Lourdeurs administratives, aveuglement de l’assurance maladie

Le combat inégal de Laura, greffée bilatérale des bras et des mains

Par Jacques Degain -  Journaliste

Théragora - www.theragora.fr - Année 2021 - Théragora le 13 décembre 2021 N° 53 - Page 0

Pendant prés de quinze ans, une jeune fille, puis une femme, s’est battue, accompagnée par un médecin et une avocate, pour se faire greffer des bras et des mains après une amputation, consécutive à un choc septique. Rejetée par la France, elle s’est fait opérer aux Etats Unis. L’assurance maladie française, qui refusait de prendre en charge cette greffe bilatérale, a été condamnée par la justice, à payer. Le jugement en appel se déroulera en Juin 2022. C’est l’histoire de Laura Nataf que Théragora raconte aujourd’hui.       

 

Elle a gagné Laura.  Une première victoire. Mais une victoire pour la vie, une victoire sur l’enfer. Un enfer de quatorze ans…Un siècle, une éternité.

L’enfer, elle l’a vécu, elle l’a rencontré, Laura, lorsqu’elle se réveille ce jour de 2007 d’un coma artificiel à l’hôpital Cochin. Elle se réveille sans un sourire à ses côtés, sans qu’un visage aimé ne se penche vers elle. Elle est seule. « J’ai eu l’impression, dira-t-elle, que mes jambes et mes bras étaient repliés. Je ne comprenais pas ». Mais comment peut-elle comprendre, comment peut-elle réaliser ? Laura n’a plus de jambes, elle n’a plus de bras, elle n’a plus de mains. Victime d’un choc septique, elle a été rapatriée d’Espagne à Paris, où l’amputation s’est révélée, se justifieront les médecins, irrémédiable. « Ils m’ont sauvé la vie, ils n’ont pas sauvé mes membres » dira-t-elle encore. Laura Nataf a 19 ans.

Dès lors le combat va s’engager. Il sera long, dur, souvent inégal. Mais Laura va se battre. Seule d’abord, soutenue par ses parents et ses proches, mais bientôt d’autres arriveront. Laura cherche la lumière pour sortir du tunnel.  Certes ses prothèses l’aident à vivre, à survivre…Mais bien vite l’idée de greffes surgit. La France n’est-elle pas cette terre où les greffes les plus remarquables ont été saluées ? La France n’est-elle pas ce pays où les plus éminents médecins, professeurs, spécialistes, ont été célébrés et applaudis ?

La lumière, Laura va la trouver avec le Pr. Laurent Lantiéri qui décide de se battre à ses côtés. Le Pr Lantiéri, connu mondialement pour avoir notamment réalisé la première greffe totale du visage, est un allié de poids pour Laura. « Mes patientes, expliquait-il dans un entretien au JDD, se débrouillent très bien avec leurs prothèses. Mais elles rêvent de retrouver leur sensibilité ».

La lumière, Laura la trouvera aussi un peu plus tard, auprès d’une avocate, Valérie Sellam Benisty, qui l’accompagnera dans son affrontement avec une administration et une assurance maladie peu coopératives, peu généreuses. Nous y reviendrons.

 

Trois ans sur la liste d’attente de greffes… puis rayée 

Pour l’heure, Laura n’a qu’un objectif. La greffe surtout pour les mains et les bras. « J’avais l’impression d’être robotisée », dira-t-elle parlant de ses prothèses des membres supérieurs. Donc la greffe à tout prix. Au début, tout parait aller pour le mieux. Sa demande est prise en considération ; l’Agence régionale de santé d’Ile de France autorise sa greffe des deux bras et mains et en 2013 (six ans quand même après son choc septique) ; elle est inscrite sur la liste nationale d’attente des greffes en France. Mais voilà. A l’époque, la réglementation française n’autorise la greffe que si elle s’effectue dans le cadre d’un programme de recherche médico-économique, ou d’un programme hospitalier de recherche clinique (lire encadré) En clair pas de programme de recherche, pas de greffe…

Trois ans qu’elle est inscrite sur la liste d’attente. Voilà trois ans que Laura attend et que le Pr Lantieri multiplie les appels, les démarches et tempête. Et en 2016, le verdict implacable tombe : Laura est radiée de la liste. Son nom est rayé. Un trait de plume brise l’espoir. La violence de la nouvelle est incommensurable. Cela fait  près de dix ans que Laura vit sans bras, sans mains, sans jambes. Le Pr Lantieri ne désarme pas ; il contacte l’un de ses confrères américains, le Pr Scott Levin qui lui assure qu’une greffe est possible à Philadelphie. Mais hors de question pour l’assurance maladie en France de prendre en charge tout ou ne serait-ce qu’en partie les dépenses occasionnées par cette greffe aux Etats Unis. Ce qui s’est pourtant fait en d’autres occasions. Elle est terrible cette lettre lapidaire, inhumaine diront certains, du 16 février 2016 qui annonce à Laura, sans aucune précaution, que « les soins ne seront pas pris en charge ».  Il faudra raconter un jour les combats quotidiens, ou presque, de la patiente et de son médecin, des patients,  pour convaincre une administration sourde et sûre d’elle-même, que les greffes ne peuvent seulement dépendre d’un article de loi ou d’un codicille du code de la sécurité sociale.

 

Philadelphie et l’hôpital Penn Medicine

Car si Laura et son médecin s’envolent ce jour d’août 2016 pour Philadelphie et l’Hôpital Penn Medicine, c’est qu’ils n’ont pu trouver en France une oreille pour les écouter et une administration pour les aider. Laura a été abandonnée.

Et si l’intervention menée par les équipes américaine et française, qui s’est déroulée sur deux jours les 22 et 23 août 2016, a été une réussite ; si sa rééducation et son hospitalisation se sont bien passées ; si la joie de Laura est indescriptible ; si  le retour en France de Laura avec deux bras et deux mains a été salué, avec l’enthousiasme et l’émotion que l’on devine, l’affaire n’en est pas terminée pour autant. C’est un autre chapitre, essentiel, qu’il faut ouvrir maintenant.

Car Laura va bientôt recevoir une facture qui va la faire trembler.  L’hôpital de Philadelphie qui avait accepté d’avancer les fonds pour cette intervention lui présente la note. Plus de 990 000 euros ...

Et c’est à ce moment qu’intervient Maître Valérie Sellam Benisty. Nous sommes en 2017. « Quand elle est venue me voir, dit aujourd’hui l’avocate, son histoire tenait sur une feuille de papier ». Aujourd’hui son dossier pèse des kilos et occupe plusieurs étagères de son bureau. L’avocate va se battre, sans fléchir, sans douter, face à une assurance maladie et à une caisse primaire de Paris qui refusent, sans surprise, d’endosser la facture. Elle multiplie les interventions auprès de l’Agence régionale de santé, du ministère de la santé, du défenseur des droits, de l’agence de biomédecine…. Une tentative de recours amiable est lancée. Sans succès. Désormais l’action judicaire reste la seule issue, et s’impose. Mais qu’il sera long ce temps d’attente. A sept reprises, l’audience devant le tribunal judicaire de Paris, est repoussée : la défense n’ayant pas déposé toutes ses conclusions. Voulait-t-on décourager la plaignante ? Certains le soupçonnent.   

Il se sera passé quatre ans entre la visite de Laura à son avocate et le procès, qui se tient en février 2021. Laura a maintenant 33 ans.  Elle a été amputée, on s’en souvient en 2007. Il y a quatorze ans.

Laura et Maitre Valérie Sellam Benisty

 

L’assurance maladie condamnée à payer

Mais il est des moments où l’histoire se venge. Car ce 12 Juillet 2021 est un grand jour pour Laura et son avocate. Le jugement du tribunal est sans ambiguïté et reprend les arguments développés par Maitre Valérie Sellam Benisty : La France n’était pas en mesure, affirme ce jugement, de proposer en 2016 une greffe à Laura alors même qu’aucun protocole (programme de recherche clinique ou médico économique, voir plus haut) ne lui avait été présenté, et du fait qu’elle avait été radiée de la liste d’attente des greffes. C‘est ce vide administratif, mis en exergue par l’avocate lors de sa plaidoirie, qui a convaincu le tribunal judiciaire et été repris donc par les juges.  Conclusion sans nuances : Laura pouvait bien se faire opérer, comme un article du code de la sécurité sociale le prévoit, dans le pays de son choix, en l’occurrence les Etats Unis. A cela s’ajoutent des fautes de procédures…En conséquence la caisse primaire d’assurance maladie ne pouvait refuser de prendre en charge les frais occasionnés par l’opération aux Etats Unis. Et le tribunal condamne la CPAM de Paris, à verser à Laura 664 261 euros. Il exclut du remboursement les frais de la chambre particulière et certains frais pharmaceutiques.

 

Une première manche

Ce jugement est un grand succès pour Maitre Valérie Sellam Benisty et Laura. Mais ce n’est pas le clap de fin. Ce n’est qu’une première manche… L’épilogue sera pour plus tard.  La CPAM ayant fait appel, une nouvelle audience se déroulera le 23 Juin 2022. Laura et son avocate s’y préparent. 

Mais Laura revit. Une nouvelle vie commence. Parfois les histoires finissent bien.

On ne peut cependant manquer de s’interroger. Car si Laura, à force de caractère, de combats, de luttes n’avait pu trouver sur sa route un médecin et une avocate pour la soutenir, l’aider, la relever lorsque le découragement la gagnait, pour se battre à ses côtés, elle n’aurait pu gagner et retrouver l’espoir. Et combien de ses semblables sont ainsi abandonnés ? Notre responsabilité est immense.

 

Une nouvelle réglementation

Cette histoire a eu des répercussions intéressantes pour les futurs patientes et patients en attente de greffes. En effet, Marisol Touraine, Ministre de la santé en 2016, dans le gouvernement Cazeneuve, a fait voter, à la suite cette affaire, un amendement au Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2017,  précisant notamment qu’il ne serait plus obligatoire qu’un programme de recherche soit mis en place pour qu’une greffe soit réalisée.  « L’agence régionale de santé, précise ce texte, peut après avis conforme d’un comité national constitué à cet effet, autoriser un établissement de santé, à pratiquer une activité de greffe exceptionnelle ». Un progrès, insuffisant sans doute, mais un progrès réel.

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