Par Mark Horton, Professor in Archaeology, University of Bristol - Alexander Bentley, Professor and Chair of Comparative Cultural Studies, University of Houston - Philip Langton, Senior Teaching Fellow in Physiology, University of Bristol

Une histoire du sucre, ce produit inutile que nous chérissons

- The Conversation.fr - 1 avril 2018 - N° 08 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir


   
   

Il n’y a, semble-t-il, aucun autre produit qui mobilise autant de terres à la surface du globe avec si peu d’avantages pour l’humanité : il s’agit du sucre. Selon les derniers chiffres connus, le sucre de canne constitue la troisième récolte mondiale la plus rentable après les céréales et le riz, elle occupe 26 942 686 hectares de terrain de notre planète. Son principal bilan, compte non tenu des profits commerciaux : une crise mondiale de santé publique qui a mis des siècles à se constituer.

 

L’épidémie d’obésité – avec le cortège de maladies qui l’accompagnent, dont le cancer, les démences, les maladies cardiaques, le diabète – a envahi chaque pays où les hydrates de carbone à base de sucre ont fini par dominer toute l’économie de l’alimentation.

 

Ainsi, à l’heure d’aujourd’hui, il est utile de se projeter en arrière et de se pencher sur l’histoire ancienne du sucre pour comprendre comment il s’est développé au point de représenter une menace imminente pour nos paysages, nos sociétés et notre santé.

 

Retour en arrière

La physiologie humaine s’est construite à partir d’un régime alimentaire contenant très peu de sucre et pratiquement pas d’hydrates de carbone raffinés. En fait, le sucre s’est probablement introduit par accident dans nos régimes alimentaires. Selon toute vraisemblance, le sucre de canne était à l’origine une culture de fourrage, destinée à engraisser les porcs, même si les hommes ont pu de temps en temps mâcher leurs tiges.


            Mâchon.  Shutterstock
           


         

L’examen de restes d’anciens plants et leur ADN font soupçonner que le sucre de canne s’est développé dans le Sud-Est asiatique. Les chercheurs se sont mis en chasse ces temps-ci, pour savoir si l’exploitation de la canne à sucre n’avait pas commencé très tôt dans le marais du Kuk, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, où la domestication de végétaux similaires, comme celles du taro et de la banane, remonte approximativement à 8 000 ans av. J.-C. La culture de la canne s’est étendue le long du Pacifique Est et de l’océan Indien, il y a 3 500 ans grâce à des marins austronésiens et polynésiens.

Le premier sucre raffiné chimiquement a fait son apparition en Inde il y a environ 2 500 ans. De là, la technique a migré à l’est, en Chine, et à l’ouest du côté de la Perse et des premiers territoires islamiques, pour atteindre finalement le Bassin méditerranéen au XIIIe siècle. Chypre et la Sicile sont devenus d’importants centres de production. Tout au long du Moyen Âge, on considérait le sucre comme une épice rare et chère plutôt qu’un condiment de la vie de tous les jours.

A la fin du XVe siècle, l’île de Madère, dans l’océan Atlantique, a été le premier endroit où l’on a cultivé la canne à sucre pour la raffiner à grande échelle et la commercialiser. Ensuite, ce furent les Portugais qui ont trouvé de nouvelles conditions favorables pour les plantations au Brésil, où ils instaurèrent une économie fondée sur l’esclavage. Quand la canne à sucre fut introduite dans la Caraïbe, peu avant 1647, cela entraîna la croissance de cette industrie et vint alimenter la folie du sucre en Europe occidentale.

 

Commerce des esclaves

Cet aliment dont personne n’avait besoin mais que tous convoitaient a été un élément de la modernité émergente. Il y avait une énorme demande de main-d’œuvre pour exploiter les plantations massives de canne à sucre au Brésil et dans les Caraïbes. Le trafic d’esclaves transatlantique a répondu à ce besoin. Il en résulta l’envoi de 12 570 000 êtres humains d’Afrique vers les Amériques entre 1501 et 1867. Les taux de mortalité pouvaient atteindre jusqu’à 25 % à chaque voyage. D’un à deux millions d’êtres humains morts lors des voyages ont pu être jetés par-dessus bord.

 

Bien entendu, il fallait des marchandises comme le cuivre, le laiton, le rhum, le textile, le tabac et les armes pour acheter des esclaves aux chefferies africaines. Ces produits d’échange, on se les procurait grâce au développement de la production industrielle, sensible surtout dans les Midlands et le sud-ouest de l’Angleterre. Les origines de la banque et de l’assurance moderne remontent ainsi au XVIIIe siècle avec ce système économique atlantique.


            Des esclaves au travail dans des champs de cannes à sucre. Mark Horton, Author provided
           

Pendant ce temps, les esclaves travaillant dans les plantations vivaient misérablement quand, en 1834, dans l’Empire britannique, on décida finalement de les émanciper. Ce furent les propriétaires d’esclaves qui ont été dédommagés et pas les esclaves eux-mêmes. L’Angleterre utilisa une grande partie de cet argent pour édifier l’infrastructure de son époque victorienne, notamment les trains et les usines.

 

Fléaux du monde moderne

L’histoire du sucre et celle du tabac se ressemblent de bien des façons. L’un et l’autre ont été produits par le travail d’esclaves ; ils ont, à l’origine, été décrétés bons pour la santé. Et même si le sucre et le tabac ont des origines anciennes, ce fut leur soudaine consommation de masse depuis le milieu du XVIIe siècle qui a engendré les risques sanitaires auxquels nous les associons aujourd’hui

 

L’idée d’« épidémie industrielle » de maladies non contagieuses, due à la course au profit des grandes compagnies, se vérifie à la fois pour le tabac et pour le sucre. Tandis que le tabac est largement reconnu comme une substance addictive, le sucre peut également entraîner des réponses comportementales, indissociable de l’addiction.

Mais au XXIe siècle, son emprise est plus forte que d’autres fléaux comme le tabac ou même l’alcool. Le sucre n’est pas seulement répandu partout – il est potentiellement responsable d’à peu près 20 % du contenu calorique de l’alimentation moderne – mais il occupe aussi une place centrale dans l’économie universelle et dans notre héritage culturel.

 


           
 Industrie lourde.  Dirk Kirchner/Flickr, CC BY-NC-SA
  

Peut-être ferait-on une meilleure comparaison avec notre dépendance aux énergies fossiles. Celle-ci n’est pas seulement un vice ou une mauvaise habitude : elle se situe au cœur même de notre mode de vie et du contexte géographique et politique des territoires d’où elle provient. De la même façon, l’avènement du sucre a constitué une clef pour le commerce mondial et le développement socio-économique, pour l’esclavage et la diaspora africaine, pour les normes culturelles modernes.

Les origines historiques et évolutionnistes de la canne à sucre peuvent nous aider à comprendre la façon dont le sucre domine la culture moderne et nous éclairer sur les moyens possibles pour réduire son influence maléfique. Comme nombre de grands challenges du XXIe siècle, les changements climatiques par exemple, la science a clairement identifié le problème.

The ConversationCe qui fait défaut, c’est la volonté publique et politique pour s’y confronter, par des moyens comme la proposition de taxe sur le sucre et un affichage important des dégâts qu’il provoque sur la santé. Avec le sucre, toujours profondément ancré dans notre système alimentaire – en 2013, les récoltes sucrières ont représenté 6,2 % de la production agricole mondiale et 9,4 % de ce qu’elle a rapporté, au total –, on a besoin de mesures socioéconomiques vigoureuses pour opérer les changements nécessaires.

 

 

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