Près d'une semaine après les révélations du Monde et les interpellations de foodwatch qui a demandé aux autorités plus d‘informations à propos d’un OGM interdit, c’est l’omerta et le silence. Une opacité inadmissible pour l'organisation experte des questions d'alimentation qui réclame la vérité de toute urgence. Car les faits sont là : un organisme génétiquement modifié et non-autorisé, fabriqué en Chine, a pénétré le marché européen - et sans doute nos estomacs puisqu’il était destiné à l’alimentation animale. L'agence européenne de sécurité alimentaire alerte sur les risques pour la santé humaine depuis mars. Vingt pays, dont treize en Europe - France comprise -, sont pour l'instant concernés par la dernière alerte lancée par la Belgique début octobre suite à un contrôle officiel. D'après Le Monde, la société chinoise Shandong aurait vendu en Europe au moins 8.000 tonnes de l'OGM interdit cette année via une entreprise néerlandaise : Trouw Nutrition. L'Allemagne avait déjà tiré la sonnette d'alarme et prévenu la France ainsi que d’autres Etats membres de l’UE en 2014 pour un problème similaire. Les autorités publiques ne pouvaient pas ignorer le risque, dénonce foodwatch. Pour l’ONG, il est inacceptable que cet OGM reste sur le marché aussi longtemps alors que les autorités connaissent le problème. Il s'agit là d'une flagrante violation du principe de précaution. foodwatch a lancé une pétition réclamant plus de transparence de la part des autorités : près de 10.000 personnes l’ont déjà signée. |
D'après les informations obtenues par foodwatch, les autorités néerlandaises ont mis plusieurs semaines avant de pouvoir retracer le parcours de l'OGM pointé du doigt par la Belgique le 2 octobre dernier. Il s'agit de vitamine B2 (riboflavine 80%) servant d'additif pour les aliments destinés aux animaux et produite par une bactérie génétiquement modifiée (Bacillus subtilis KCCM-10445). L'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) est consciente que l'additif présente un risque pour les animaux mais aussi les consommateurs. Malgré l'ampleur et le risque avéré, les autres états membres ont dû patienter avant d'obtenir plus d’informations sur la traçabilité. Les pays européens concernés procèdent actuellement à un retrait qui semble s'opérer dans la plus grande opacité. Aucune autorité - ni la Commission ni les autorités compétentes européennes ou nationales - n'ont apparemment informé le public à ce jour. Le réseau d'alerte européen RASFF montre que plusieurs pays ont pris des mesures ou répondu à la Commission suite à l'alerte belge. En France, les consommateurs sont laissés dans le flou total. La Commission européenne a demandé le 8 novembre aux autorités françaises de préciser le nombre de kilos d’additifs ou de prémélanges identifiés, selon Le Monde. « La France a-t-elle répondu aux requêtes de la Commission sur les produits concernés ? Quelles mesures ont été prises ? Quelles sont les entreprises, les marques concernées dans l'hexagone ? Avons-nous mangé de l’OGM interdit sans le savoir depuis des années ? Interpellée par foodwatch, la Direction générale de l'Alimentation (Ministère de l'agriculture) n’a répondu à ce jour à aucune de ces questions. Il n'y a pour l'instant aucune communication publique sur ces substances pourtant interdites. Or les consommateurs ont le droit de savoir. Une fois de plus, c’est le manque de traçabilité en Europe et l’opacité qui sautent aux yeux », souligne Ingrid Kragl, de foodwatch France. L'Allemagne avait déjà tiré la sonnette d'alarme en 2014 pour un problème similaire et prévenu les 11 autres états, dont la France, via le réseau d'alerte européen. En 2015, six chercheurs français et belges ont publié leurs travaux sur la détection de ce « Bacillus subtilis non-autorisé par l’Union européenne ». En 2016, des experts de l'Office fédéral allemand de protection des consommateurs et de sécurité alimentaire (BVL) et d'autres autorités de l'UE ont également mené des recherches conjointes pour conclure que ces aliments pour animaux n'auraient pas dû être vendus. La Commission européenne a toutefois attendu août 2016 pour demander à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) un nouvel avis sur la sûreté de la riboflavine (80%) produite par la souche OGM Bacillus subtilis KCCM-10445. Le 7 mars 2018 enfin, l'EFSA concluait que « l'additif présente un risque pour les espèces cibles, les consommateurs, les utilisateurs et l'environnement, en raison de la propagation potentielle de cellules viables et d'ADN d'une souche génétiquement modifiée contenant des gènes codant pour la résistance à des antimicrobiens importants du point de vue de la santé humaine et animale » (antibiorésistance). Malgré ce risque manifeste pour la santé animale et humaine, il a fallu attendre le 19 septembre dernier pour que la Commission européenne demande officiellement le retrait de cet additif OGM dans l’alimentation animale. Les opérateurs devaient retirer du marché ces additifs interdits pour l'alimentation animale avant le 10 novembre. Mais qu'en est-il réellement ? Le règlement d'application de la Commission accorde un délai jusque avril 2019 aux aliments pour animaux de ferme contenant cet additif, et même jusqu'en juillet 2019 pour « les matières premières des aliments pour animaux et les aliments composés pour animaux destinés à l'alimentation d'animaux non producteurs de denrées alimentaires qui contiennent l'additif ou les prémélanges fabriqués avant le 10 janvier 2019 ». L’ONG a lancé une pétition exigeant de la part des autorités la totale transparence qui a déjà rassemblé près de 10.000 signatures.
Comment est-ce possible ? La bactérie est génétiquement modifiée de telle sorte qu'elle fonctionne comme "bioréacteur » dans un système fermé et produit ainsi la vitamine B2 souhaitée. La vitamine est ensuite extraite et doit être purifiée de façon à ce que l'OGM (c'est-à-dire la bactérie) ne soit plus présent. De nombreuses vitamines sont aujourd’hui produites de cette façon. La vitamine B2 (riboflavine) elle-même n'est PAS un OGM ; elle n'est pas chimiquement différente de la riboflavine présente dans la nature. La seule différence est qu'elle est produite par des bactéries génétiquement modifiées (OGM). Mais cet OGM n’est pas autorisé à se retrouver dans le produit vitaminique fini, qui est par exemple utilisé dans l'alimentation animale, conformément aux exigences légales. Le caractère explosif de cette affaire ne tient pas seulement au fait que les autorités savent depuis des années qu'un OGM vivant est contenu illégalement dans un additif pour l'alimentation animale. Il est également dû au fait que cette bactérie contient quatre résidus d'antibiotiques qu'elle peut transmettre aux animaux par l'alimentation. L'EFSA a émis un avertissement explicite concernant ce risque supplémentaire pour la santé animale et humaine. Que la bactérie génétiquement modifiée ait pénétré accidentellement ou intentionnellement dans la préparation vitaminique n'enlève rien au fait que sa commercialisation en Europe est interdite. La riboflavine est autorisée en tant qu'additif alimentaire depuis 2003, mais uniquement sous sa forme pure - sans composants bactériens génétiquement modifiés. |
Sources
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