoutée à l’anesthésie générale permet de diminuer les quantités de morphine injectées en postopératoire.
Après l'intervention, la reprise précoce d'une alimentation améliore également la récupération. Le but : favoriser la sortie la plus rapide de l'hôpital et un retour serein à domicile.

Enfin, toute une éducation est dispensée au patient pour qu'il apprenne à vivre avec sa stomie ou sa néovessie. La vessie artificielle, élaborée à partir d'un segment d'intestin n'a pas la contractilité nécessaire pour évacuer les urines, par ailleurs le cerveau ne reçoit plus de signal lui indiquant que le réservoir est plein. Le patient doit donc, de façon volontaire et consciente, programmer ses mictions et contracter ses muscles abdominaux pour uriner. Les fuites d'urine sont fréquentes pendant les premiers mois. Toutefois, à un an, 80 % des patients sont redevenus continents mais cela nécessite un apprentissage. Il est essentiel de savoir réagir en cas de "bouchon muqueux" (si vessie est obstruée et ne peut se vider) ou d'infection. L'entretien d'une stomie est plus simple, mais il faut également une éducation adaptée. "Tous les patients sont pris en charge par une équipe de stomathérapie qui leur explique la manière dont fonctionne leur dérivation. Les conséquences fonctionnelles de la chirurgie et notamment l’aspect sexuel ne sont pas négligés. Au final, le patient est entouré par 7 ou 8 professionnels de santé afin de devenir acteur de sa prise en charge."
 
Publiées en novembre 2017, les conclusions du programme ERAS sont très positives : "L’optimisation de la prise en charge périopératoire des cystectomies totales pour cancer de vessie par l’application d’un programme de réhabilitation précoce en CHU a permis de réduire de façon significative la durée de séjour postopératoire et a tendance à améliorer le taux de complications graves ainsi que le taux d’iléus postopératoires".
 
Les centres français développent progressivement ces structures de réhabilitation améliorée après chirurgie.
 

Et demain ?
Récemment sont apparues les interventions par voie cœlioscopique robot-assistées. Les premiers travaux ont montré la non-infériorité de cette approche par rapport aux méthodes traditionnelles.
Par ailleurs, les patients opérés ainsi saignent moins, l'hospitalisation est plus courte. Des études sont encore nécessaires pour confirmer ces résultats.

 

 

 

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Immunothérapie, où en est-on ?

L'immunothérapie, qui consiste à stimuler le système immunitaire afin qu'il détruise lui-même les cellules cancéreuses est pratiquée de longue date dans le cancer de la vessie. Mais de nouvelles approches sont en cours de développement.

L'immunothérapie utilise la réponse immunitaire pour détruire les cellules cancéreuses. Une première forme d'immunothérapie recourt au bacille de Calmette-Guérin (BCG), la bactérie présente dans le vaccin contre la tuberculose. Instillées à l'intérieur même de la vessie (immunothérapie intravésicale) à l'aide d'une sonde, les bactéries viennent stimuler localement la réponse immunitaire. L'interféron alpha peut être associé au BCG. Cette immunothérapie "à l'ancienne" est proposée après une chirurgie conservatrice pour les tumeurs non infiltrantes à risque de récidive.
 
De nouvelles approches en immunothérapie ont été développées récemment. Elles ciblent spécifiquement des mécanismes mis en place par les tumeurs pour se rendre furtives et invisibles au système immunitaire. Le plus connu est le check-point inhibiteur PD1-PDL1. Des anticorps monoclonaux anti-PD1 et anti-PDL1 ont été mis au point, en particulier le pembrolizumab (anti-PD1) et l'atezolizumab (anti-PDL1). Administrés en courtes perfusions intraveineuses, ces anticorps suppriment le "leurre" mis en place par les cellules cancéreuses. Dès lors, les lymphocytes reconnaissent à nouveau les cellules tumorales comme des ennemis à abattre. L'immunothérapie vise à aider le malade à guérir lui-même de son cancer.
 
Les premières immunothérapies dirigées contre ces check-points ont été testées sur le cancer du poumon métastatique et le mélanome métastatique avec des résultats qui ont surpris par leur ampleur : un pourcentage non négligeable de patients a eu, grâce à ces traitements, des régressions importantes de leur cancer. Chez certains, la rémission est durable. Le cancer vésical, étant lui aussi très immunogène, il semblait logique de tenter ces immunothérapies dans les tumeurs métastatiques de la vessie. Pour ces tumeurs de très mauvais pronostic, l'arsenal thérapeutique est réduit, essentiellement fondé sur le cisplatine, une chimiothérapie efficace mais dotée d'importants effets secondaires au point que la moitié des patients ne peuvent en bénéficier et demeurent donc sans traitement. Les premiers essais d'immunothérapie appliquée au cancer vésical métastatique ont, eux aussi, été très prometteurs : dans un essai, 21 % des patients étaient répondeurs. Dans une autre étude, 23 % des patients, en échec de traitement au cisplatine, se sont révélés répondeurs à l'atezolizumab.  Au congrès mondial de cancérologie de l'ASCO à Chicago en juin 2017, 10 % des présentations concernaient la sphère urinaire, en particulier la vessie, un organe qui n'avait plus été, depuis longtemps, sous les feux de l'actualité. Avantage de ces médicaments, leur bon profil de tolérance. Les effets indésirables – lorsqu'ils surviennent (10 à 15 % des cas) – sont en général contrôlés par des traitements adaptés. Initialement proposés pour des patients à des stades très avancés et en échec thérapeutique, les immunothérapies sont aujourd'hui en test à des phases plus précoces : cancer infiltrant dont la pièce anatomique a révélé qu'il était de mauvais pronostic (situation adjuvante), cancer infiltrant avant chirurgie si la chimiothérapie néoadjuvante n'est pas réalisable, cancer non infiltrant à haut risque de récidive… L'AFU est ainsi porteuse d'une étude qui visera à comparer le traitement standard des cancers non infiltrants de mauvais pronostic par BCG à une association BCG et anticorps monoclonal anti-PDL1 atézolizumab.
Autre piste : combiner les molécules. Avec une immunothérapie, seuls 20-25 % des patients répondent, avec 2 molécules associées on espère atteindre un taux plus élevé de répondeurs. Plusieurs essais sont en cours.
Depuis 40 ans aucun progrès important n'avait été observé dans le cancer de la vessie, l'immunothérapie pourrait être une révolution pour de nombreux patients. Reste à résoudre une énigme : certains patients répondent très bien au traitement, d'autres pas du tout. Il est essentiel de trouver des biomarqueurs permettant de faire une sélection appropriée des patients susceptibles de bénéficier de ces nouvelles immunothérapies.
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