Antibiorésistance, les moyens de la rigueur

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2000 - Impact Médecin N° octobre 2000 - Page 0

Quand les résistances progressent plus vite que la recherche antibiotique, la complaisance n’est plus défendable. Test diagnostic rapide, traitements courts, vaccins et hygiène participent à l’évolution thérapeutique quand elle est nécessaire. Mais en dernier ressort la modification des comportements, tant publics que médicaux, est indispensable. Faudra-t-il un jour légiférer ?

Les gouvernements scandinaves ont osé. L’Islande, 200.000 habitants, a découvert le pneumocoque de sensibilité diminuée à la pénicilline grâce à l’introduction d’une souche espagnole. Devant sa flambée (20% des pneumocoques communautaires), le gouvernement tente en 1993 des mesures sanitaires drastiques : déremboursement des antibiotiques, formation médicale obligatoire, campagne d’information publique. Au bout de trois ans, il constate une réduction à 15% des souches résistantes (soit une baisse de 5% ) et une réduction 12,5% des prescriptions antibiotiques. L’effet a débuté rapidement selon une dynamique qui n’exclut pas une immunisation progressive de la population. Toujours au Nord, la Suède a adopté des mesures d’indemnisation des parents qui consentent à rester à la maison pour garder leurs enfants porteurs d’une souche de pneumocoque à sensibilité diminuée à la pénicilline, durant le temps du portage. Le but est d’interrompre la chaîne de transmission de la résistance dans la population des crêches. Faudra-t-il envisager de tels interventions en France ? La question est d’actualité, alors l’on attend dans six mois les résultats d’un travail français destiné à éclairer l’ensemble des acteurs sur les décisions à prendre en matière d’antibiorésistance.

 

Surprescription responsable mais pas coupable

Dans son rapport 2000 sur les maladies infectieuses, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) dénonce vigoureusement la complaisance médicale à l’égard des exigences de la clientèle dans les pays riches. Des remarques déjà formulés en 1998 par le rapport sur la prescription et la consommation antibiotiques ambulatoires de l’Agence du Médicament : « En France 36% des antibiotiques sont prescrits dans les infections virales. » Surprescription certes, mais le généraliste n’est pas coupable pour autant d’un récent dérapage, comme le signale Didier Guillemot, médecin et chercheur à l’Inserm U258 (Villejuif). « Il n’y a pas d’éléments permettant d’affirmer un dérapage antibiotique de la part des médecins généralistes. La prescription française a toujours été vrasemblablement supérieure à celle de nos voisins européens, alors qu’il n’y a jamais eu aucune raison pour que nos concitoyens soient plus exposés aux maladies. Environ un enfant rhyno-pharyngitique sur deux ressort de consultation  avec une antibiothérapie, exactement comme il y a 15 ans. Simplement les habitudes culturelles et historiques persistent, alors que l’évolution de l’antibiorésistance nécessite une modification radicale des comportements. »

A-t-on encore un doute sur la responsabilité de la prescription dans l’antibiorésistance ? Le choeur des chercheurs est sans appel. « Il est aujourd’hui indiscutable que la prescription antibiotique communautaire est LE déterminant de la résistance des bactéries. » affirme Didier Guillemot, relayé par le Dr Patrice Courvalin, au Centre National de Référence des antibiotiques (Institut Pasteur, Paris) : « La surprescription en médecine humaine porte la responsabilité principale de l’antibiorésistance bactérienne actuelle ». Briser les habitudes si l’on ne veut pas se confronter à la pathologie décrite par Ambroise Paré, telle est la désagréable leçon des faits.

 

A la recherche de l’hygiène perdue

Si le lavage des mains reste une panacée universelle contre les agents pathogènes, la promotion commerciale des antiseptiques génère une pression de sélection bactérienne dans les effluents domestiques et l’environnement. « Plus personne ne se lave les mains. On assiste à un recul social de l’hygiène à tous les niveaux, y compris dans le monde médical. Nous devons inculquer aux étudiants en médecine les principes de base qui devraient être acquis à l’entrée en faculté ! Cela devrait faire partie de l’instruction civique. » s’inquiète le Pr Charles Rabaud, infectiologue au CHU de Nancy-Brabois qui commente : « le risque infectieux domestique ne doit pas exagéré, mais mieux perçu par l’ensemble des acteurs. Le public interrogé sur le risque sceptique dans la vie courante se méfie de l’alimentation. L’hygiène corporelle, en particulier le lavage des mains, vient très loin en dernier.» Or la contamination de l’environnement fait courir des risques réels aux personnes fragiles de plus en plus souvent maintenues à domicile. Un exemple classique est le réfrigérateur qui doit être régulièrement nettoyé, celui d’individus immunodéprimés doit en plus être désinfecté. Encore faut-il faire la différence entre nettoyage et désinfection. « L’eau de Javel n’est pas détergente, mais on voit constamment des mères de famille rassurées parce qu’elles ont arrosé leurs sanitaires du dernier produit javélisé. Or il se forme des composants avec les résidus organiques qui n’ont pas été nettoyés. La désinfection est alors inefficace en toute bonne conscience. » précise Charles Rabaud qui s’alarme de la consommation courante d’antiseptiques hospitaliers commercialisés sous d’autres noms à grand renforts de pub. Ils se répandent en quantité sub-inhibitrice pour les bactéries dans le réseau des eaux usées où ils sélectionnent les souches résistantes. On favorise ainsi des pyocyaniques pour le moins robustes ! L’impact écologique de ces effluents doit être pris en considération rapidement sous peine de nouvelles surprises infectieuses.

 

Ecoute et information, les autres éléments de la prescription

Selon l’étude européenne PACE (Perceptions of Antibiotics Compliance et Efficacy), 85% de la clientèle réclament des explications supplémentaires sur le traitement et ses conséquences. Le médecin doit en retour adapter l’information au patient pour espérer être entendu. Un tiers des malades ne prête pas considération à ses avis parce qu’il critique leur validité (17%) ou parce qu’il sent ses besoins méconnus (13%). Première exigence, la rapidité d’action du médicament en moins de 3 jours, attendue par 80% des patients, et la disparition des signes en moins de 6, attendue par 74% d’entre eux. Et le traitement doit être court que la guérison escomptée...  Dans les infections respiratoires saisonnières, les patients pratiquent majoritairement l’automédication. Si la convalescence n’est pas amorcée dans les deux jours, ils se tournent alors vers leur médecin pour des antibiotiques. Ils viennent chercher en consultation non un diagnostic mais l’ordonnance qu’ils se sont déjà faite eux-mêmes. Presque tous les moyens sont bons pour forcer poliment la main du praticien qui connaît parfaitement le discours d’incitation. Le voilà devant l’alternative de satisfaire le client ou d’exercer la médecine « recommandée »...

 

La flore intestinale, plaque tournante des résistances

 

Le point de vue du Pr Antoine Andremont, bactériologiste à l’Hôpital Bichat - Claude Bernard (Paris) et spécialiste de la recherche sur l’écosystème bactérien du tube digestif.

Nous ingérons régulièrement des bactéries antibiorésistantes. Un travail toulousain suggère une absoption hebdomadaire chez l’adulte, sans colonisation durable car l’écosystème microbie intestinal s’oppose à la colonisation des souches extérieures. Ce flux alimentaire de souches résistantes ne va sûrement pas diminuer, car les animaux d’élevage reçoivent la moitié des antibiotiques consommés en Europe (5.000 tonnes en 1997), cela dans trois “ indications ” : curative (le traitement est généralement étendu au troupeau entier), préventive (lors du sevrage, période de fragilité), enfin économique. Dans ce dernier cas qui représente un tiers de la consommation antibiotique animale, de doses faibles, sub-inibitrices, sont utilisées au long cours comme promoteur de croissance. Les animaux prendraient, dit-on, 5 à 10% de poids supplémentaire et les éleveurs déclarent que c’est là leur marge bénéficiaire. Malheureusement, cette pratique aboutit à une forte pression de sélection sur la flore intestinale La contamination de la viande de boucherie est fréquente lors de l’abattage. Celle-ci ne serait pas si dangereuse si l’antibiothérapie humaine était parcimonieuse. L’antibiothérapie prolonge en effet la persistance digestive des bactéries résistantes. Lors de traitements répétés, comme c’est souvent le cas en hiver chez les enfants ceci abouti à la dissémination prolongée des souches… Pourtant, malgré cet impact inéluctable de l’antibiothérapie, aucun discours “ écolo ” ne peut justifier l’abstention thérapeutique lorsque le risque infectieux est patent. La peur des antibiotiques n’est pas plus pertinente que leur prodigalité. 

 

Les quatre piliers de la sagesse antibiotique
Quatre impératifs guident toujours la prescription antibiotique selon le Pr Henri Portier infectiologue au CHU Dijon.
1 - Moins souvent : Le nombre des prescriptions doit descendre au nombre des infections relevant des antibiotiques par le ciblage des infections bactériennes ORL et respiratoires basses, en écartant la rhinopharyngite et la bronchite aiguë, toujours virales. Face à une angine, c’est l’enjeu du test de diagnostic rapide (TDR) du streptocoque A b-hémolytique, dont l’usage devra être systématique selon Henri Portier : « Le TDR est un outil pour une prescription rationnelle. Il confirme ou infirme le diagnostic et permet l’adhésion du patient qu’il y ait antibiothérapie ou pas ».
2 - Moins longtemps : Le traitement doit être suffisamment long pour éradiquer la bactérie et suffisamment court pour être suivi par le patient. « De nombreuses équipes travaillent sur l’antibiothérapie courte des infections les plus répandues. Seuls les traitements courts de l’angine font pour l’instant l’objet d’un consensus* » rappelle Henri Portier. Une indication documentée ne nécessite qu’exceptionnellement une antibiothérapie supérieure à 10 jours. C’est donc la durée maximale recommandable.
3 - A posologie efficace : « Le sous-dosage est trop fréquent, il accentue la sélection des germes résistants sans éradication rapide des germes sensibles » reprend Henri Portier. Les posologies de l’AMM sont à respecter, tout en sachant que de nombreux facteurs modifient l’absorption et la diffusion: alimentation, co-prescription, troubles digestifs, hépatiques et rénaux. La lecture attentive du Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) permet d’optimiser l’activité antibactérienne à posologie égale.
4 - A spectre étroit : « L’emploi de produits à spectre large est rassurant lors d’une prescription quotidienne presque toujours probabiliste, mais c’est un grand facteur de sélection bactérienne » plaide Henri Portier. « En outre, l’antibiothérapie dite de couverture est un leurre, car si surinfection il y a, elle se fait à partir de bactéries locales partiellement résistantes, en particulier chez les enfants. La molécule utilisée sera donc très vite inefficace. »

* Les recommandations de janvier 1999 (AFSSAPS) pour le traitement des infections ORL et respiratoires basses en pratique courante ont été actualisées plusieurs fois. Les plus récentes datent de juillet 2015 par la HAS.

 

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