« Grâce aux grandes études épidémiologiques, les facteurs de risque sont un domaine florissant. Une étude écossaise, dans les années 90, a montré que la réduction de la mortalité cardiovasculaire était due pour 60% aux mesures d’hygiène dont 36% à la réduction du tabagisme. Elle inaugurait la vision globale des facteurs de risque. La réduction de la morbi-mortalité passe par la prévention. » annonce le Pr Daniel Thomas, président de la Fédération Française de Cardiologie en ouvrant le 4è congrès Epidémiologie et prévention des maladies cardiovasculaires qui vient de se tenir à Tours. L’étude multinationale MONICA a observé la baisse (1985-1995) d’un tiers de la mortalité en par pathologies coronaires en Europe de l’Ouest et sa flambée en Europe de l’Est. Mais, comme le souligne le Pr Pierre Ducimetière, coordinateur de Monica France à l’Inserm U258 de Villejuif, « cette variation est-elle due à une modification de la fréquence des événements cardiaques ischémiques dans la population ou à une modification de la létalité de ces événements, c’est-à-dire du taux de décès après prise en charge par le système de soins ?
L’efficience médicale est responsable de cette baisse pour un tiers, soit deux tiers d’efficacité liée à la prévention. » Mais à l’analyse des trois registres de MONICA France (Lille, Strasbourg et Toulouse) on constate une grande hétérogénéité interrégionale. » A Toulouse, les deux tiers de la baisse des décès sont attribuables à l’amélioration des traitements non à la baisse des facteurs de risque, alors que c’est l’inverse à Strasbourg. La modeste baisse lilloise des décès est attribuable essentiellement aux effets de la prévention (tabac, HTA, cholestérol et surpoids). « Compte tenu d’une meilleure hygiène de vie à Toulouse la marge maximale d’intervention concerne la prise en charge médicale. Alors qu’à Strasbourg et Lille, l’importance des facteurs de risque est telle que c’est en s’attaquant à eux qu’on obtient le rendement sanitaire le plus net. » explique l’épidémiologiste. CQFD.
Tabagisme, hypertension, diabète et hypercholestérolémie ne sont pas des risques nouveaux, mais on les considère enfin pour ce qu’ils sont, une bande dangereuse où l’union fait la force. « Chaque risque renforce son prochain, clame le Pr Joël Ménard, ex-directeur général de la santé retourné à ses recherches en cardiologie et santé publique, voilà 30 ans qu’on martèle l’importance du tabac, du cholestérol, l’HTA et du diabète, mais où est la prise en charge globale en médecine ? Il y a nécessité absolue d’une responsabilité individuelle, publique et médicale ». Joël Ménard attend aussi la prise en charge conjointe des accidents vasculaires cérébraux et des cardiopathies ischémiques : « Si les pathologies se distinguent les malades ne sont, eux, pas dissociés ».
La mortalité s’est décalée dans le temps ajoute-t-il : « Avant 75 ans le nombre de décès pour ces deux causes a beaucoup baissé. Après 75 ans les décès par coronaropathies stagnent alors que les décès par AVC sont toujours en diminution par rapport aux années 90. Passé 85 ans aucune diminution des décès n’est plus enregistrée, la mortalité absolue augmente de 117% alors qu’elle a diminuée de 26% avant 75 ans. » On atteint la limite d’efficacité des mesures médico-sanitaires, mais ce décalage de 10 ans dans le temps montre la voie : l’organisation prospective des soins.
« En pratique, soyons simples. Si le médecin ne peut pas agir sur un facteur de risque il doit s’attaquer sur les autres selon un calcul du risque global » Joël Ménard. Exemple d’absurdité, s’obséder sur l’hypertension d’une femme de 55 ans dont le premier risque vital est... le cancer du sein. Chez un diabètique le traitement cardiologique de l’HTA est impératif ainsi que l’arrêt conjoint d’un tabagisme. Mais voilà... les médicaments agissent vite, l’hygiène de vie lentement admet Joël Ménard en ajoutant : « la prescription est la responsibilité du médecin, la politique de santé la responsabilité du gouvernement. Au mieux, on peut espérer que la prescription corresponde au risque de la population, dans les faits ce n’est pas le cas. »
Confirmant le bien-fondé des appels de Joël Ménard : « Sur la lancée de MONICA et afin d’éclairer les décisions de santé publique justement, la France a poursuivi la surveillance épidémiologique des trois registres existants (Lille, Strasbourg et Toulourse), annonce le Dr Dominique Arveiler, épidémiologiste du centre de Strasbourg, la procédure a été simplifiée et la surveillance étendue de 35 à 74 ans. Les résultats 97-98 confirment les tendances de MONICA. De nettes disparités régionales persistent. Le taux annuel d’IDM global est de 226/100.000 habitants ; mais de 195 pour Toulouse, 241 pour Strasbourg et 243 pour Lille. La létalité augmente considérablement avec l’âge surtout chez les femmes : 24.5% contre 20.1% chez les hommes. » Une disparité où se mêlent la clinique moins évidente, l’attention médicale moins soutenue et la négligence préventive, à rapprocher d’une opinion fausse selon le Pr François Berthézène, endocrinologue : « Le traitement hormonal substitutif ne protège pas les femmes ménopausées contre les cardiopathies ischémiques (et favorise plutôt les AVC) ; il a d’autres indications. »