D'après un entretien avec le Pr Stéphane Droupy, responsable du comité scientifique de l'AFU, chef du service d'urologie au CHU de Nîmes

Préservation de la sexualité des patients atteints de cancers : l’urologie en pointe

- Théragora le 30 janvier 2019 /FL N° 17 - Page 0

 

 

L’oncosexologie, cette discipline à l’intersection entre l’oncologie et la médecine sexuelle, est officiellement née en 2006 à Rotterdam quand le radiothérapeute Luca Incrocci a créé la société internationale d’oncosexologie (ISSC). Si cette discipline est récente, l’urologie, grande pourvoyeuse de dysfonctions érectiles radio-induites ou consécutives à la chirurgie pelvienne, s’intéresse de longue date à préserver au mieux la vie intime de ses patients. La prise en charge des cancers urologiques, qui privilégie des interventions de plus en plus conservatrices, et le développement conjoint de stratégies thérapeutiques efficaces pour booster les érections permettent aujourd’hui de proposer à chaque patient des solutions thérapeutiques adaptées en fonction de leur mode de vie et de leurs attentes.

 

 
Le questionnaire est écrit à la plume. Il se compose de 9 items dont 2 portent sur l’érection et la qualité des relations sexuelles. Ce document a plus d’un siècle. Il a été rédigé en 1905 par le Dr Joaquin Albarràn, urologue français d’origine cubaine. Ce dernier le remettait à ses patients afin d’évaluer l’évolution de leur sexualité après une exérèse de la prostate. Dans les années qui suivent, un de ses élèves, Edmond Papin, publie une thèse très fournie sur « les fonctions sexuelles et la prostatectomie ». 
Si l’oncosexologie est une discipline très récente et encore peu répandue en France (beaucoup de Centres de Lutte Contre le Cancer ne proposent pas de consultation de sexologie), cette problématique est en revanche depuis toujours au cœur de la pratique médicale des urologues. « Nous sommes directement concernés. D’une part, nous générons des troubles sexuels lorsque nous traitons certains cancers urologiques, et d’autre part, nous sommes spécialisés dans la prise en charge de ces troubles », note le Pr Stéphane Droupy.
                  

L’oncosexologie en 3 dates

1905 : le questionnaire d’Albarràn évalue la sexualité des patients après prostatectomie.

- 1981 : premier article international sur la préservation de la sexualité dans le cancer de la prostate. La même année, les premières injections intra-caverneuses sont proposées à des patients ayant subi une ablation de la prostate.

- 2006 : premier congrès de l’International Society for Sexuality and Cancer (ISSC) sur le thème : « Oncosexologie, une nouvelle discipline ? »

Le prix à payer ?

Tous les cancers pelviens sont à risque de provoquer des lésions sur des organes qui touchent, de manière mécanique ou symbolique, à la sexualité. L’exérèse de la tumeur (ou sa destruction par radiothérapie) peut ainsi entraîner des altérations de l’innervation, de la vascularisation voire de l’organe lui-même. D’autres cancers affectant la sphère digestive, urogénitale ou gynécologique, sont également grands pourvoyeurs de troubles de la sexualité en raison des conséquences qu’ils ont sur le schéma corporel du patient. « Pendant longtemps, on a considéré que la perte de la fonction sexuelle était le prix à payer pour guérir ou pour gagner quelques années de survie », rappelle le Pr Droupy. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
 

 

Une chirurgie de plus en plus économe
 

Dans les années 80, dans toutes les spécialités chirurgicales, le mot d’ordre est à la prudence. Les chirurgies sont radicales, on enlève tout, on coupe large afin d’accroître les chances de guérison du patient. Qu’importe si parmi les structures réséquées, se trouvent les nerfs permettant l’érection pénienne ou celle du clitoris… 
 
Au fil des ans, la cancérologie a évolué vers une chirurgie plus économe, préservant mieux les différentes structures. Les radiothérapies et chimiothérapies néo-adjuvantes ont également été utilisées pour faire régresser la tumeur avant l’interventionafin que le geste chirurgical soit le moins délabrant possible. Même en cas de chirurgie radicale, les praticiens sont attentifs à préserver les bandelettes vasculo-nerveuses qui se trouvent de part et d'autre de la prostate et de la vessie.

Ultime étape : l’apparition de traitements focaux permet de limiter l’exérèse, voire d’éviter toute chirurgie. « Ces traitements innovants sont très recherchés par les patients en raison de leurs moindres effets secondaires », précise le Pr Droupy qui rappelle toutefois que beaucoup d’entre eux sont encore expérimentaux, et n’ont pas été évalués en matière de survie sans récidive.
 
En parallèle de cette évolution des prises en charge, est apparue au décours des années 2000 la notion de soins de support. L’oncosexologie est le dernier-né de ces soins de supports qui englobent la prise en charge de la douleur, de la fatigue, les conseils nutritionnels, la lutte contre les effets secondaires des thérapeutiques anticancéreuses (nausées, troubles digestifs, troubles cutanés…). 

 


Informer avant toute chose
 
Beaucoup de traitements généraux du cancer induisent de la fatigue et une kyrielle d’effets secondaires qui entraînent une inappétence pour les relations amoureuses. Les castrations chimiques nécessaires  pour traiter certains cancers du sein ou de la prostate anéantissent la libido ; elles sont en outre responsables de sécheresses vaginales chez la femme et de modifications des réactions sexuelles chez l’homme. Il convient d’informer les patient(e)s afin qu’ils déterminent la prise en charge thérapeutique la plus adaptée à leurs attentes.  Certains peuvent choisir de vivre autrement, d’opter pour une certaine forme de qualité de vie, au détriment de la quantité de vie.

Parler de sexualité aux patients souffrant d’un cancer uro-génital est essentiel. Dix à 20 % des hommes touchés par une absence de libido consécutive à leur traitement conservent une « envie d’avoir envie ». En particulier ceux dont la perte de sexualité entraîne des dysfonctionnements au sein du couple. Il existe peu de solutions pour les patients castrés chimiquement, dont la libido est en panne. Néanmoins, des aides et un accompagnement sont possibles. Sur le plan technique, les thérapeutiques orales, locales, les injections intra-caverneuses de prostaglandines ou les implantssont des moyens efficaces pour restaurer une érection. Une sexothérapie bien conduite amène en parallèle ces hommes à considérer la sexualité différemment, à ne plus la vivre en fonction de leurs performances antérieures, à faire le deuil de ce qu’ils furent, à inventer de nouvelles formes de relation amoureuse.

La femme oubliée de l’oncosexologie ?

Ce n’est qu’en 2010 que se tient le premier congrès d’oncosexologie chez la femme. Les raisons pour lesquelles la sexualité féminine post-cancer a été plus longtemps négligée sont multiples. D’une part, les conséquences d’un trouble sexuel sont moins « visibles » que chez l’homme. D’autre part, la médecine avait peu de solutions à proposer à ces dernières. Le développement récent de thérapies efficaces pour lutter contre les sècheresses vaginales consécutives aux traitements des cancers gynécologiques a permis de faire avancer la cause. 

 

Envisager une rééducation dès l’acte chirurgical



Avec 20 000 interventions par an, la prostatectomie est souvent pourvoyeuse de troubles sexuels chez l’homme. La radiothérapie n’est pas en reste car les rayons peuvent léser des structures nerveuses ou vasculaires voisines. Il est possible d’éviter ou réduire ces troubles. « Chez le patient fraîchement opéré ou ayant subi une radiothérapie susceptible de provoquer une dysfonction érectile, on propose une rééducation. Juste après l’intervention, ou dans les semaines qui suivent, nous mettons en place un traitement per os pour stimuler le retour des érections », précise Stéphane Droupy. Cette approche est préconisée même lorsque le patient n’en exprime pas la demande. « Nous lui expliquons que ses chances de retrouver une sexualité épanouissante dans six mois ou dans un an (quand il se sentira plus en forme) seront bien meilleures si on s’y intéresse dès maintenant. »
 
La rééducation passive consiste à prendre quotidiennement un comprimé de Tadalafil (seul traitement ayant une AMM pour cette indication). Le médicament vise à favoriser les érections nocturnes réflexes, qui vont réoxygéner les corps caverneux.  Si le traitement ne fonctionne pas – ou pas assez –, il est possible de proposer un autre dosage ou un autre médicament de la classe de IPDE5.

La rééducation active concerne les patients désireux de retrouver au plus tôt une érection de qualité. Elle recourt, selon les situations, aux différentes thérapeutiques disponibles pour relancer la sexualité : médicament per os, prostaglandines en injection intracaverneuse ou sous forme de gel, vacuum (pompe à vide)… « La récupération est possible dans les deux années qui suivent l’intervention. L’expérience montre que même si les résultats sont décevants au début, on peut espérer une restauration progressive des performances sexuelles. »
Et pour ceux qui ne récupèrent aucune érection ? « Lorsque la préservation nerveuse n’a pas été efficace ou n’a pas été faite, nous pouvons proposer des implants péniens », ajoute Stéphane Droupy. Ces implants qui se gonflent à la demande, permettent de maintenir une rigidité suffisante pour des rapports de qualité.  Envions 700 implants sont posés chaque année en France. 
 

 

Les ondes de choc, un nouveau traitement pour la dysfonction érectile
 

Découvert par l’urologue israélien Yoram Vardi, le traitement des dysfonctions érectiles (DE) par ondes de choc de faible intensité semble prometteur. L’équipe du Pr Stéphane Droupy a coordonné il y a 3 ans une étude pour valider cette approche (SHOCK-ED). Il s’apprête aujourd’hui à tester les ondes de choc pour les DE survenant après chirurgie de la prostate. 

Chaque cancer est particulier et chaque patient est différent


Les cancers des testicules touchent plutôt des hommes jeunes. Une fois que le testicule malade a été retiré, les patients peuvent reprendre le cours de leur existence. Il est rare qu’ils se plaignent de troubles sexuels. En revanche, les infertilités et les hypofertilités sont fréquentes.

- Les cancers de la prostate localisés surviennent en moyenne vers 61-62 ans. Ces cancers guérissent à 90 %. Ces tumeurs atteignent donc souvent des hommes qui ont une vie sexuelle active et souhaitent la préserver.

- Même pour les cancers qui ne se guérissent pas (certains cancers de la vessie, les cancers métastatiques de la prostate…), les traitements permettent actuellement d’espérer des survies longues (plusieurs années). Certains hommes ont peu d’années à vivre mais ils entendent les vivre bien. Les urologues doivent les aider à profiter au mieux de ces années.

 

AFU - Paris, le 30 janvier 2019 • 

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