Fin de la récré !

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2020 - Votre pharmacien vous conseille N° 161 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

Pendant des décennies d’indulgence coupable le consensus médico-social a permis le déploiement de l’idée fausse que les drogues, le cannabis en tête, pouvaient être récréatives et inoffensives. Erreur fatale !

 

Il est plus que temps de recourir à une sévérité éthiquement responsable envers les enfants et adolescents. Dans des études déjà anciennes, une équipe américaine constate l’influence majoritaire, dans l’enfance et l’adolescence, de l’environnement familial sur la consommation de drogues (nicotine, caféine, alcool, cannabis), particulièrement celle des aînés au sein de la fratrie. Toutefois, plus la personne est âgée, plus sa consommation dépend de facteurs génétiques qui finissent par dominer.1,2  Aujourd’hui l’exemple familial est de moins en moins influent, au profit des réseaux sociaux et écrans individuels, ce qui porte un gros coup à la bonne volonté éducative…

 

 

Banalisation des consommations

La consommation de drogues licites et illicites est responsable de la perte annuelle de 130.000 vies en France. La dépense publique directe s’élève à 22,1 milliards d’euros (1% du PIB). Le haut niveau d’usage chez l’adulte s’explique par une entrée précoce dans la consommation avec une progression régulière ultérieure. De 2010 à 2017 en comparant des ados de 35 pays, la plus grande consommation de cannabis au cours des 30 derniers jours est celle des Français de 16 ans. Ils sont aussi à la 11ème place pour le tabac et la 15ème pour l’alcool.3 Avec un million (estimé) d’usagers quotidiens de cannabis (tranche 20-35 ans très majoritaire), la France est championne d’Europe. La crise de la Covid19 a provoqué une rupture d’approvisionnement faisant basculer leur état sanitaire : seuls 35% des répondeurs à l’enquête Cannavid ont réagi en arrêtant ou diminuant leur consommation.4 Cette détresse prouve que le plus prudent est de ne pas toucher à la drogue sous quelque forme qu’elle se présente pour séduire le naïf.

 

Le cannabis n’est pas un ami

Dès 2016 L’Académie de Pharmacie s’est insurgée contre sa possible dépénalisation « preuves à l’appui » après avoir dénoncé la pandémie cannabique et alerté sur la multiplication par 10 en 30 ans de la concentration de son principe actif dans les produits en circulation, c’est-à-dire le tétrahydrocannabinol (THC).5 Elle a consacré aux drogues une séance entière en 2018. L’Académie de Médecine, elle, a fourni fin 2019 un rapport sur les dégâts dans la population adolescente.3  Si la position américaine est plutôt indulgente et met en valeur les effets thérapeutiques dans un rapport scientifique,6 une telle ambivalence n’a jamais été de mise en France. Dans différents communiqués l’Académie de Médecine rappelle que « ce qui qualifie un médicament est son rapport bénéfice/risque, c’est-à-dire l’analyse des bienfaits pour le patient comparés aux effets secondaires et toxiques ». En l’occurrence les effets thérapeutiques du cannabis /THC sont modestes alors que les effets indésirables sont nombreux, et qu’avec le temps les facteurs de gravité s’accumulent : 7

  • la précocité des premières consommations, or la détérioration psychique est d’autant plus rapide que l’usage est plus précoce ;
  • la diffusion de la pipe à eau, redoutable parce qu’elle délivre au cerveau, en un bref délai, des fortes quantités de THC, suscitant immédiatement délire et hallucinations ;
  • la teneur en THC dans les produits en circulation (marijuana, haschich) est multipliée par 5,  jusqu’à 10 parfois, depuis 40 ans.

 

Le cerveau en première ligne

La lipophilie (stockage dans la graisse) du THC en fait, de toutes les molécules stupéfiantes, la seule à s’emmagasiner pour des jours et des semaines dans le cerveau, organe très riche en lipides. La dépendance psychique est forte et frappe 20% des expérimentateurs. La dépendance physique est avérée mais les troubles sont parfois niés parce que différés d’une à deux semaines après l’arrêt de toute consommation, compte tenu de la persistance du THC dans l’organisme (14 jours environ). On peut la révéler, de façon intense et instantanée, en administrant un agent bloquant (antagoniste) des récepteurs CB1 auxquels se lie le THC.7

Tirant son nom du cannabis par lequel il a été identifié, le système chimique endocannabinoïde est constitué de récepteurs cellulaires CB1 et CB2 qu’on trouve partout dans l’organisme, et de neuromédiateurs (voir encadré). Ces récepteurs régulent de nombreuses activités ; tels sont les CB1 dans les mitochondries, les centrales énergétiques cellulaires. L’intoxication par le THC des CB1 de mitochondries dans le cerveau expliquerait les troubles de mémoire qui effondrent les apprentissages chez les consommateurs réguliers.

D’autres méfaits cérébraux sont préoccupants avec la hausse de la consommation individuelle : anxiété, troubles dépressifs, désinhibition avec prises de risques et/ou comportements violents. La perte de motivation, aggravée des troubles de la mémoire et de l’attention, perturbe gravement le parcours scolaire ou universitaire. Encore heureux si l’adolescent consommateur ne décompense pas un état pré-schizophrène ou ne déclenche pas une psychose cannabique (due au cannabis) résistante aux traitements antipsychotiques. Dans tous les cas, le cannabinisme incitant à la consommation d’autres drogues, la polytoxicomanie le guette…

 

Un peu d’espoir ?

L’équipe de Giovanni Marsicano (Inserm, Neurocentre Magendie, Bordeaux) a mis en évidence un précurseur hormonal inhibant certains effets délétères du cannabis, tels que les épisodes psychotiques et autres troubles psychiatriques souvent définitifs. Mais ce n’est pas demain qu’on protégera un consommateur prédisposé contre ces virages pathologiques s’il a déjà détruit ses circuits neuronaux lors de premières expériences catastrophiques (dose trop élevée de THC dans « l’herbe » fumée par exemple). Car nous ne sommes pas égaux face aux drogues. Le poids des facteurs génétiques et épigénétiques augmente avec l’intensité de la consommation. L’héritabilité d’une vulnérabilité génétique est avérée pour la dépendance à l’alcool, au cannabis, aux opiacés, à la cocaïne… Plus inquiétant, le cerveau (et d’autres organes) de la descendance des consommateurs de drogues est affecté par des modifications épigénétiques néfastes (modulant l’expression des gènes).3

 

Les poumons et le reste

Les poumons sont le deuxième impact majeur du cannabinisme. L’atteinte est plus grave que celle du tabagisme. Le cannabis fumé produit sept fois plus de goudrons cancérigènes entraînant des cancers ORL et broncho-pulmonaires plus nombreux et plus précoces. Il dégrade aussi sévèrement les fonctions respiratoires (asthme, bronchite, insuffisance respiratoire). Du fait de l’ubiquité du système endocannabinoïde dans l’organisme, les méfaits du cannabis sont légion : dépression de l’immunité, infarctus du myocarde, artérites, pancréatites. Le cannabinisme perturbe la fécondité, le déroulement de la grossesse, le développement du fœtus et du nourrisson.8

Autant de bonnes raisons de se tenir à l’écart pour savourer la vie longtemps.

 

 

Des actions opposées dans le cerveau
L'activation des récepteurs CB1 du système endocannabinoïde par le cannabis entraîne une diminution de l'excitabilité neuronale et une baisse de neurotransmetteurs essentiels : GABA (acide gamma amino-butyrique) inhibiteur et glutamate excitateur. Cela provoque des effets opposés selon les neurones concernés. L’équipe Inserm du Neurocentre Magendie (Bordeaux) a montré que la stimulation des CB1 du cortex cérébral par le THC (tétrahydrocannabinol) produit du glutamate qui exerce un effet neuroprotecteur et ouvre l’appétit. Mais, parallèlement et de manière indépendante, cela stimule aussi les neurones à GABA inhibiteurs, provoquant des peurs irrationnelles et une perte d’appétit. Une belle pagaille…

 

 

 

 

Références

1- K.S. Kendler, H. Ohlsson et coll. Within-Family Environmental Transmission of Drug Abuse. A Swedish National Study. JAMA Psychiatry 2013;70:235-242.

2- K.S. Kendler, E.Schmitt et coll. Genetic and Environmental Influences on Alcohol, Caffeine, Cannabis, and Nicotine Use From Early Adolescence to Middle Adulthood. Arch Gen Psychiatry 2008;65:674-682

3- Consommation de drogues licites et illicites chez l’adolescent. Rapport de l’Académie de Médecine, 19 octobre 2019.

4- M. Victor.  P. Roux, L. Appel. Enquête CANNAVID, Inserm 2020

5- Dépénalisation du cannabis : l’Académie dit non, preuves à l’appui ! Académie nationale de Pharmacie. Communiqué du 25 avril 2016,

6- The Health Effects of Cannabis and Cannabinoids: The Current State of Evidence and Recommendations for Research. National academies of Science, Engineering and Medicine (NASEM), USA 2017.

7- A propos de l’expansion de la consommation de cannabis. Académie de Médecine. Communiqué du 25 mars 2014.

8- La pandémie cannabique, rapport de l’Académie nationale de Pharmacie, décembre 2007.

 

Pour des chiffres plus précis : « Drogues et addictions, données essentielles, 2019. » Observatoire français des Drogues et Toxicomanies (OFDT).

 

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