Antibiorésistance, la menace alimentaire

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Votre pharmacien vous conseille N° 162 - Page 0

La résistance bactérienne aux antibiotiques chez les humains dépend aussi dans des résistances présentes dans les produits animaux consommés. Ce péril justifie les freins édictés par les pouvoirs publics et les plans internationaux incluant tout ce qui vit (santé globale).

 

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, introduit ainsi l’antibiorésistance dans la récente mise en point de l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire alimentation, environnement, travail)1: « par ses conséquences sur la santé humaine, la santé animale et l’environnement, elle impose aujourd’hui d’agir en interministériel selon l’approche « Une seule santé (One Health). En augmentant le nombre de bactéries résistantes aux antibiotiques, plusieurs prises en charge thérapeutiques pourraient s’en trouver fortement modifiées, voire plusieurs infections courantes pourraient redevenir mortelles. » De quoi aggraver l’inquiétude provoquée par la crise de la Covid !

L’Assurance Maladie a marqué les esprits par sa campagne « Les antibiotiques, c’est pas automatique ; » qui reste parfaitement valable. La parcimonie est la base inconditionnelle de l’efficacité des antibiotiques. Elle s’applique autant aux animaux de compagnie ou d’élevage qu’à l’espèce humaine. En conséquence, cette communauté vivante détermine la nouvelle philosophie internationale : « une seule santé (One Health) »2

 

Débauche antibiotique lentement maîtrisée

 

En 2019, en France,1 772 tonnes d’antibiotiques destinés à la santé humaine ont été vendus (et probablement presqu’autant consommés), ainsi que 422 tonnes destinées à la santé animale (certainement absorbés). En santé animale, 96% des produits sont administrés à des animaux destinés à la consommation humaine, pour seulement 4% à des animaux de compagnie. En santé humaine, 93% des antibiotiques sont dispensés en médecine de ville (dont 15% prescrits à l’hôpital), pour seulement 7% dispensés en établissements de santé.

Au début des années 2000, le premier « Plan national pour préserver l'efficacité des antibiotiques » a instauré une baisse nécessaire de la consommation, mais celle-ci n’est effective que depuis quelques années et tend à se stabiliser. Les ventes concernent d’abord la classe des pénicillines (57% des ventes humaines parce que bien tolérées) ; en conséquence ces médicaments sont la plus grande source de résistance bactérienne. Tel est le cas de l’amoxicilline + acide clavulanique (Augmentin*), et des céphalosporines de 3e et 4e générations.

L’autre classe « en résistance bactérienne » est celle des fluoroquinolones. Toutefois, leur consommation se réduit chez les médecins généralistes et les pédiatres : point réconfortant car ce sont eux les plus prescripteurs. Dans les établissements hospitaliers, sans surprise, la consommation antibiotique est 2 à 3 fois plus élevée dans les services de maladies infectieuses et en réanimation (respectivement 1 432 et 1 180 doses pour 1 000 journées d’hospitalisation) qu’en médecine ou chirurgie (respectivement 454 et 499 doses). Une plateforme de Santé Publique France donne les chiffres détaillés régionaux sur la base des remboursements de l’Assurance Maladie.3

 

Maîtrise de l’antibiothérapie animale

 

Depuis 2007, le gouvernement a mis le turbo et obtenu de bons résultats chez les animaux d’élevage. Le premier plan Écoantibio 2012-2016 visait une réduction de 25 % de l’usage des antibiotiques en 5 ans, en portant une attention particulière à l'utilisation des antibiotiques d'importance critique pour la médecine humaine. L’objectif global du premier plan a été atteint avec une diminution de l’exposition animale aux antibiotiques de 36,5 % en 5 ans. Le second plan Écoantibio 2017-2021 doit inscrire dans la durée cette baisse de l'exposition animale aux antibiotiques. Entre 2009 et 2019, cette baisse cumulée de 47,4% touche toutes les espèces (compagnie et élevage - voir schéma).

 

 

Lutter contre la multi-résistance

L’ANSES observe chez toutes les espèces une tendance à la baisse de la multi-résistance : résistance à au moins trois antibiotiques. Par exemple celle du colibacille ou Escherichia coli a décru entre 2011 et 2019, même si cela varie d’une filière à l’autre. Le colibacille est le germe dominant la flore digestive animale et humaine ; indispensable à la digestion, il peut devenir très dangereux lors d’antibiothérapies inconsidérées et réitérées. On surveille particulièrement sa résistance à la colistine, un antibiotique indispensable contre les germes résistants aux pénicillines dits « souches BLSE » et très (trop !) employé dans l’agro-alimentaire.4 Son taux d’administration au bétail a cependant diminué de 64,2 % par rapport à son niveau moyen entre 2014 et 2015. L’objectif d’une baisse de 50 % fixé en 2017 par le second plan Ecoantibio est déjà atteint pour les filières porcine, avicole et bovine. A l’évidence les mentalités et les pratiques changent, en mieux.

En 2019, la proportion de souches multi-résistantes est la plus forte chez les bovins (15,5%), suivent les porcs (7,9%) et les équidés (6,8%). Seulement 2,5% des poules/poulets et 2% des dindes en présentent. À nuancer car pour une espèce animale donnée, les proportions relatives de souches résistantes à 0, 1, 2 ou 3 antibiotiques (voire plus) varient fortement selon la pathologie animale traitée.4

 

 

 

La faune sauvage aussi !

La faune sauvage héberge de nombreuses bactéries résistantes aux antibiotiques, de la tortue au hérisson, en passant par le lynx, dans les grandes métropoles et aux îles Galapagos. On observe une plus large diversité de bactéries résistantes aux antibiotiques et une plus grande proportion d'animaux porteurs dans les habitats les plus touchés par les activités humaines. Les espèces prédatrices et/ou proches des humains sont aussi celle où l’on retrouve le plus grand nombre de germes antibiorésistants : par exemple, chez les sangliers et les goélands, proches des villes.5 Comment se contaminent-ils ? Quels périls représentent-ils ? Autant de sujets de recherche en cours…

 

Bactéries multi-résistantes (BMR)

En 2017, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a publié, pour la première fois, une liste « d’agents pathogènes prioritaires » résistant aux antibiotiques.  Les souches bactériennes multi-résistantes (résistant à plusieurs antibiotiques) sont les plus redoutées, particulièrement celles « à gram négatif » à l’origine d’infections nosocomiales dans les hôpitaux et les maisons de retraite (EHPAD). Le plus inquiétant est l’apparition de résistances aux antibiotiques conçus pour surmonter cette multi-résistance. La lutte passe par une identification rapide des personnes porteuses pour renforcer l’hygiène autour d’eux et leur administrer un traitement précoce bien ciblé.  



Références

1- Antibiotiques et résistance bactérienne : une infection virale respiratoire évitée, c'est un antibiotique préservé ! Brochure interministérielle. novembre 2020.

2- OIE’s Engagement in the One Health Global Effort to Control Antimicrobial Resistance. OIE General Session 2019. www.oie-antimicrobial.com.

3-Géodes, plateforme de données géographiques en santé publique. Santé Publique France. https://geodes.santepubliquefrance.fr/

4- Résapath - Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales. Bilan 2019, ANSES, novembre 2020.

5- Antimicrobial resistance in wildlife. Marion Vittecoq et coll. Journal of Applied Ecology 2016, 53, 519–529.

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