Chimie alimentaire à la limite de la pollution

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2020 - Votre pharmacien vous conseille N° 160 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

Vieille préoccupation, la toxicité de la chimie agro-alimentaire reste actuelle avec la multiplication des produits innovants. Les biotechnologies de l’alimentation peinent à rassurer les nouveaux consommateurs et les agences de surveillance.

 

 

Le monde changeant du risque alimentaire

Les instances internationales ont commencé leur surveillance des risques chimiques alimentaires vers 1950. La réglementation a continuellement évolué depuis pour faire face à la multiplication des produits et procédés agro-alimentaires. Elle s’est simplifiée sur la base de méthodes « raisonnables », faute de pouvoir les analyser en détails. Ce pragmatisme est inévitable quand l’innovation industrielle entraîne la croissance économique et financière. Inacceptable que la santé soit un dégât collatéral de l’industrialisation agro-alimentaire ! s’indignent certains. Certes, mais les risques évoluent et leur contrôle avec. L’allongement de la vie humaine permet de ressentir les effets chroniques d’une pollution auparavant invisible ; ce n’était pas l’urgence des siècles précédents, axés sur la qualité immédiate d’aliments très peu transformés dans les cuisines familiales. La surveillance française n’est pas parfaite mais la Cour de Comptes en 2019 admet que la situation s’améliore au fil de ses régulières recommandations.1

 

La « foire » à la chimie alimentaire

Un point scientifique des risques chimiques alimentaires a été fait le 11 mars 2004, lors d’une conférence réunissant les Académies vétérinaire, de médecine, de pharmacie, de chirurgie dentaire et d’agriculture.2 La réalité a enflée depuis. Les « éléments toxiques éventuellement présents dans les aliments végétaux et animaux des humains, sont de diverses origines ». Ils proviennent naturellement du sol (métaux lourds), des micro-organismes (antibiotiques au sens général), des plantes (allergènes, phytotoxines), des moisissures (mycotoxines), des micro-algues (phycotoxines). Ils proviennent de l’industrie humaine en production animale/végétale (engrais, produits phytosanitaires, médicaments vétérinaires, additifs alimentaires) et de pollutions accidentelles (dioxines, hydrocarbures, radionucléides, métaux lourds). Plus rarement, les polluants artificiels naissent de préparations culinaires ou de conservation domestiques. Il faut ajouter les substances frauduleuses vendues sur internet, parfois liées au commerce des compléments/suppléments alimentaires qui se sont beaucoup développés, surtout dans le domaine sportif. Enfin les nanoparticules sont le nouveau défi de la nutrivigilance, non des moindres.

 

Les nanoparticules ont la cote

La déclaration des substances nanoparticulaires est obligatoire depuis 2013 dans le registre R-Nano (Anses) ;  les fabricants, importateurs ou distributeurs de plus de 100 g de substances nanoparticulaires doivent en donner l’identité, les quantités et les usages prévus. Mais cette traçabilité est insuffisante. L’ANSES (voir encadré) a investigué les principaux emplois des nanomatériaux manufacturés dans l’alimentation.3

Les nanoparticules additives améliorent l’aspect de l’aliment en modifiant structure, couleur et texture : par exemple les additifs E 341iii (phosphates tricalciques) et E551 (silice amorphe). D’autres améliorent la sécurité des emballages et conditionnements, par exemple par leur fonction antimicrobienne. On peut même trouver des nanoparticules comme ingrédients nutritifs, par exemple dans les laits infantiles, tel le carbonate de calcium « nano » qui permet d’atteindre une teneur suffisante en calcium.

L’ANSES a repéré sept substances « nano » présentes de façon certaine dans les aliments : carbonate de calcium, dioxyde de titane (E171 interdit pour un an depuis le 1er janvier 2020), oxydes et hydroxydes de fer, silicate de calcium, phosphates tricalciques, silices amorphes synthétiques, composés organiques et composites. Mais elle suspecte la présence de trente autres, inavouées sur les étiquettes : aluminium, argent, or, phosphate de magnésium, citrate d'ammonium ferrique, sels de sodium, de potassium et de calcium, acides gras, etc.

 

Ils sont partout

Neuf cents produits alimentaires intègrent au moins un additif ou un ingrédient répondant à la classification « substances pour lesquelles la présence de nanomatériaux manufacturés est avérée ». Cela concerne surtout les laits infantiles (25,6%), les confiseries (15,6%), les céréales du petit déjeuner (14,8%), les barres céréalières (12,9%), les viennoiseries et desserts surgelés (10,9%), mais attention ces chiffres sont ceux connus avant la suspension française du E171…

Pour l’ANSES cela ne veut pas dire que tous les lots et chaque produit en comportent, mais elle s’inquiète de leur usage superflu quand l’industriel dispose d’autres éléments pour obtenir le même résultat technique. Car on cerne mal leur risque sanitaire. L’échelle du composé « nano » est intermédiaire entre celle d’un chromosome et celle d’un virus, ce qui lui permet d’entrer partout et de réagir potentiellement avec n’importe quelle molécule de la matière vivante. Les connaissances dans ce domaine étant très fragmentaires, l’évaluation des risques est totalement floue. Ce qui paraît à craindre d’abord est un effet inflammatoire peu ou pas maîtrisable.

 

Voir plus loin

L’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) venant d’éditer un guide d’évaluation des applications en nanosciences ou nanotechnologies, l’Anses propose d’adapter son évaluation du risque en fonction de la substance manufacturée, de façon soit standard, soit nanospécifique. Les premiers résultats sont attendus d’ici début 2021 à partir d’une définition propre à l’ANSES pour ne pas louper le coche.

Un « nanomatériau manufacturé » est un matériau de nature organique, inorganique ou composite, produit par l’Homme à des fins applicatives et composé en tout ou partie de particules constitutives présentant au moins une dimension comprise entre 1 et 100 nm (nano-échelle). De plus… Les particules constitutives peuvent être supérieures à 100 nm si elles présentent une surface spécifique importante ou des propriétés propres à la nano-échelle.

 

 

Quatre responsables sanitaires
La sécurité sanitaire de l’alimentation relève de trois administrations et d’une agence. Serait-ce trop pour être vraiment efficace ?

1- La direction générale de la santé (DGS) s’occupe de l’eau potable et conditionnée (embouteillée). En cas de crise, elle s’appuie sur l’agence Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).

2- La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) surveille le marché de la consommation : information sur les denrées alimentaires, sur les OGM, qualité et composition des denrées alimentaires, matériaux au contact des aliments, etc. Cette surveillance s’exerce à tous les stades de la chaîne alimentaire après la production primaire (confiée à la DGAL).

3- La direction générale de l’alimentation (DGAL) contrôle la production animale (avant abattage) et végétale (avant récolte). Elle intervient sur l’hygiène et la sécurité des denrées animales, de la transformation jusqu’au consommateur. Elle est chargée du contrôle sanitaire de la production de coquillages.

4- L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a dans ses missions l’évaluation scientifique, la sécurité sanitaire de l’alimentation.


Références

1- Cour des Comptes - Rapport public annuel 2019 – février 2019

2- Groupe de concertation entre Académies des sciences de la vie et de la santé (11 mars 2004)

3- ANSES -  Nanomatériaux dans les produits destinés à l’alimentation - Avis et Rapport d’expertise collective - mai 2020

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