En une phrase, Mickael Douglas a plus fait pour faire connaître le papillomavirus humain (HPV) que bien des acteurs en santé publique. Courant 2013, il évoquait dans la presse son cancer de la gorge et rappelait que ce cancer était parfois dû à la pratique du cunnilingus. Le virus, présent dans les voies génitales, peut en effet contaminer la muqueuse oropharyngée du partenaire à l'occasion d'un acte de sexe oral. Les chiffres le confirment : 40 à 46% des cancers de l'oropharynx sont la conséquence d'une infection au HPV. Le HPV 16, virus très oncogène est ainsi retrouvé à la fois dans 60 à 90 % des cancers du col de l'utérus et dans la quasi-totalité des cancers de l'oropharynx HPV-associés.
D'autres virus de la famille des papillomavirus sont également en cause. "Il existe 180 génotypes différents de papillomavirus", précise le Dr Charlotte Methorst, chirurgien urologue, membre du comité d’andrologie et médecine sexuelle de l'AFU. Parmi ces virus, une quarantaine a un tropisme pour la zone génitale. On les retrouve donc sur les muqueuses mais aussi sur les organes sexuels externes et à leur périphérie. Deux d'entre eux sont particulièrement redoutables, le HPV 18 et surtout le 16. D'autres sont considérés comme oncogènes mais beaucoup plus faiblement, c'est le cas des HPV 6 et 11.
Le HPV est furtif. Il passe partout sans se faire détecter. "Les infections à HPV sont les seules infections sexuellement transmissibles (IST) qui peuvent être transmises lors de relations sexuelles protégées", explique le Dr Charlotte Methorst. La petite taille du virus (55 nm) lui permet de traverser la barrière physique en latex ou en polyuréthane du préservatif, mais surtout le virus est également présent sur toute la zone génitale et pas seulement au niveau des muqueuses. Il n'y a donc nullement besoin de pénétration pour que le microorganisme se transmette. Dès les tout premiers attouchements, les premières caresses intimes, les adolescents peuvent être contaminés par un partenaire. Par ailleurs, le virus parvient à se camoufler de manière à être toléré par le système immunitaire. "Il y a en permanence présentation des antigènes HPV en faible quantité dans l'épithélium… Il n'y a pas de virémie, pas de signaux de danger pour les cellules et donc pas de lyse cellulaire…" Une fois présent dans les voies génitales ou sur les organes génitaux externes, le virus va tenter de s'introduire dans l'ADN des cellules afin de le modifier et faire évoluer ces cellules vers des lésions pré-cancéreuses. Entre le moment de la contamination et le déclenchement des lésions il peut s'écouler quelques semaines… ou quelques années.
Seul un prélèvement local permet de connaitre la présence du virus : "Il n'y a pas de sérologie HPV puisque le virus se dissimule".
Le HPV est connu pour être responsable de presque 100 % des cancers du col chez la femme et donc de plus d'un millier de décès par an. Les virus HPV sont également à l'origine de lésions bénignes ou cancéreuses chez l'homme : on retrouve ainsi la présence de HPV dans 96 % des cancers de la marge anale et au moins 33 % des cancers du pénis. "Les lésions qui donnent des condylomes (verrues génitales ou "crêtes de coq") sont dues à des HPV non oncogènes, mais quand un patient est porteur de condylomes le risque qu'il ait aussi été infecté par un HPV oncogène est beaucoup plus élevé", précise le Dr Methorst. Ainsi la probabilité de développer un cancer est-elle multipliée par 21 pour le cancer anal, 8 pour le cancer du pénis et 3 pour les cancers de la gorge quand on a des condylomes.
Les cancers de la marge anale ou du pénis sont rares mais en augmentation (+ 20% entre 1979 et 2009).
Les lésions induites par le HPV sont souvent asymptomatiques et le risque de les découvrir tardivement à un stade où elles ont déjà évolué vers un état précancéreux ou un cancer est important. "Lorsqu'une femme est touchée par des lésions dysplasiques au niveau du col (CIN), on retrouve dans 40 % des cas des lésions HPV induites au niveau de la verge chez le partenaire."
Le médecin proposera un bilan IST classique (VIH, VHB, VHC, syphilis, chlamydia…) aux deux partenaires, ainsi qu'un examen complet de la zone génitale : peau scrotale, marge anale pour l'homme, col de l'utérus et vulve pour la femme…
Sur le pénis, les lésions peuvent être apparentes. Pas toujours. Même chez l'homme, les recherches de lésions HPV induites nécessitent l'utilisation d'un colposcope (grossissement 15) et le badigeonnage à l'acide acétique pour rendre ces dernières plus visibles.
Les condylomes se traitent bien, soit à l'aide d'un immunomodulateur l'imiquimod (Aldara®), soit par des traitements chimiques (5Fluoro-Uracile, podophyllotoxine), soit par des traitements physiques (laser CO2, cryothérapie, électrocoagulation, et dans certains cas chirurgie). Les lésions précancéreuses se traitent également efficacement quand elles sont découvertes au stade des dysplasies. Au stade du cancer avéré, les traitements sont plus lourds ; selon le grade et les facteurs de risque associés, le pronostic est plus ou moins sombre.
Chez la femme, la pratique des frottis a permis de diminuer de moitié le nombre de nouveaux cas de cancer du col en 20 ans ainsi que le nombre de décès. Chaque année les gynécologues prennent en charge 24 000 lésions précancéreuses et 50 000 verrues génitales.
À l'heure où le Ministère de la santé préconise 11 vaccinations obligatoires, il est légitime de se demander pourquoi en proposer une douzième, certes facultative. Tout simplement parce qu'elle est très prometteuse. "Les différentes études publiées montrent un vrai bénéfice pour la femme à être protégée contre ce virus", explique le Dr Methorst. En Australie, où la vaccination est recommandée dans les écoles depuis 2007 et où la couverture vaccinale atteint 70 %, la prévalence du HPV chez les jeunes filles a diminué de 77 %, les verrues génitales de 93 % et les anomalies de haut grade du col de 46 %. Cette vaccination des filles a entraîné une "immunité de groupe" qui a partiellement protégé les garçons également (réduction de 12 % des condylomes).
Vacciner les jeunes garçons permettrait d'aller encore plus loin dans cette "immunité de groupe". Une étude pivot française, l'étude P020, montre une forte efficacité du vaccin sur les condylomes (moins 89 % quand l'homme est vacciné) et sur le risque de cancer anal (moins 77 %).
Pour l'heure, la situation de la France est préoccupante, avec une couverture vaccinale à 17 % seulement chez les jeunes filles et quasi-inexistante chez les garçons.
Un rapport du Haut Conseil de la santé publique (HCSP)[1], daté de 2016, recommande la vaccination chez les hommes ayant des rapports avec d'autres hommes. Ces vaccinations peuvent se faire gratuitement dans les CeGIDD (Centres gratuits d'information dépistage et diagnostic).
Le schéma vaccinal est variable selon l'âge du patient : deux doses espacées de 6 mois s'il s'agit d'un adolescent de 11 à 13 ans, 3 doses entre 14 et 19 ans pour le vaccin quadrivalent Gardasil® (2 doses espacées de 6 mois entre 11 et 14 ans pour le vaccin bivalent Cervarix® et 3 doses entre 15 et 19 ans).
Une équipe américaine a publié, en 2015, dans le Lancet, les résultat prometteurs d'un vaccin thérapeutique chez des patientes déjà atteintes par une néoplasie cervicale intra-épithéliale (CIN). Le vaccin a permis la régression des lésions CIN 2 et 3 vers un CIN 1 ou un retour à la normale chez 48,2 % des femmes contre 30 % des femmes dans le groupe placebo.
Les facteurs de risque
- Le nombre de partenaires et la précocité des rapports.
- Le tabagisme qui diminue l'immunité locale.
- Le statut HPV du partenaire.
- Les rapports homosexuels (masculins).
- L'immunodépression (VIH, traitement immunosuppresseur).
[1] Rapport adopté par la Commission spécialisée Maladies transmissibles, « Vaccination des garçons contre les infections à papillomavirus », collection Avis et Rapports, 19 février 2016.
[2]NCT01894425
À propos de l’AFU
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