Négligences, violences psychologiques, physiques ou sexuelles… Le nombre d’enfants victimes de maltraitance ne cesse de croître. « Chaque année, les situations critiques dont est alerté le 119 augmente de 10% », explique Pascal Vigneron, directeur général de ce service national d’accueil téléphonique de l’enfance en danger (SNATED), accessible 24 h/24 et 7 j/7 en métropole et en outre-mer, avec une garantie totale de confidentialité.
Une situation qui perdure depuis des années et qui s’est même accrue au moment de l’épidémie de la Covid, avec un pic à +56%. Résultat : « en 2023 ce sont quelque 37 217 situations critiques qui ont été traitées par les équipes du 119 », explique la Présidente du Conseil départemental du Maine-et-Loire (département 49), Florence Dabin, qui préside par ailleurs le Groupement d’Intérêt Public (GIP) Enfance en Danger. Des alertes qui, pour 84% d’entre elles, ont fait l’objet d’un appel téléphonique ; pour 8% d’une remontée par chat, pour les moins de 21 ans et pour 8% d’un formulaire rempli en ligne afin de signaler toute situation préoccupante.
Et sur l’ensemble de ces situations, plus de 20 000 ont été considérés comme des « informations préoccupantes » ; avec à la clé, l’ouverture de 4 000 dossiers d’évaluation. Les violences psychologiques représentaient la majorité des cas (54 %), suivies des négligences (48,5 %) et des violences physiques (36,2 %). Les violences sexuelles, signalées dans près d’un appel sur dix, restent pourtant trop peu prises en compte, malgré les recommandations de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise).
C’est d’autant plus regrettable, que le 119 demeure un service en tension où les situations urgentes se multiplient et de nombreux appels restent sans réponse. Le rapport parlementaire sur les manquements des politiques publiques de protection de l'enfance, présenté en avril par la députée du Val-de-Marne, Isabelle Santiago, soulignait d’ailleurs que « Le 119 est confronté à un manque chronique d’écoutants, ce qui conduit à la saturation du service ». La raison ? Les recrutements sont compliqués, les moyens insuffisants et les procédures internes lourdes à gérer. Les écoutants sont, par exemple, contraints de noter chaque témoignage dans un carnet puis, une fois l’appel terminé, de retranscrire ces informations dans un formulaire. Conséquence : leur capacité à répondre est amoindrie. De là à y voir une explication à l’absence de publication des statistiques du 119 depuis 2022…
Les chiffres sont pourtant alarmants et suffisent à démontrer l’étendue d’un problème qui se traduit chaque année par la mort de plus de 70 enfants dans le cadre familial. Soit une petite victime qui meurt tous les cinq jours sous les coups de ses parents. Mais la réalité pourrait se révéler être encore pire, puisqu’« aujourd’hui, un Français sur cinq estime avoir été victime de maltraitance » a insisté Sarah El Haïry, Haute commissaire à l’enfance, lors de la présentation de la nouvelle campagne du ministère du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles et destinée à lutter « contre les violences faites aux enfants ».
Cette campagne, qui se déroule du 17 septembre au 26 octobre, vise donc à « convaincre les Français de ne plus hésiter à appeler le 119 dès qu’ils perçoivent ou pressentent une situation synonyme de violence sur les enfants », explique la directrice générale de France enfance protégée, Anne Morvan-Paris. Car trop souvent le silence l’emporte encore sur la vigilance. Preuve peut-être que le 119 est, certes, reconnu mais pas encore assez connu. Pourtant « appeler le 119 dès qu’un doute subsiste contribuerait à sauver des vies », insiste Florence Dabin.
Car le 119 est un lieu où les écoutants et les écoutantes qui, à l’instar d’Elodie, sont dans la grande majorité des cas des psychologues savent trouver les mots justes pour orienter et protéger. D’où la volonté des pouvoirs publics d’aller encore plus loin et de faire de l’appel au 119 un réflexe citoyen. Car selon l’enquête réalisée par l’institut Toluna-Harris, du 9 au 13 janvier 2025, « les violences faîtes aux enfants demeurent tabous, dans la société comme dans sphère privée ».
La raison ? Pour 74% des 2 065 personnes interrogées, il serait « difficile d’identifier les violences faites aux enfants » ; alors même que plus d’un tiers (35%) d’entre elles affirme « avoir soupçonné ou bien avoir été témoin d’une violence envers un enfant ». Et pour cause ! Seuls 42% des interrogés estiment être bien informés sur le sujet. Soit moins d’un Français sur deux. Et si la quasi-totalité des Français considèrent comme très graves les agressions sexuelles (95 %), l’utilisation d’un enfant à des fins illégales (93 %) ou son exposition à des images pornographiques (87 %), d’autres formes de maltraitance sont jugées moins sévèrement : les fessées ou gifles (21 %), le chantage (30 %) et le manque d’affection (33 %) sont encore perçus comme relativement tolérables par une partie de la population.
Cette campagne de sensibilisation aiderait donc tout un chacun à mieux appréhender et à repérer ces violences et contribuerait à libérer la parole. Comment ? « D’abord en aidant chacun à comprendre ce que sont réellement les violences faites aux enfants », explique Anne Morvan-Paris. En clair, l’ensemble des atteintes, par action ou par omission, pouvant nuire à l’intégrité, le développement ou la dignité des enfants ; qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou encore liées à des négligences graves comme l’absence de soins, de nourriture ou de sécurité affective ».
Un clip, deux spots audio, des contenus numériques et des affiches viendront donc présenter concrètement des situations où des adultes s’interrogent face à un enfant qui ne va pas bien. Visible sur le web, au cinéma, dans les gares et centres commerciaux, et à l’écoute sur les plateformes de streaming, webradios et autres podcasts, cette campagne s’inscrit dans le cadre du Plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027. Elle devrait contribuer à faire en sorte qu’une fois détectées ces violences soient signalées. En clair, que l’appel au 119 devienne systématique dès qu’un doute surgit. Et qu’ainsi « un enfant en danger soit réellement l’affaire de tous ».