Séminaire organisé par la Chaire Transitions Démographiques Transitions Économiques avec la Convention on Health Analysis ans Management (CHAM), l’Institut Montparnasse (MGEN) et la Caisse des Dépôts.

Comment financer les dépenses de santé ? Que peut faire le gouvernement ?

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Année 2017 - Fondation du Risque - Institut Louis Bachelier  Chaire N°

 

Conférence du 27 juin 2017

 

Fondation du Risque - Institut Louis Bachelier  Chaire "Transitions démographiques, Transitions économiques"

 

Introduction

 

Jean-Hervé Lorenzi, Titulaire de la Chaire TDTE

 

Les économistes abordent généralement la question des dépenses de santé sous deux angles qui sont aussi réducteurs l’un que l’autre. Le premier est de reprendre inlassablement la réflexion sur une gestion plus efficace du système de santé. C’est à ce titre que certains ont pu convaincre que la réduction du nombre de médecins, en mettant en place un numerus clausus, entraînerait ipso facto une baisse de la demande de soins. Une erreur qui devrait être corrigée car rien n’est plus stupide que de confondre l’offre et la demande.

Les économistes ont aussi l’habitude de débattre sur l’impact positif des dépenses de santé sur la productivité, et donc sur la compétitivité. À croire que leur augmentation pourrait compenser leur poids dans le Pib, une idée aussi simpliste que critiquable. Depuis 5 ans, la Chaire TDTE et l’Institut Montparnasse soutiennent un projet, le modèle MELETE, dont l’objectif est d’analyser les dépenses de santé et leur financement. Parmi ses conclusions, ce modèle a montré que les effets de la dépense de santé sur le Pib étaient moins importants que le poids de la dépense elle-même. Cet exercice a donc des limites, sauf à introduire la notion de bien-être.

 

 

Guy Vallancien, Professeur de médecine, Président du CHAM

 

Dans les 5 à 10 ans à venir, malgré l’augmentation de la puissance d’analyse et de traitement des données des outils dons nous disposons, il y a fort à craindre que nous restions sur le même étiage, qu’il n’y ait pas de véritable rupture scientifique. Si ces évolutions bouleversent déjà notre monde, l’univers médical et paramédical, en revanche, est à la traîne, voire plus. C’est un gâchis qu’il faut dénoncer, avec des milliards dépensés au nom de prescriptions sans légitimité. Pour l’OCDE, 30% des prescriptions biologiques et d’imagerie sont inutiles, ce que les radiologues savent pertinemment. Quant aux consultations, seule une sur deux s’avère nécessaire, un constat qui pourrait désengorger les établissements de santé.

Quant aux transports sanitaires, leur constante augmentation relève du scandale car elle n’est en rien le résultat de la fermeture de certains petits services de chirurgie. Comme expliquer qu’une malade atteinte d’un cancer fasse 500 kms pour montrer un scanner du rein à son chirurgien ? La télétransmission éviterait ces déplacements inutiles, mais rien n’est fait dans ce sens.

L’hôpital se trouve aujourd’hui dans un sérieux état de déliquescence. Si on utilise désormais les mots de business plan, de productivité, ils n’ont aucune traduction dans les faits. La hiérarchie reste intacte, fidèle au système bismarckien, malgré le désarroi des internes. Elle reste dans son univers clos au lieu de s’ouvrir sur l’extérieur, sur l’excitation du monde. Et pourtant rien n’est plus simple que de donner au personnel de soin des smartphones adaptés à ses besoins. Ne pas faire cet effort indispensable coûte très cher. Les dépenses en biologie s’élèvent à 6 milliards d’euros, les dépenses en imagerie, au même montant. Quant au coût des transports et des médicaments, dont 30% ne sont pas consommés, il dépasse les 4 milliards ! Pourquoi ce système sanitaire figé et normé perdure-t-il ? Peut-être faut-il en passer par là, transmettre ce dossier aux régions, c’est-à-dire à un territoire où les acteurs se connaissent, ce qui constitue une vraie rupture avec l’organisation du système de santé français.

Dans ce domaine, c’est la microéconomie qui peut le mieux nous éclairer, passer une semaine dans un cabinet, se rendre à Ipso santé à Paris, une référence en matière de maison de santé, ou dans les hubs sanitaires, les « monop dayly » de la santé de demain. De 1000, il faudrait passer à 10 000 hubs. C’est là où se dessine l’avenir, non seulement sur les questions de santé, mais aussi d’aménagement du territoire. Mais la machine administrative et politique est incapable de mener un tel chantier, plus attentive à la macroéconomie qu’à la méthode d’une Ester Duflot.

 

 

Xavier Chojnicki, Professeur d’économie à l’Université de Lille 3.

 

La première question est de savoir si la dépense de santé est un coût ou un investissement, ce qui conduit à tester différents scénarios de hausse de ces dépenses. A comparer ses gains et ses coûts, on obtient une réponse assez claire sur la dépense de santé optimale. La deuxième question porte sur le financement de ces dépenses, sur ses différentes modalités, en jouant plus ou moins sur l’un des instruments possibles qu’est la CSG. Les réponses apportées par le modèle sont d’ordre macroéconomique, de distorsion fiscale, mais relèvent aussi de l’équité par ses résultats sur le bien-être de différents agents à différentes étapes du temps.

L’objectif n’est donc pas de remettre en cause la nature assurantielle de la branche santé, mais d’analyser son financement sous l’angle de l’équité intergénérationnelle. La santé en question est au cœur d’un processus de redistribution pris sous trois angles : la redistribution horizontale, des bien-portants vers les malades ; verticale, des ménages aisés vers les ménages les plus pauvres ; et intergénérationnelle, des actifs vers les inactifs. Une des leçons porte sur l’évolution du poids démographique des trois grandes catégories d’âges que sont les jeunes de 20 à 30 ans, les actifs de 30 ans jusqu’à l’âge de la retraite et les retraités, une catégorie qui passe d’un quart de la population française en 2015 à un tiers en 2050. Or, le montant de la contribution à la branche santé des retraités est, en 2015, d’un peu plus de 7%, alors que celui des actifs, soit 60% de la population, atteint 80%. Cette forme d’inéquité est destinée à croître avec un nombre de retraités toujours plus important.

Un rappel sur la structure du modèle. MELETE est un modèle d’équilibre général calculable qui tient compte, de manière simultanée, de l’ensemble des marchés de l’économie française, marché du travail, du capital, des biens et services... Un modèle, aussi, à générations imbriquées, dans lequel cohabitent, pour chaque instant, 16 générations avec un niveau d’éducation hétérogène, de faible à au-delà de Bac +2.

Avec pour horizon 2050, le modèle prend en compte trois mécanismes bien connus où les dépenses de santé ont un impact positif sur l’économie française. Soit l’impact sur l’état de santé individuel, qui joue sur l’espérance de vie de chaque individu, soit l’impact sur la productivité du marché du travail, soit, enfin, l’impact sur la notion de bien-être et la consommation en biens privés. Mais ces mécanismes sont à corriger par l’augmentation des dépenses de santé et donc par l’augmentation de la fiscalité.

Savoir si les effets positifs l’emportent sur les effets négatifs passe par la construction, à partir des données du COR, d’un scénario de référence, soit un des états possibles de ce que pourrait être l’économie française dans les prochaines décennies. Comment vont évoluer les dépenses de santé dans ce compte central? Deux scénarios sont possibles, soit une augmentation prévisible de cette dépense publique à hauteur de 10% du PIB, c’est-à-dire de plus de 2,5 points de PIB en 2050 ; soit une augmentation tendancielle de cette dépense en référence à ce qui s’est passé entre 1950 et 1990, c’est-à-dire un choc important à rapprocher de la dépense américaine qui, en 2014, s’élevait à 14% du PIB.

Comment finance-t-on ces deux scénarios de dépenses ? Ou, pour le dire autrement, quelle est la stratégie de dépense optimale de la branche santé ? Plusieurs solutions sont possibles. La dépense supplémentaire peut être financée par la seule augmentation de la CSG dont la structure reste inchangée. Elle peut l’être, ce qui est plus ambitieux en termes de redistribution et d’équité intergénérationnelle, par un alignement de la CSG des retraités, excepté les plus pauvres, sur celle des actifs, tout en épargnant les moins de 30 ans dont le taux de pauvreté est le plus important. Une CSG que l’on ajuste ensuite proportionnellement pour couvrir le supplément de dépense de 2,5 points. Enfin, la troisième solution, dite Macron, suppose de supprimer les cotisations sociales de la branche santé et de la branche chômage pour les basculer sur la CSG.

Si donc la dépense publique de santé est constante au cours du temps après 2015 dans le compte central, elle augmente en 2050 de 2,5 points de PIB selon le premier scénario, de plus de 6% dans le second. Sans arbitrage, la CSG augmente de 0,8% point de PIB à la même date et les cotisations sociales de 1 point de PIB. Les résultats macroéconomiques du modèle montrent, d’autre part que si dans le scénario central, le PIB par habitant est multiplié par 2,8 entre aujourd’hui et 2100, des chiffres produits par l’INSEE et le COR, il augmente moins quel que soit le scénario d’augmentation des dépenses de santé. L’effet fiscalité l’emporte donc largement sur les effets bénéfiques de ces dépenses, malgré une espérance de vie accrue. Quant aux trois solutions de financement, le modèle illustre que modifier la structure de financement de la branche santé entraîne une diminution du PIB par habitant. Et l’ajuster par la CSG, qui impacte aussi les revenus du capital, engendre un comportement d’épargne différent, où les agents accumulent moins, ce qui pèse sur la croissance.

 

 

Lionel Ragot, Professeur d’économie à l’Université Paris-Nanterre

 

A ne prendre que l’indicateur économique du PIB par tête, les dépenses de santé restent un coût que supportent les agents. En revanche, si l’on justifie ces dépenses au même titre que celles engagées pour l’environnement, on en vient à évoquer le double dividende dont le premier est d’améliorer l’état de la santé ou de l’environnement. Faire ainsi intervenir le bien-être, c’est dire que l’augmentation les dépenses de santé n’est pas là pour relancer l’activité économique, mais pour gagner en espérance de vie.

Si l’on prend en compte les générations, leur bien-être « intertemporel », c’est-à-dire au cours de toute leur vie, augmente par rapport au compte central dans la mesure où l’on augmente les dépenses de santé. Le premier dividende est donc bien celui de l’amélioration sensible du bien-être de toutes les générations quel que soit le niveau de qualification. D’autre part, mettre en relation le bien-être et son financement montre que la variation négative de 2 point de PIB supplémentaires s’efface pour ceux qui ont 20 ans en 2015. Donc, ce sont bien les retraités et les actifs qui seraient aujourd’hui les perdants en cas d’une hausse de la CSG.

Il n’existe pas de politique où il n’y aurait que des gagnants. Pour choisir, mieux vaut laisser faire la démocratie et se préoccuper d’économie politique. Si l’on demande ainsi aux agents de voter pour l’un des trois scénarios d’augmentation de la CSG, leur choix dépend du bien-être attendu. Ce qui donne, dans notre modèle, soit un vote déterminé par le bien-être instantané, au moment où la mesure se met en place, c’est-à-dire un vote en faveur du scénario Macron ; soit un vote déterminé par le bien-être attendu sur la durée qui reste à vivre, c’est-à- dire un vote en faveur du scénario 1, d’une augmentation de la CSG dont la structure reste intacte.

 

Table ronde : « Quelle augmentation des dépenses de santé à l’avenir »

Animée par François-Xavier Albouy, Directeur de recherche à la Chaire TDTE

Jean-Martin Cohen Solal, Délégué général de la FNMF

Les dépenses de santé augmentent régulièrement, de 2 à 3% chaque année. Or, paradoxalement, les patients ont l’impression que les moyens diminuent et, plus encore, que la répartition des dépenses selon les financeurs, l’assurance obligatoire, les complémentaires et les ménages, pourtant stables depuis 15 ans en pourcentage, a changé, que leur reste à charge est plus important. Les pourcentages sont, en effet, restés les mêmes, mais les dépenses ont augmenté de 80% depuis 15 ans ! Comment faire en sorte que la prise en charge par les complémentaires soit supportable, que le système ne privilégie pas les seuls « insiders », les actifs les mieux intégrés ?

Comment, d’autre part, faire que ces dépenses soient utiles ? Si des réformes structurelles ne sont pas sans engagées, la voie, celle de l’hôpital en particulier, est sans issue.

Il est temps de rendre les dépenses de santé véritablement utiles, c’est-à-dire de diminuer les « pertes de chances », les non recours aux soins et de diminuer des inégalités qui se creusent. Faisons que cette augmentation des dépenses ne constitue pas une rente.

Enfin, le financement des dépenses de santé est en grande partie lié à des statuts professionnels, que l’on soit salarié ou non par exemple. C’est là ne pas prendre en compte le fait que les parcours ne sont pas lisses, que l’on peut passer d’un secteur à un autre. La question est désormais, pour les mutuelles, de savoir comment l’accès à une complémentaire santé peut être homogène tout au long d’une vie, peut accompagner ces parcours qui se modifient au cours du temps. Pendant la campagne présidentielle, Macron a proposé de rendre les contrats plus lisibles et accessibles, donc un cadre plus réglementé, mais aussi de maîtriser les restes à charge dans l’optique, le dentaire et sur les dépassements d’honoraires. C’est là un sujet peut être technique, sûrement politique.

Pour conclure, la Fédération a toujours privilégié un financement assis sur l’assiette la plus large possible. La CSG nous semble l’instrument le plus légitime pour prendre en compte les parcours de vie et financer durablement et efficacement le système de santé.

 

 

Michel Yahel, Commissaire général de France Stratégie.

 

Dans la dernière étude réalisée par Pierre Yves Cusset, France Stratégie montre qu’à l’horizon 2060 l’évolution des dépenses reste modérée. Plus intéressant, car jusque-là intuitif et peu documenté, l’étude pointe dans ce processus le poids déterminant du vieillissement.

Si on reprend les trois scénarios proposés dans l’étude, on est en droit de penser que l’on a quitté depuis longtemps un système contributif, c’est-à-dire que l’on ne met plus en relation les efforts contributifs des personnes et des catégories d’âge avec ce qu’elles pèsent dans la dépense finale. Ainsi, la contribution des retraités est à peu près 4 fois inférieure à leur part dans la population. Or, c’est bien là la question. Si tendanciellement la dépense semble ne pas exploser, l’inquiétude reste sur le mode de financement, soit passer par la CSG, ce que la raison invite à privilégier et que le gouvernement s’est engagé à faire. Mais le risque politique est grand de s’opposer à une population qui se vit comme une cible privilégiée.

Seconde remarque, plus opérationnelle, c’est-à-dire la question du management dans le pilotage des dépenses de santé. On raisonne par trop globalement sur la santé, sans prendre le soin de détailler les soins hospitaliers dans leur grande diversité, les soins ambulatoires et les produits de santé. Ainsi, et c’est là un sujet d’économie de la santé, si l’on ne soignait pas hier l’ulcère à l’estomac ou l’hépatite C, on dispose aujourd’hui de traitements thérapeutiques, médicamenteux ou chirurgicaux, tous liés à l’innovation et tous très onéreux. Ce qui pose deux questions : comment réguler les prix pour que le plus grand nombre ait accès à ces traitements ? Comment redéployer la dépense là où lesdites innovations vont a priori générer des économies ? L’appareil de santé ne sait spontanément piloter les dépenses. Il est ainsi très délicat de décider que telle thérapeutique peut se substituer au personnel de tel ou tel établissement de santé.

Si l’interrogation reste sur la capacité des pouvoirs publics à faire admettre une structure de financement faisant davantage appel à la CSG, il est urgent de trouver un nouveau pilotage des dépenses et de moderniser, numériser le système de santé. Car, en la matière, la France accuse un retard très important par rapport à la plupart de ses voisins.

 

Angèle Malâtre-Lansac, Directrice du programme santé à l’Institut Montaigne

 

Le système de santé français doit être considéré comme un atout, un investissement pour une meilleure qualité de vie et une plus grande productivité. Avec une médecine de pointe et une offre de soins assez dense, la France a aussi le reste à charge des ménages le plus faible de l’OCDE, autour de 8%.

La question reste de savoir quelles sont les bonnes et les mauvaises dépenses, comment s’inscrire dans une logique de long terme pour les investissements de santé et comment moderniser le système à dépenses constantes. C’est ainsi se détourner de la logique annuelle de rabot systématique qui interdit toute évolution structurelle.

Pour distinguer là où l’on doit investir, et répondre ainsi à la bonne ou mauvaise nature des dépenses, France Stratégie identifie les trois items que sont le vieillissement, le progrès technologique et l’organisation institutionnelle. Si le vieillissement est une bonne chose, le progrès technique doit être une priorité. Le Big Data, l’intelligence artificielle, le numérique invitent à transformer du tout au tout le système, une opération très coûteuse à court terme, mais qui permet de réduire les durées d’hospitalisation et le temps opératoire, de faciliter le virage ambulatoire et donc, à terme, d’apporter les meilleurs soins aux patients.

Reste l’institutionnel ou comment organiser le système de soins lorsque l’OCDE rapporte que 30% des dépenses relève du gaspillage. Retrouver des marges de manœuvre revient à lutter contre ce gaspillage. Un de nos rapports, réalisé l’année dernière, propose de mettre la qualité au cœur du système de santé, ce qui passe par l’information, l’utilisation des bases de données, la transparence, soit un investissement massif pour évaluer la qualité au jour le jour. Enfin, il est fondamental d’organiser les parcours de soins coordonnés pour les malades chroniques ou les personnes âgées, ce qui suppose de consolider la médecine de ville, de développer les maisons de santé pluridisciplinaires, de fixer les nouvelles modalités tarifaires pour encourager la relation entre la ville et l’hôpital et la télémédecine.

Pour conclure, avec un tiers de la mortalité prématurée évitable, la prévention est un investissement à long terme comme l’a annoncé la nouvelle Ministre. Mais le retour sur investissement est plus rapide en entreprise où un euro dépensé en prévention rapporte deux à trois euros par an.

 

 

Claude Le Pen, Professeur d’économie à l’Université de Paris Dauphine.

 

Quelques remarques sur l’étude. De quelles dépenses s’agit-il ? Entre le chiffre le plus haut, soit 260 milliards, et le chiffre le plus bas, soit 180 milliards de dépenses publiques, l’écart est trop important pour être ignoré. D’autre part, le lien entre dépenses de santé et état de santé n’est pas solide. Les Etats-Unis, par exemple, consacrent 1000 milliards en dépenses de santé pour une espérance de vie qui est inférieure à la nôtre. Ce lien dépend aussi beaucoup du contexte institutionnel, qu’il s’agisse d’un régime de médecine libérale associée à des assurances privées ou d’un système frugal à la Beveridge où tout est pris en charge par l’Etat. Le sujet relève de l’économie politique, et non du marché, et ne peut être traité sans une immersion dans les institutions, dans les modalités de prise en charge de la dépense.

Autre question : est-ce équitable que chacun ait à payer sa part ? Cette proposition semble aller contre le principe de redistribution. Si certains reçoivent plus qu’ils ne donnent, c’est en vertu de certaines valeurs sociales. L’inégalité intergénérationnelle évoquée cache l’inégalité entre malades et bien-portants. Que les jeunes paient plus que les vieux est une obligation dictée par notre système de santé mis en place en 1945. Si, en France, les bien- portants paient pour les malades, au Royaume-Uni, ce sont plutôt les riches qui paient pour les pauvres. Notre système est fondé sur une redistribution horizontale car l’âge et la santé sont corrélés, ce qui est une expérience aussi bien collective qu’individuelle.

Sur le financement des dépenses, la TVA dite sociale peut être une option, ce qu’ont choisi les Allemands. Quant à la CSG, elle ne couvre aujourd’hui que 40% des dépenses, le reste étant assuré par les cotisations et par les financements de l’Etat qui redistribue à l’assurance maladie de nombreux prélèvements fiscaux ou parafiscaux dont la taxe de 2,5 milliards sur les complémentaires.

En conclusion, le paradoxe de l’économie de la santé, c’est qu’elle utilise de l’argent pour produire des biens non marchants, du bien-être. La vie humaine a une valeur non monétaire qui doit être prise en compte dans l’appréciation globale du système. On est là sur le registre de l’acceptation sociale et il y a fort à parier que la société française accepte de dépenser 260 milliards pour se soigner.

 

 

Table ronde : « Quel financement pour faire face à l’augmentation des dépenses de santé

Animée par Alain Villemeur, Directeur scientifique de la Chaire TDTE

Stéphane Le Bouler, secrétaire général du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM)

 

Le 100% sur l’optique, le dentaire et l’audition, promis lors de la campagne présidentielle, est révélateur de la manière de raisonner : 4,5 milliards étant aujourd’hui à la charge des usagers, il est nécessaire de trouver un financement sans se poser la question de savoir si le système de santé peut engendrer des économies, si les paniers de soins sont vraiment immuables, donc intouchables car régis par des professionnels de santé.

Quel est le secteur qui a le plus progressé ces cinq dernières années ? C’est celui des transports, le moins bien régulé en termes de dépenses, et qui ne peut prétendre être une dépense de cœur de cible. Toujours en termes de panier, de soins de long terme ici, doit-on traiter tout ce qui relève de la dépendance aujourd’hui comme une dépense socialisée ? La contrainte budgétaire étant ce qu’elle est, on ne le fait pas et l’on en vient à bricoler avec le financement des départements ou les restes à charge.

Or parler de dépenses et de financements revient à raisonner sur ces paniers de soins, avec désormais des entrants et des sortants. Le champ de la santé n’autorise pas à dire que toutes les dépenses se valent et qu’une fois mises au compte de la solidarité, elles doivent y rester immuablement.

D’autre part, il est important de croiser les grandes tendances de fond avec les caractéristiques attendues du système. Les ALD, par exemple, sont financées à 75% par l’Assurance maladie obligatoire, 13% par les complémentaires et 8% par le reste à charge des usagers. Derrière ces chiffres, il y a des restes à charge par trop importants, que l’on connaît, que l’on traque sans vraiment les traiter. Mais la focalisation sur le niveau de ces RAC n’est pas d’emblée bonne conseillère. L’articulation entre l’AMO, l’AMC et les RAC est un sujet majeur et proprement français qui ne devrait pas se réduire à la généralisation de la complémentaire, épuisant ainsi l’énergie publique qui devrait s’atteler à gestion des différents paniers. La contrainte budgétaire étant ce qu’elle est, et destinée à croître, elle fait que la mauvaise dépense, socialisée, chasse la bonne, en particulier l’innovation. Il y a donc fort à faire avant d’envisager un autre mode de financement.

 

 

Thomas Barnay, Professeur d’économie à l’Université Paris-Est Créteil

 

Le modèle ne devrait-il pas retenir l’hétérogénéité des états de santé ou des revenus, en cas de complémentaire, plutôt que les différents niveaux de qualification des agents ? Les régimes de protection sociale sont très différents, d’où des disparités très fortes, en particulier sur l’état de santé dont de récentes études montrent qu’il est mis à mal par une augmentation de la morbidité.

Une deuxième remarque : les profils de dépenses de santé par âge semblent stationnaires alors que la récente intensification des soins après 50 ans ne sera pas sans répercussion. En poussant le raisonnement au plus loin, si les dépenses de santé sont socialisées à 75%, le modèle peut-il réduire le revenu disponible, ce qui aurait un effet négatif sur le PIB, sur l’offre de travail et sur la productivité ?

D’autre part, mettre en avant la CSG est très efficace, un point de CSG rapportant plus de 10 milliards d’euros. Mais n’est-ce pas là peut-être déresponsabiliser les entreprises ? Faut- il imaginer une contrepartie avec la complémentaire d’entreprise ?

Enfin, qui dit équité, dit critère de justice sociale. La rabattre sur la seule part détenue au sein de la démographie semble un peu faible. Rappelons que deux principes sont à l’œuvre dans le système de santé. L’équité horizontale, soit un égal accès aux soins indépendamment du revenu, et l’équité verticale, soit une moindre contribution des moins fortunés. Ces deux principes ne sont pas respectés concernant les ALD. Si le système de santé concentre 70% des dépenses de l’assurance maladie à ces maladies, ce qui est très bien sur le principe, le dispositif laisse à désirer au regard des restes à charge qui restent supérieurs à ceux d’autres affections. Et avec 5% d’augmentation chaque année, les ALD représentent un gros risque financier liés aux soins, d’où une rupture dans l’équité horizontale.

 

Jean-François Thebaut, ancien Président de la Commission évaluation économique et santé publique de la Haute autorité de santé (HAS)

La santé ne peut être réduite à la question de l’assurance maladie. La prévention, essentielle pour des économies potentielles, n’entre pas dans son financement si tant est que l’on puisse jouer sur le comportement des individus, à cette partie irréductible de la personnalité sur le choix de son mode de vie.

Le champ de la prévention des accidents du travail, des morts prématurées, mériterait néanmoins d’être intégré à l’assurance maladie, mais on ne peut la financer à court terme, à 3 mois ou au prochain comité d’alerte. L’exemple de l’hépatite C a montré les problèmes de trésorerie immédiats que cela posait, même si à long terme la collectivité peut sans doute s’y retrouver.

Cette question de temporalité invite à ne pas cantonner la santé dans l’AM, à élargir le champ du financement, à fiscaliser comme le propose solution Macron. Ce pot commun est capable de prendre en charge tous les déterminants de santé sans les cloisonner sous une terminologie, les ALD par exemple, à laquelle est dédiée une enveloppe spécifique. Cette solution permet de transférer les responsabilités de l’assurance maladie obligatoire vers une structure avec une vision globale.

Une deuxième remarque. Notre système de santé a une histoire. La solidarité intergénérationnelle existe dans la mesure où les actifs ont cotisé pendant des années, en amont, pour les retraités qui les ont précédés. Une fois à la retraite, ils versent des cotisations qui ne couvrent pas leurs dépenses. Leur solidarité passe alors par leurs restes à charge importants. Ce cadre de référence, historique, ne peut disparaître du jour au lendemain.

Enfin, l’objectif originel du fameux « les riches soignent les pauvres », comme en Grande-Bretagne ou dans le régime bismarkien, était de préserver le capital humain pour améliorer la productivité. N’est-on pas passé progressivement d’un mode de redistribution à un autre, qui met l’accent sur ceux qui ont été desservis par la nature, qui veut gommer les inégalités ? Notre système ne place pas la solidarité au seul niveau des dépenses d’assurance maladie, mais, plus globalement, dans la capacité à faire des individus.

 

Conclusion

Fabrice Henry, Président de l’Institut Montparnasse

 

Le modèle MELETE est là pour nous aider à réfléchir sur des pistes possibles et non pour apporter une réponse définitive. Pour autant, le dossier avance peu par rapport aux enjeux à venir.

Au-delà des choix ou des modèles économiques, il y a des choix politiques qui sont aussi des choix de société. Le modèle mis en place en 1945 a permis des évolutions considérables en matière d’espérance de vie. Mais la question de la prévention reste entière, avec un niveau d’investissement bien trop loin de ce qu’il devrait être comme le rappelle le rapport Attali. A travers la prévention, on pose en effet la question des déterminants de santé, donc de ce qu’il faudrait faire au-delà des dépenses de santé, en matière d’environnement, de logement, d’éducation...

D’autre part, la question de l’articulation entre l ‘AMO et l’AMC date de 1945. Faut-il pour autant revoir les périmètres, faire du tout public ou du tout privé ? Différents sondages réalisés dans le cadre des 70 ans de la Sécurité sociale ont montré que les Français sont attachés au système actuel. Et agir sur l’offre de soins est autrement plus délicat que d’intervenir sur la prise en charge ou sa réglementation, car c’est là remettre en cause des situations établies comme la charte de la médecine libérale qui date de 1927 et qui reste le credo de certains professionnels de santé.

Enfin, le financement une fois revu, une autre question peut se poser, celle de la démocratie sociale, de la représentation. Si l’essentiel du financement passe des cotisations sociales à un élargissement de la CSG, qu’en est-il de la représentation dans les Caisses ? Faut- il que les usagers soient mieux représentés ? Pour aller plus loin encore, voulons-nous renforcer les solidarités et les modes de redistribution à travers la question du financement entre bien- portants et malades, entre jeunes et aînés ? Selon le mode de financement choisi, la réponse est redoutable au vu des impacts la TVA ou de la CSG sur les différentes catégories sociales. Ce sont, à chaque fois, des choix politiques.

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