A partir d’un entretien avec le Dr Marc Espié, responsable du centre des maladies du sein de l’Hôpital Saint-Louis à Paris et membre de la commission sénologie du CNGOF

Cancers du sein : en faire trop ou pas assez…?

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Année 2017 - Théragora juin 2017 N° 1 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

A partir d’un entretien avec le Dr Marc Espié, responsable du centre des maladies du sein de l’Hôpital Saint-Louis à Paris et membre de la commission sénologie du CNGOF


Sur-diagnostic et sur-traitements sont aujourd’hui les principaux griefs faits au dépistage organisé. Réalité-diversement évaluée- à l’échelle épidémiologique, ce point de vue est ingérable à l’échelon individuel : en l’état de la science, ne pas traiter les petites tumeurs que le dépistage organisé permet de révéler n’est pas envisageable.

 

A force de chercher, forcément on trouve. C’est ce que pensent certaines femmes, justi-fiant ainsi leur refus de souscrire au dépistage. En les soumettant à des mammographies régu-lières, on finirait par diagnostiquer plus de cancers qu’il ne le faudrait : en repérant des lésions de plus en plus petites, qui passant inaperçues ne se seraient peut être jamais manifestées clinique-ment du vivant des femmes, n’auraient en somme pas menacé leur vie, parce que ce sont peut être des tumeurs indolentes, qui ne deviendraient jamais agressives. C’est ce que l’on appelle le sur-diagnostic. Et c’est aujourd’hui de loin le principal reproche adressé par ses détracteurs au dépistage organisé : accusé d’en faire trop, et partant d’imposer trop de traitements, aussi lourds et invalidants qu’inutiles.

Rappelons avant tout que le dépistage organisé est un programme de santé publique, dont le but est de faire baisser, à l’échelle du pays, la mortalité par cancer du sein, loin d’être négligeable au regard des 12 000 décès annuels. Et si l’on veut y parvenir, il faut que 70 % de la population cible, des femmes de 50 à 74 ans, y souscrivent.

Le grief de sur-diagnostic qui lui est fait s’appuie sur une réalité : la détection de lésions qui n’étaient en effet pas repérées auparavant, petits cancers infiltrants et cancers canalaires in situ (CCIS). Le pourcentage de ces formes précoces a en effet augmenté, passant de 7,6 % en 1990-92 à 13,5% pour la période 2005-2007. Les CCIS représentent aujourd’hui 15 % des 37 000 cancers du sein détectés via le dépistage, selon la synthèse publiée en octobre 2016 par Santé Publique France : 37 % d’une taille inférieure à 10 mm, 77% sans envahissement ganglionnaire. L’étude me-née sur 29 902 femmes ayant participé au dépistage entre 2000 et 2010 dans trois départements (Hérault, Isère, Loire-Atlantique) (Molinié F. J Med Screen 2016) trouvées porteuses de tumeurs infiltrantes montre également une diminution linéaire de leur taille. En dix ans, le nombre de lésions supérieures à 2 cm a baissé de 108,4 à 84,1 pour 100 000. A lieu de considérer cela comme encourageant, peut-on réellement reprocher aux médecins de ne pas les laisser « dormir » ? Peut- on considérer, comme les anti dépistage, qu’une femme ainsi diagnostiquée aurait toutes les chances de mourir d’autre cause, avant d’être emportée par les conséquences cliniques de tels cancers ?

 

On avait auparavant un reflet indirect de cette notion, via des rapports d’autopsie, révélant la présence de cancers infra-cliniques chez 7 à 39 % de femmes décédées d’autre cause. Le sur-diagnostic a depuis fait l’objet de nombreuses études, menées rétrospectivement, fondées sur des calculs, projections et comparaisons entre faits observés et attendus. L’estimation qui en résulte varie de 3 à… plus de 50 % : quand les uns jugent que pour un décès par cancer du sein évité on en dépiste « abusivement » 3, les autres concluent à un cas pour deux décès évités. Pour Goetzche (Goetzsche PC, Nielsen M Srceening for breast cancer with mammography. Cochrane data base Syst Rev 2009 (4): CD0011877), le risque de sur-diagnostic serait de 33 %. L’Euroscreen Working Group (J Med Screen 2012; 19 suppl 1 : 5-13) l’estime entre 5 et 10 %, tandis qu’une étude publiée en Finlande en 2014 l’évalue de 5 à 7 %.

Il n’est pas question de le nier : le sur-diagnostic, estimé selon les données européennes de l’ordre de 1 à 10 %, existe certainement. « Si l’on considère une femme de 73 ans, chez qui l’on a repéré un CCIS et qui meurt trois ans plus tard d’un infarctus, on aura en effet fait du sur- dia-gnostic » convient le Pr Marc Espié. Mais au delà d’un tel exemple, « ce qui semble une vérité quand on l’examine sous l’angle épidémiologique, est absolument impossible à apprécier par les cliniciens à l’échelle individuelle, pour chaque patiente » prévient le sénologue. Un cancer du sein, ce n’est pas un cancer de la prostate, reconnu d’évolution lente. Outre que l’« on en a jamais vu régresser d’elle même », rien, devant une « petite » tumeur du sein, ne permet à l’heure actuelle de savoir quand, ni à quelle vitesse elle risque d’évoluer. Des études sont en cours pour évaluer la capacité des nouveaux tests génomiques à prédire parmi les CCIS, lesquels risquent une évolution rapide. De grands espoirs sont également aujourd’hui fondés sur l’étude de l’ADN circulant. Au-tant de progrès techniques dont on espère qu’ils permettront, demain, de modéliser le risque pour chaque femme. En attendant, à défaut d’être devins, les cliniciens ne peuvent, pour décider de la stratégie de traitement à adopter, que se fonder sur l’examen anatomopathologique, après biopsie, des lésions repérées à la mammographie et juger de leur dangerosité en fonction d’une combinaison de critères : taille et présence éventuelle de cellules tumorales autour, grade (dégré de malignité, dont d’agressivité), expression de récepteurs hormonaux.

Face à une « petite » tumeur, de type CCIS, « peu de femmes accepteraient aujourd’hui de vivre avec, en se contentant d’une surveillance » souligne le Pr Marc Espié. Sans pour autant se voir soumise à un sur-traitement. Son ampleur a elle aussi été évaluée par des chercheurs : Goetzsche et al et la Cochrane Data base, en 2013 ont ainsi estimé que le dépistage augmenterait le taux de mastectomies de 20 %. Cette affirmation ne repose que sur deux études. Les données « de la vraie vie », recueillies en Allemagne notamment, montrent une tendance inverse (Stang A Sur J Epidemiol 2013; 28: 689-696). Depuis l’introduction du dépistage, ce sont au contraire les traitements de chirurgie conservatric qui augmentent (de 75,6 à 80,9% pour les cancers in situ), particulièrement chez les femmes de 50 à 69 ans. Le nombre de mammectomies ne s’y accroit que chez les femmes plus jeunes, qui ne sont pas concernées par le dépistage. Dans ce contexte, accu-ser les médecins de trop traiter leurs patientes est un procès injuste. A Saint-Louis, nous avons même fait le choix de ne plus prescrire de radiothérapie post tumorectomie conservatrice : nous n’irradions plus les patientes avec un cancer in situ inférieur à 1 cm et de bas grade.

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