Pour trouver un chemin face à l'alcool, Laurence Cottet nous livre un témoignage puissant. Non, j'ai arrêté, un livre incontournable. Extraits.

Non, j'ai arrêté - par Laurence Cottet

- Théragora le 4 février 2020 N° 30 - Page 0 - crédits iconographique Frantz Lecarpentier

Non ! J’ai arrêté publié chez © Interéditions 2014

 

Le jour où mon destin a basculé de l’enfer à un petit coin de paradis

Tout a basculé en l’espace de trois mois. La catastrophe devait arriver, ce n’était qu’une question de temps. Les portes se refermaient une à une. Cela devait se terminer ainsi, je le pressentais depuis longtemps. Je ne le redoutais pas car je voulais en finir, lasse de me battre seule. Dix années d’alcoolisme dans les veines, d’un suicide à petit feu. Le vin, au début, était mon meilleur compagnon pour masquer ma trop grande solitude. Qu’il soit cuit, sec ou moelleux, frais ou ambiant, blanc, rouge ou rosé, pétillant… il me donnait toujours l’euphorie et l’ivresse. Il m’assommait dans un lit défait et devenu froid. Il remplissait mon « réservoir émotionnel » vide d’amour, depuis de nombreuses années. Depuis la mort de mon mari, Pierre. La solitude peut causer de terribles ravages dans l’âme humaine. Cet élixir qui subrepticement, insidieusement était devenu depuis dix années, mon pire ennemi. Je ne vivais plus que pour lui, j’avais perdu la liberté de m’abstenir de boire. Lorsque que d’autres le sirotaient, je lampais le mien, je ne maîtrisais plus ma consommation.

 

Début novembre 2008, 9 heures, je rentre à pas comptés, forcés, timides dans une librairie bien achalandée située dans le 14e, à Paris. J’ai de la chance, il n’y a pas grand monde à cette heure creuse. Je me dirige vers une vendeuse qui m’apparaît « ouverte » :

– Bonjour Madame, ben, euh… je cherche un livre sur l’alcool … sur les effets de l’alcoolisme… un ouvrage concret et pratique pour m’instruire…

Un lourd silence s’installe. Elle me dévisage visiblement surprise, presque gênée. D’autres têtes se retournent vers moi. Ma question intéresse, interpelle. Dérange plutôt.

– Hmmmm… Bon, vous comprenez, ce n’est pas pour moi mais pour une amie qui boit un peu trop et je voudrais qu’elle se rende compte…, aussi avec un livre ou un document-témoignage, peut-être que c’est plus facile… Ben donc…, lui faire comprendre qu’elle est dans l’excès… ou dans la dépendance… sans doute… Mais peut-être aussi qu’il y a des solutions… à son problème avec l’alcool…

Je bafouille, je baisse les yeux. La honte me tétanise, me musèle. Silencieuse, la jeune dame me scrute avec des yeux de varan. A-t-elle compris que c’est pour moi ce livre ? Que je mens, que je biaise par honte de mon état ? Sans doute car les signes de mon visage trahissent depuis bien longtemps mon alcoolisme et je le sais. Elle répond d’emblée, d’une voix sèche et cassante :

– Non, désolée Madame, nous ne vendons pas ce type d’ouvrage.

Un long silence. Je tremble de tout mon corps, mon âme est en berne. Je baisse les yeux. Je sors, le regard à terre, les épaules rentrées, portant les mines que je devine plombées des têtes bien faites, bien pensantes des quelques clients de ce magasin. Je suis sans doute la honte de ce début de matinée.

 

Quelques jours plus tard, j’appelle la ligne « indigo » des Alcooliques Anonymes. Cela fait déjà plusieurs mois que l’on se parle en « anonymes ». Ça me fait beaucoup de bien, surtout qu’ils m’ont expliqué qu’arrivée au stade de cette dépendance, ce n’est plus une question de volonté, mais bien un réel désir à vouloir arrêter de boire. Ce désir, je crois que je le ressens, mais il faudrait maintenant que je trouve la force de franchir la porte d’une de leurs réunions. Et ça, c’est trop humiliant pour moi, et d’ailleurs je n’ai pas les adresses. Ainsi qu’aucune main pour m’y entraîner, puisqu’ils sont « anonymes »..., c’est leur règle. Et de plus, j’ai trop peur de cet univers inconnu… trop peur de m’y projeter… trop peur d’arrêter de boire… et d’être en manque. J’ai besoin de ma dose-alcool.

 

Le lendemain, les pompiers me ramassent inanimée vers 16 heures, sous un porche dans le 16e. Diagnostic : coma éthylique et overdose médicamenteuse. Ils m’emmènent toutes sirènes hurlantes et gyrophare allumé. Aux urgences, après plusieurs lavages gastriques, on me parque sur un brancard dans un couloir. Dans ce service surchargé, beaucoup de bruits, de cris et une lumière aveuglante m’agitent. Une piqûre calmante à la saignée du bras a raison de moi. Vers minuit, j’ouvre les yeux et je reprends un peu mes esprits. Où suis-je ? Quelle heure est-il ? Personne pour me répondre, et pourtant je ne suis pas seule. Des cris et des plaintes montent au ciel, des gens souffrent tout autour de moi et s’énervent. J’ai le vague souvenir d’un repas d’affaires trop arrosé. Comme d’habitude, j’ai bu, trop bu… mais où et combien ? Peine perdue, c’est le trou noir complet de l’isolement. À la relève des infirmiers je perçois des chuchotements :

– Et celle-là ?

– Oh ! Encore un cas de coma éthylique aggravé ! Une débauchée, une ivrogne. Il n’y a plus rien à faire, on l’a mise sous somnifères. Tu attends qu’elle dégrise !

 

On me prend le pouls et la température sous l’aisselle. Je reste muette, inerte, comme interdite d’exister. Trop honteuse du diagnostic de débauchée qui tinte violemment à mes oreilles. Quelques minutes s’égrènent, interminables. Je rabats tristement les paupières. Le murmure reprend :

– Tu crois que c’est une TS[1]avec des médocs ? C’est triste, on dirait bien que c’est « une Madame »…

– Oui… euh non…, en fait je ne sais pas. Elle ne parle pas et elle ne veut prévenir personne… Elle doit être dans la gêne… et elle peut cette alcoolo ! Ben… surveilles-la quand même… on ne sait jamais.

Les pas et chuchotements s’éloignent. Les cris et les plaintes restent. Mon désarroi et ma honte aussi. Je ne me souviens toujours de rien… ; je me demande à nouveau ce qui s’est passé… Je suis toujours solidement arrimée sur un brancard dans ce couloir infernal et débordé par des arrivées « sans prévenir ». Je sombre dans une obscurité tourmentée…, le black-out complet.

Après une journée de demi-sommeil ponctué de larmes silencieuses, on me rend enfin mes effets personnels, dont mon tailleur BCBG de cadre supérieur et on me fait signer l’inventaire détaillé. C’est comme une levée d’écrou, je ne suis qu’un numéro. On libère « la Madame », certes dégrisée, mais sans le moindre conseil. Comme je ne présente pas de troubles organiques ou mentaux, je n’ai donc pas à être orientée vers un autre service.

À ce moment-là, j’aurais pourtant voulu me confier à quelqu’un…, à un psychologue ou à un médecin-addictologue. Lui avouer mon problème avec l’alcool. Cette drogue qui dégrade le corps et dérange l’esprit. Qui gangrène la chair et l’âme. Leur révéler que je la cumule avec d’autres substances devenues aussi de vraies drogues : le Xanax du matin, le Lexomil du soir, les 9 à 10 expressos de la journée, les breuvages multivitaminés, … et le sniff d’héroïne au gré des fréquentations dans le monde du travail. La France n’est elle pas championne dans la consommation d’anxiolytiques en Occident ? Leur dire que je ne peux plus rester seule face à cette situation, car je suis un véritable cocktail de stress et d’intox. Leur dire que j’ai besoin d’être écoutée et comprise, même si je suis peu gratifiante à soigner. Que ce n’est pas une question de volonté parce que ça, j’en ai, enfin… je crois. Et que quelques heures plus tard, si je suis à nouveau isolée chez moi, coupée du monde, sans doute que tout recommencera. Je me réveillerai avec des grosses araignées véloces et velues plein la tête et des vers grouillants sous la peau. Tout sera noir, nauséeux, car je suis bourrée de substances psychoactives depuis trop longtemps. Leur dire que ma TS est un véritable appel au secours… je ne veux pas mourir…, je ne veux tout simplement plus de cette vie là et j’ai tellement besoin d’aide !

Quelques jours plus tard, à 10 heures, j’appelle le secrétariat d’un des rares services d’alcoologie d’un grand Hôpital parisien.

 

– Bonjour Madame, je voudrais de l’aide en urgence… Je n’en peux plus. Je suis alcoolique, je ne sais plus quoi faire…

– Bonjour Madame, alcoolique ! Oui je comprends mais le délai d’attente est actuellement de deux mois. Je peux vous proposer le 10 février à 14 heures 30, avec le docteur K. 

– Pas avant ?

– Non, je vous l’ai dit, nous n’avons plus de place en ce moment.

– Mais je fais quoi en attendant ?

– Je sais Madame, je comprends… mais en avez-vous parlé avec votre médecin généraliste ?

– Oui bien sûr, depuis longtemps… mais je pense que ça le dépasse et il a essayé de me soigner. Mais je n’ose pas tout lui dire… En un quart d’heure, comment voulez-vous être écoutée ? Non, non ! Ce sont de vrais soins dont j’ai besoin !... Peut-être même que je souhaite être hospitalisée… Euh… je ne sais plus, je suis trop fatiguée dans la tête…

 

Un profond silence me répond. Des larmes giclent sur mes joues en fontaine. Elles picotent, mon corps tremble, je suis en manque de drogues. Le craving guette, cette pulsion du néant m’enflamme l’intérieur. Et pourtant, ça y est, la phrase est lâchée, j’accepte de soigner mon alcoolisme et j’envisage une cure de désintoxication ! De faire ma valise et de rentrer à l’hôpital. Depuis plusieurs semaines, j’ai horriblement mal aux jambes, des crampes et je n’ose plus me regarder dans un miroir tant mon visage me répugne. L’aiguille de la balance fait honte à mon corps. Je retiens mon souffle et l’entends dire :

 

– Oui je comprends, mais vous n’êtes pas la seule dans cette situation. Prenez contact alors avec les Alcooliques Anonymes.

– Mais je l’ai déjà fait et c’est eux d’ailleurs qui m’ont donné vos coordonnées. Vous savez, j’ai déjà failli mourir deux fois… deux comas éthyliques et à l’hôpital, après 48 heures, ils m’ont relâchée… juste après que mon taux d’alcoolémie était retombé…, mais maintenant, ça n’est plus possible… Je suis vraiment trop seule ! Je n’en peux plus ! À chaque fois je remets ça !

Encore un long silence qui me pèse, je perçois son souffle, entrecoupée par des profonds soupirs. La gorge nouée, le front perlé, mes yeux sont toujours aveuglés d’eau. J’espère une date plus rapprochée. Elle reprend d’une voix très douce :

– Désolée Madame, je vous note pour le 10 février et je vous souhaite vraiment du courage d’ici là. Au revoir, Madame.

– Au revoir et merci quand même. Balbutié-je.

 

Je raccroche, ma déception est grande, une nouvelle douche froide sur un maigre espoir. Je n’y arriverai pas, je le sais et je ne redoute plus rien, lasse de me battre seule. L’anxiété est à son comble, je tremble de tout mon corps. Le craving m’envahit. Alors qu’il est à peine 10 h 30, le piège se referme. Je bois cul sec au goulot de la bouteille de vodka. J’émerge quelques heures plus tard, allongée à même le sol carrelé de la cuisine. Le front ensanglanté ; des bris de verre m’entourent. Seule au milieu d’un capharnaüm indescriptible ! J’ai dû me cogner et me couper en tombant, ma mémoire est confuse. Je ne sais pas et je m’en fous. J’angoisse à nouveau, le corps en sueur, je pleure maintenant tout mon soûl. Je n’ose pas appeler mes amis de peur de les perdre. De perdre leur estime. Quant à la famille, elle est depuis bien longtemps dans le déni de mon état. Alors je m’enivre à nouveau, il est 15 h, je crois. Je suis seule dans mon 20 m2 parisien. Enfermée, les volets clos, irrémédiablement scalpée d’un monde que je ne comprends pas et qui me rejette.

 

Fin de l’année 2008. Dernière séance avec ma psychothérapeute. Avec elle, on parle de tout sauf de mon alcoolisme. C’est la règle me dit-elle : Pour l’alcool, allez chez les Alcooliques Anonymes, avec eux, leur méthode, ça marche. Un jour, je lui ai demandé si elle était allée à une de leurs réunions, si justement elle pouvait me définir leur méthode. Sa surprise et son silence m’ont donné d’emblée la réponse et la bienséance ne m’a pas permis d’insister. Elle me précise qu’elle prend ses congés de Noël, pendant deux semaines et elle me donne une nouvelle date. C’est son droit bien sûr, quant à moi, je suis vraiment seule. En me reconduisant, elle me dit de prendre soin de moi, qu’elle est navrée car ses congés tombent mal par rapport à moi… Encore une désolée pour moi et elle ne croyait pas si bien dire. Polie, je lui souhaite de bonnes fêtes et d’agréables vacances.

Je l’aimais bien cette dame mais je savais en mon for intérieur que je ne la reverrais plus. Qu’il serait trop tard. Le soir, je bois comme à chaque fois. Le sait-elle ? Le devine-t-elle ? J’avais plusieurs fois raté des séances, bien trop ivre pour m’y rendre. Je les réglais à chaque fois, à la suivante, en liquide. Elle ne me posait pas de questions sur mes défections. De mon côté, je n’ai pas le droit de parler de l’alcool et des autres pratiques addictives et finalement cela m’arrange, tellement j’ai honte de ce manque de courage. Mais je suis démunie, l’alcool est en train de me tuer tous les jours un peu plus. S’en est-elle rendu compte ?

23 janvier 2009, à 12 heures 30. C’est la cérémonie des vœux dans un grand groupe industriel. Je ne veux pas y aller mais je n’ai pas le choix, j’y occupe un poste important de cadre supérieur. Petits fours, alcool en open bar et discours à rallonges. Ce jour-là, je tombe à terre devant 650 personnes. Je touche le fond, je m’écroule ivre-morte. Après m’être exprimée en aparté avec le Directeur général, je signe mon arrêt de mort. Car droit dans les yeux, j’ose lui dire le sentiment partagé que le monde professionnel n’est toujours pas adapté aux femmes et que des maux bien particuliers en sont les conséquences. Comme un burn-out que je signe en public, une demi-heure après que sa garde rapprochée nous a habilement séparés.

 

Le « déclic » le 24 janvier 2009 à 19 h. Le lendemain, je fais une rencontre qui me sauve. Des ombres, dont je m’extraie en une fraction infime de temps, je suis projetée dans des clartés. C’est l’éveil spirituel. Une petite lumière brille au fond de moi et éclaire l’orée d’un chemin. Le « déclic » se produit et à compter de cette minute, j’arrête de boire. Ce jour-là, j’étais seule, extrêmement affaiblie et totalement démunie. J’avais tout perdu : ma dignité de femme, mon amour-propre, ma beauté intérieure, mon travail, mes amis, ma famille, mes forces… sauf la vie. Ce jour-là, il m’est pourtant offert une force intérieure qui me permet de vivre à nouveau, mais différemment, au fil du temps. Je deviens plus sensible au corps que l’on est qu’au corps que l’on a. Je retrouve la liberté de m’abstenir de boire. J’ose dire « OUI » à la vie sans alcool ! Quelques jours à peine suffisent pour que je ressente les bénéfices physiques immédiats de l’abstinence de ce produit, ce qui renforce ma détermination. Je prends conscience d’avoir repris goût à la liberté, sans oublier cependant que celle-ci reste toujours fragile et impérativement liée à la sobriété. Il n’y aura jamais de demi-mesure.

 

Un petit coin de paradis, 24 janvier 2013. Quatre années d’abstinence. C’est un combat de tous les jours pour maintenir une sobriété émotionnelle, mais il est devenu naturel et non plus obsessionnel grâce à la méthode H3D. Un challenge que je mène et dont je témoigne sur une grande chaîne de télévision nationale, à visage découvert. C’est une confession publique authentique : je dévoile ma chute à terre qui aurait pu être mortelle… mais je donne de l’espoir car je me relève. Et droit dans les yeux de plus de 5 millions de téléspectateurs, j’affirme que je n’ai plus honte de mon passé d’alcoolique-dépendante et encore moins de ce que je vais devenir...

Cette lutte et la solution, je vous les livre aujourd’hui dans ce livre afin de transmettre cet espoir vis-à-vis de cette maladie, ainsi que les bienfaits quotidiens d’une abstinence heureuse. Cette maladie qui est encore pour beaucoup considérée comme honteuse, juste par ignorance. Mais non, ce n’est pas une tare ni un vice ! Pour moi, cette maladie est avant tout celle de la mélancolie. Celle d’une âme triste. Celle d’un grand gouffre intérieur, d’un réservoir affectif et d’amour trop vide que nous cherchons à combler par de l’alcool ou d’autres drogues. Très souvent nous consommons l’affection aux mauvais endroits et en usant des plus mauvais moyens.....

 

Reproduit avec l'aimable autorisation de l'éditeur - Lien éditeur Non j'ai arrêté, ©InterEditions 2014 Dunod


[1] Tentative de suicide.


 

 

Voir l'interview de Laurence Cottet à l'occasion de la sortie de son livre
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, InterEditions

 

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