Entretien

Pr Lucien Abenhaîm : ne pas imposer le végétarisme contre Creutzfeld-Jakob

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2000 - Impact Médecin N° 505 - Page 0

Médecin épidémiologiste et biostatisticien, le Pr Lucien Abenhaîm a fait une partie de sa carrière à l’étranger, à l’Université MacGill de Montréal en particulier. Fana des chiffres et chercheur respecté, il est inconnu du monde politique quand Martine Aubry le sollicite durant l’été 1999 pour reprendre le poste de Directeur Général de la Santé, laissé vacant par la démission de Joël Ménard. Une mission délicate que les affaires de santé publique (dioxine, vache folle) rende bien médiatique pour cet homme discret.

 

" Le risque tolérable est celui qui ne nous impose pas le végétarisme. Jamais je ne dirai à la population de ne plus consommer de viande. Le doute ne doit pas empêcher d’agir."

 

Le risque de transmission humaine de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est-il alarmant aujourd’hui ?

Nous ne sommes pas en situation de crise à proprement parler, mais face à une alerte. L’incidence du nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jakob (nvMCJ) suit l’évolution de la courbe anglaise avec un décalage d’échelle et de temps [NDLR : 74 cas décès et  8 malades en Angleterre, 2 décès et un cas supect en France]. Notre population aurait un taux d’exposition à la viande bovine contaminée à 5% du taux britannique. L’éventuelle transmission à l’homme de l’encéphalopathie spongiforme bovine est donc une préoccupation de santé publique légitime au regard de la gravité de la maladie .

 

Quelles mesures de précaution prenez-vous contre cet agent infectieux non conventionnel ?

Il faut être ambitieux viser carrément l’éradication de ce prion pathologique par la déplétion du réservoir animal et les mesures limitant la transmission inter-humaine. Si je suis sis « radical » c’est parce que la présence de cette protéine prion anormale est totalement artificielle chez les bovins et par conséquent chez l’homme : elle a été introduite par les farines de viande de d’os ce qui convenons-en ne constitue pas une nourriture naturelle pour les animaux. En outre cet agent est très mal connu, ce qui nous impose un niveau de précaution plus élevé que d’habitude à cause des incertitudes actuelles. Cela passe par l’éviction des farines animales dans l’alimentation des ruminants puis par le retrait de la filière agro-alimentaire des tissus contaminés connus ou Matériels à Risques Spécifiés (MRS) c’est-à-dire cerveau, moelle épinière, amygdales, rate, thymus, instestins, enfin par les mesures interrompant une possible contamination interhumaine.

 

Plus précisément, quelles précautions ont été et seront prises concernant cette transmission interhumaine ?

« L’hypothèse d’une transmission sanguine du prion a été prise en compte depuis plusieurs années, soit bien avant les récentes publications. Actuellement, toutes les personnes qui ont été transfusées (par de produits labiles) sont exclues du don de sang. La circulaire sanitaire parue en 1995 sur les précautions relatives aux contaminations sanguines lors des soins est en cours de mise à jour. Elle devrait sortir prochainement. Les traitements spécifiques du sang se développent. Sont à l’ordre du jour la déleucocytation (en fait une déplétion leucocytaire profonde supérieure à 99.9% mais pas totale), et la nanofiltration, pour les facteurs de coagulation et autres dérivés plasmatiques. Ces mesures sont-elles suffisamment efficaces ? Nous avons saisi l’AFSSAPS (ex-agence du médicament) sur la question  et sur la place des dérivés plasmatiques  et recombinés (par synthèse génétique). La sécurité absolue de ces derniers est impossible du fait des supports animaux utilisés pour de tels produits. »

 

A risque infectieux extraordinaire, vous opposez des mesures extraordinaires.

« Ce n’est pas parce que le risque serait extraordinaire qu’on prend de telles mesures, mais parce qu’il s’agit d’un agent non conventionnel, charge de nombreuses inconnues, pour lequel on a une chance d’éradication de l’infection, en éliminant les réservoirs animaux.»

 

L’apparition des cas NAIFs, Nés Après l’Interdiction des Farines animales, de bovins montrent que cette mesure a des limites.

« Cela ne remet pas en cause l’interdiction des farines qui reste indispensable. Nous voyons là des défauts d’application des textes dans les débuts, mais les contrôles sont actuellement plus serrés. D’ailleurs l’interdiction s’est montrée efficace car elle a radicalement abaissé le nombre de cas d’ESB en Angleterre. On est passé de 30.000 cas annuels à des déclarations à l’unité pour les cas nés en 1996. En France le dernier cas d’ESB concernait un animal né en 1996.»

 

Face au potentiel infectieux inquiétant du prion, quel est le risque tolérable en santé publique ?

« La notion de risque tolérable ou acceptable ne se pose que pour des risques connus, tout au moins des estimations chiffrées. Or on ne dispose pas des probabilités de transmission du prion pathologique à l’homme, ni de risque chiffré lié à la consommation de viande. Personne n’a de modèle validé pour l’épidémie, du fait de la durée inconnue d’incubation et des facteurs de risque imprécis de la nvMCJ. Nous adoptons le princide de précaution qui impose d’agir, même en l’absence de certitude. Cela consiste à retirer de la chaîne alimentaire les MRS même quand on ne trouve pas qu’ils sont contaminés , et d’autre part de  prendre la série de mesures sur le sang, les soins...

 

Que répondre alors aux consommateurs qui ont des craintes et délaissent la viande ?

« Il est nécessaire les informations afin que chacun puisse adopter l’attitude qu’il souhait. Cependant, la viande est une source protéique, dont je n’ai pas besoin de rappeler l’importance dans une alimentation diversifiée et équilibrée. En quelques mots et en boutade, il n’est pas question que je prône le végétarisme. »

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