AFU - Association Française d'Urologie

Traitements innovants, la France à la traîne

- Théragora le 31 mai 2019 / AFU N° 21 - Page 0

Alors qu’ils sont largement disponibles en Europe, nombre de médicaments innovants ne sont utilisés en France que dans le cadre d’essais cliniques. Principaux freins à la mise sur le marché de ces molécules : la durée du processus de négociation des prix et les contraintes règlementaires.

L’immunothérapie, qui « réveille » le système immunitaire et lui permet de contrer l’invasion tumorale, a révolutionné la prise en charge de certains cancers. C’est particulièrement vrai pour des mélanomes métastatiques ou des cancers pulmonaires à des stades très avancés où les patients étaient condamnés à très court terme. Les nouvelles molécules d’immunothérapie développées et mises sur le marché ces dernières années ont permis d’offrir des survies prolongées et même des rémissions si marquées, qu’elles suggèrent une possible « guérison » de certains patients.
Ces mêmes molécules peuvent se révéler intéressantes en urologie, notamment pour traiter des cancers de la vessie ou du rein qui échappent au traitement. Ainsi, le pemprolizumab a démontré son efficacité dans les cancers de la vessie résistants au cisplatine[1]. Il est aujourd’hui disponible dans tous les pays limitrophes dans cette indication. Dans tous les pays, mais pas en France.Une situation paradoxale qui conduit des patients français à partir se faire suivre en Belgique, en Suisse, au Luxembourg… ou même dans les pays du Sud de l’Europe où ces thérapeutiques sont disponibles. 

 

Lenteurs administratives

Pourquoi la France est-elle ainsi à la traîne ? L’explication tient en un chiffre : 25. 25 % seulement des patients atteints de ces cancers de la vessie réagissent favorablement au pembrolizumab. Pour eux, ce traitement change le décours de la maladie. Mais il n’existe pas à ce jour de marqueur fiable pour déterminer quels patients il convient de traiter. Pour un patient mis en rémission par ce traitement innovant, il faut en traiter trois en pure perte. Au regard de l’efficacité parfois stupéfiante de ces immunothérapies, les pays voisins ont pris la décision d’autoriser le pembrolizumab pour les cancers urothéliaux réfractaires au cisplatine,quitte à ce que cette molécule soit prescrite à des patients qui n’en tireront pas de bénéfice.
 
D’autres immunothérapies[2], qui ont fait la preuve de leur efficacité pour contrer l’évolution des cancers de la vessie, sont dans la même situation. C’est le cas de l’atezolizumab et du nivolumab. L’atézolizumab dispose de marqueurs relativement fiables permettant de prédire quels patients ont le plus de chances de réagir à la molécule (PD-L1 >5%). L’existence d’un tel marqueur devrait accélérer le processus de mise sur le marché. Pour l’heure, cette immunothérapie dispose d’une AMM dans cette indication et d’un avis favorable de la HAS pour les patients porteurs de ce marqueur[3], mais le dossier bute sur les questions de négociation du prix de vente du médicament. Les négociations sont toujours très lentes et laborieuses en France entre les autorités et le laboratoire qui commercialise la molécule. 

 

 En Allemagne, lorsqu’une substance reçoit son AMM, elle est disponible dans les jours qui suivent en pharmacie.En France, il faut compter en moyenne 400 jourstemps nécessaire pour que les autorités négocient avec le fabricant le prix public du traitement. 


Pr Yann Neuzillet, urologue à l’hôpital Foch et membre du comité de cancérologie à l’AFU

Quatre cents jours… Un délai raisonnable pour la plupart des molécules mais terriblement long pour des patients dont la survie se compte souvent en mois. 


 

La même situation se retrouve pour les cancers du rein où l’association de deux molécules d’immunothérapie, le nivolumab et l’ipilimumab,a prouvé son efficacité[4]. Le dossier avance lentement et l’on peut espérer que cette association, actuellement autorisée dans la majorité des pays d’Europe, sera disponible dans un délai raisonnable en France. Mais entre-temps, combien de patients potentiellement répondeurs seront décédés ? 


 

Freins règlementaires

La recherche est aussi très active dans le domaine du cancer de la prostate. L’apparition régulière de molécules innovantes permet d’instaurer de nouvelles lignes de traitement lorsqu’un cancer devient résistant. C’est ainsi que, grâce à ces progrès, le cancer de la prostate est devenu en quelques années une maladie chronique, y compris lorsqu’il atteint le stade métastatique. Mais l’accès à ces molécules innovantes reste, là encore, victime des lenteurs de l’administration française.
 
Pour les cancers hormono-sensibles, il est établi que l’association d’abiratérone aux traitements hormonaux classiques apporte un bénéfice majeur[5]. Dans bien des pays, la mise en œuvre de ces traitements a donc été particulièrement rapide. En France, le processus a été ralenti en raison des modalités des négociations tarifaires. L’abiratérone vient tout juste de tomber dans le domaine public, ce qui entraîne de facto, une chute drastique du prix du médicament, et facilite la négociation entre les autorités et le laboratoire. L’association traitements hormonaux/Abiratérone vient donc d’être validée (publication au JO du 5 mars 2019[6]).
 
Au-delà des questions de négociations tarifaires, particulièrement âpres dans notre pays, d’autres caractéristiques très françaises peuvent conduire à retarder l’accès à l’innovation. C’est le cas des contraintes règlementaires. Un bon exemple de l’impact de ces contraintes sur l’autorisation ou la diffusion de traitements innovants est illustré par les nouvelles approches de « théranostique » dans le cancer de la prostate[7]. En pratique, la théranostique se fonde sur l’association de marqueurs utilisés pour diagnostiquer le cancer et de molécules thérapeutiques. Le marqueur va se fixer sur la cellule malade, ce qui permet de délivrer le traitement au plus près de sa cible. Le gallium radioactif, couplé au PSMA[8](marqueur du cancer de la prostate), va ainsi délivrer sa radioactivité directement au cœur de la cellule tumorale. Cette méthode est très élégante et remarquablement efficace. « En Allemagne, où la réglementation en matière nucléaire est beaucoup plus souple qu’en France, ces traitements sont proposés en ambulatoire,constate Yann Neuzillet. En France, le patient doit demeurer 24 à 48 h dans une chambre plombée. Pendant tout ce temps, ses urines et ces fèces sont collectées et « retraitées » pour éviter une dissémination d’éléments radioactifs. » Une procédure longue et fastidieuse qui renchérit les coûts et limite beaucoup la diffusion de cette méthode pourtant très prometteuse.  

 


 
 

Des maladies trop intimes

Les questions de coût et de négociations tarifaires ainsi que les contraintes réglementaires ne sont pas les seules responsables des freins à l’accès aux molécules innovantes en France. L’actualité récente montre la nécessité de relais d’opinion forts au sein de la société. C’est le cas par exemple pour les traitements de l’hépatite C, pour lesquels la France a été en pointe dans la mise à disposition d’un traitement efficace pour tous. De même, l’affaire du levothyrox a montré que des collectifs de patients bien organisés peuvent peser sur les décisions des autorités. Dans le cas des cancers urologiques, le manque d’associations représentatives des patients est un handicap et la voix des patients est quasi-inaudible
 
« Le cancer de la prostate commence à devenir un peu moins tabou », se réjouit le Pr Neuzillet, qui espère qu’à l’avenir, les associations de patients pourront jouer un rôle plus important dans la promotion de ces traitements innovants. Le cancer de la vessie reste en revanche très largement méconnu malgré sa fréquence (12 000 nouveaux cas par an). 
Les cancers urologiques sont encore vécus aujourd’hui comme des maladies intimes et honteuses. Lever le tabou pesant sur ces affections est une urgence à la fois pour sensibiliser les patients aux facteurs de risque (tabac et expositions professionnelles pour la vessie), mais aussi pour favoriser le dépistage, faire connaître les signes d’alerte chez les populations exposées à ces facteurs et enfin pour accélérer l’accès aux traitements innovants.
 

 
La mise sur le marché d’un traitement innovant en France relève d’un processus long et laborieux auquel participent de multiples intervenants. Divers aller-retours entre les différentes instances se déroulent au cours de l’évaluation. Du fait de cette complexité, le temps moyen entre la dispensation d’une AMM et l’arrivée du traitement est de l’ordre de 400 jours.

Les conditions d’enregistrement d’une molécule ont fait l’objet d’une présentation lors des JOUM qui se sont déroulées en Avignon les 24 et 25 mai 2019.
 

Zoom sur les Joum
 
Les Journées d’Onco-Urologie Médicale (JOUM) se sont déroulées au Palais des Papes d’Avignon les 24 et 25 mai derniers. Organisées sous l’égide de l’Association Française d’Urologie (AFU), ces journées ont notamment fait le point sur les immunothérapies en urologie, les nouvelles associations dans le traitement de la prostate, l’apport de la théranostique et l’accès aux molécules innovantes.

 

Références

[1]https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/evamed/CT-16530_KEYTRUDA_carcinome_urothelial_PIC_EI_Avis3_CT16530.pdf
[2]https://www.urofrance.org/courriels/uro-news/uro-news-54/Cancer-vessie-metastatique-bientot-un-long-fleuve-tranquille

[3]https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/evamed/CT-17372_TECENTRIQ_PIS_RCP_Avis1_CT17372.pdf

[4]https://www.thelancet.com/journals/lanonc/article/PIIS1470-2045(18)30778-2/fulltext

[5]https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2857377/fr/zytiga-acetate-d-abiraterone-inhibiteur-de-la-synthese-des-androgenes

[6]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038196310&dateTexte=&categorieLien=id

[7]https://www.letemps.ch/sciences/theranostique-nouvelle-arme-anticancer

[8]PSMA : antigène transmembranaire surexprimé dans la plupart des cancers prostatiques

Source AFU/28/05/2019

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