Les journalistes à l’origine des premières révélations sur la filtration illégale d’eaux en bouteilles publient aujourd’hui de nouvelles informations choquantes. D’après leur enquête, il existait un risque sanitaire sur les eaux mises en bouteille en France et les autorités en France étaient au courant. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en aurait informé le gouvernement en octobre dernier en soulignant un « niveau de confiance insuffisant » pour « garantir la qualité sanitaire des produits finis ». Autrement dit : des contaminations ont été détectées – fécales ou bactérie Escherichia coli « dans des concentrations parfois élevées », pesticides, PFAS, micropolluants – sur ces eaux qui ont été filtrées illégalement et ont donc vu leurs caractéristiques microbiologiques modifiées, puis mises en bouteilles et commercialisées comme si de rien n’était. Pour foodwatch, au vu du risque sanitaire souligné par l’Anses, il faut rappeler les bouteilles et informer tous les pays importateurs.
C’est une nouvelle plongée en eaux contaminées à laquelle se sont adonnés Marie Dupin de la cellule investigation de Radio France et Stéphane Foucart du journal Le Monde. Les journalistes ont eu accès à une expertise sur les eaux du groupe Nestlé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dont les conclusions ont été communiquées au gouvernement en octobre dernier. Dans le document, les noms des marques ont été masqués par l’administration, mais pas ceux des sites de production. Ce qui a permis aux journalistes de relever la « contamination généralisée des sources exploitées par Nestlé » sur les sites qui produisent les marques Hépar, Perrier et Vittel. « Presque tous les forages » de la marque Perrier sont concernés par ces contaminations chimiques, précisent-ils.
Pourquoi ces alertes de l’Anses ont-elles été ignorées par les autorités françaises depuis octobre dernier ? A quel risque pour la santé avons-nous été exposés et depuis quand ? Pourquoi Nestlé Waters a-t-elle pu continuer à commercialiser ses eaux frauduleuses ? Pourquoi le gouvernement français n’a-t-il rien communiqué aux consommateurs et consommatrices et s’est même abstenu d’en parler à la Commission européenne ? Pour foodwatch, qui a porté plainte dans cette affaire de fraude massive pour neuf infractions, l’opacité non seulement de Nestlé Waters et Sources Alma, mais aussi des autorités françaises dans cette affaire pose de multiples et graves questions.
« Au vu des informations alarmantes sur le risque sanitaire mentionnées dans l’expertise de l’Anses depuis des mois, les bouteilles d’eaux de Nestlé doivent être rappelées et les autres Etats membres de l’Union européenne informés de toute urgence. La directive européenne sur les eaux et le code de la santé publique sont limpides : lorsque l’eau minérale est polluée, il ne fait aucun doute que la mise en bouteille et la commercialisation doivent être suspendues. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé. Nestlé Waters continue-t-elle aujourd’hui de commercialiser ses produits non-conformes ? A-t-elle renoncé aux filtrations illégales ? La pollution a-t-elle subitement disparu et si oui, comment ? Aucune information n’a été communiquée aux consommateurs et consommatrices ni par Nestlé ni par les autorités. C’est grave. Dès la première constatation de pollution de ses sources, Nestlé Waters aurait dû en interrompre sans délai l’exploitation et la commercialisation, c’est la loi. Pourquoi ces eaux frauduleuses n'ont-elles pas été rappelées et exclues du marché ? », s’interroge Ingrid Kragl, directrice de l’information chez foodwatch et experte de la fraude alimentaire.
En l’absence de communication en France par le gouvernement, foodwatch a demandé à Stella Kyriakides, Commissaire européenne à la santé, d’agir dans un courrier du 19 février dernier. L’organisation, qui demandait un audit de la France par la Commission ainsi qu’une information en comité des autres Etats membres, importateurs de ces eaux, a obtenu gain de cause.
Le 30 avril prochain, la France devra s’expliquer devant les autres Etats membres lors d’un Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (Scopaff). A ce jour, aucune information n’est parue sur le réseau d’alerte européen, RASFF – qui permet d’informer les autres pays de l’UE -, faute d’informations sur les risques sanitaires communiqués par la France. Les révélations des journalistes aujourd’hui pourraient peut-être changer la donne. D’autant que plusieurs pays ont importé les eaux françaises. La Perrier est servie sur les tables des restaurants chics de Berlin, par exemple.
Parce que l’affaire n’est probablement pas limitée à l’hexagone, la Commission demande à tous les autres Etats de renforcer leurs contrôles sur les eaux minérales naturelles et de faire remonter ces informations.
Et ce n’est pas tout. La Commission européenne a aussi réagi favorablement à la demande d’audit de foodwatch puisqu’elle va « vérifier sur place les résultats de l'action des autorités françaises compétentes en matière de contrôle de la conformité aux règles de l'UE relatives aux eaux minérales naturelles ». Le rapport de cet audit européen sera ensuite rendu public, les engagements de la France sur son plan d’action y seront détaillés noir sur blanc.
Il y a urgence car en attendant, des multinationales comme Nestlé continuent de vendre leurs produits frauduleux tout en se croyant au-dessus des lois. Le rapport de l'Inspection générale des Affaires sociales (Igas) de juillet 2022 formulait déjà dix recommandations, dont celle de « mettre à disposition des consommateurs des informations plus précises sur la qualité des ressources utilisées et les traitements mis en œuvre (au travers du bilan annuel, mais aussi des sites Internet des ministères chargés de la santé et de la consommation et de l’étiquetage des produits) ».
Les consommateurs et consommatrices continuent de se mobiliser sur la pétition de foodwatch exigeant plus de transparence, plus de contrôles et des sanctions à la hauteur : déjà plus de 69.000 personnes ont signé cette action adressée chaque jour aux ministres Bruno Le Maire et Marc Fesneau.
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