D’après un entretien avec le Dr Jean-Yves Seror, radiologue à Paris, membre de la commission sénologie du CNGOF

La mammographie est-elle à craindre ?

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Année 2017 - Théragora juin 2017 N° 1 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

Désagréable, la mammographie serait également dangereuse. En elle-même, parce qu’elle  exposerait inutilement à une radiation toxique, alors que l’on n’est pas « malade ». Et parce qu’ellepeut déboucher sur des diagnostics incertains, faussement négatifs, ou faux positifs à l’inverse,  sources de grande anxiété. Malgré ces griefs, dont la portée est diversement évaluée, son bénéfice reste réel.

 

La mammographie peut être vécue par certaines femmes comme un moment désagréable, Aucune femme ne se soumet de gaité de coeur à un examen, dont elle sait qu’il peut déboucher
sur la révélation d’une anomalie qui pourrait bouleverser sa vie mais également l’obliger à comprimer ses seins fortement pendant quelques secondes. Est-ce un frein ? Selon les évaluations disponibles dans la littérature scientifique, parmi les femmes qui renonceraient à poursuivre le dépistage par mammographie, 25% à 46% évoquent la douleur et le désagrément, ce qui représente en Angleterre entre 47 000 et 87 000 patientes/an. « Les constructeurs d’appareils de mammographie travaillent aujourd’hui activement sur le design et les systèmes de compression afin de diminuer cette sensation d’écrasement », confie le Dr Jean-Yves Seror. Par ailleurs, si le matériel est un élément essentiel, il appartient aussi aux radiologues et manipulateurs des centres de dépistage, spécialement formés, d’expliquer et d’entourer la patiente pour la rassurer, limiter la douleur, tout en optimisant sa position dans l’appareil. Meilleur sera le positionnement,
plus le diagnostic à des chances d’être fiable, sachant que plus le sein est comprimé, plus la dose d’irradiation sera basse.

Le principal grief adressé à la mammographie, dans les controverses qui entourent le dépistage organisé, est que l’examen soit porteur d’effets secondaires: l’irradiation nécessaire à la
réalisation des clichés, rayons qui en soi, seraient susceptibles d’induire des cancers du sein. L’impact des rayonnements ionisants sur les tissus est réel : « en modifiant la structure de l’ADN, une irradiation risque en effet de susciter des mutations à l’intérieur des cellules » explique le radiologue. Mais ce risque est très faible et doit être relativisé. La dose reçue par la glande mammaire pour un examen complet des deux seins est de l’ordre de 4,7 milligrays (mGy): en comparaison, une radiographie de la colonne lombaire est deux à quatre fois plus irradiante et un seul scanner abdominal 13 fois plus.

 

Jusqu’à quel point ce risque représente-t-il une menace pour les femmes et un obstacle au dépistage? Plusieurs équipes ont cherché à quantifier l’effet de la mammographie sur la carcinogénèse mammaire. Tous les humains sont exposés à un rayonnement naturel et l’organisme est capable de réparer ces effets destructeurs sur les cellules. L’irradiation d’une mammographie correspond à environ 3 mois d’irradiation naturelle. « Le problème, souligne le Dr Seror vient de ce que le dépistage par mammographie s’adresse à des personnes a priori bien portantes ».


Les études ont analysé le risque, selon l’âge des femmes et différentes expositions, à débits de doses divers, puis combiné ces informations avec le nombre de cancers détectés dans la
population. En se basant sur les données du programme de dépistage du National Health Service au Royaume-Uni, Law, en 1995, concluait que sur un million de femmes exposées à un cliché par
sein à 1 mGy tous les trois ans, l’examen provoquerait 32 nouveaux cancers. En 1997, Feig et Hendrick (J Natl Cancer Inst Monogr. 1997;(22):119-24. Radiation risk from screening
mammography of women aged 40-49 years. Feig SA(1), Hendrick RE.) estiment pour leur part que l’exposition de 100 000 femmes, pendant dix ans, à un programme de dépistage annuel débutant
à 40 ans, à 4 mGy par examen, induirait 20 nouveaux cas de cancer du sein et que huit femmes en décéderont. Pour une même cohorte de femmes, recevant 3,7 mGY au niveau des deux seins
entre 40 et 55 ans, puis tous les deux ans jusqu’à 74 ans, Yaffe (M J Yaffe, Radiology; 2011; 258 : 98-105) estime à 86 le nombre de cancers radio induits, et 11 décès et met en balance, pour ces
100 000 femmes : 136 années-femme perdues pour 10 670 années femmes gagnées grâce au dépistage. Une étude norvégienne de 2014 (Hauge IHR, Acta Radiol 2014; 55 : 1174-1179) estime en revanche que pour un dépistage tous les deux ans entre 50 et 69 ans, le risque de cancer radio induit entre 50 et 85 ans est nettement moindre, de 10/100 000, pour une dose de 2,4 mGy avec un risque de 1 décès, en regard de 350 vies sauvées.

En d’autres termes, toutes les études indiquent que si le risque existe, il est infime, avec une augmentation estimée à 0,03% sur une vie.

Le problème de ces études épidémiologiques, « forcément rétrospectives, est en outre qu’elles s’appuient uniquement sur des modélisations appliquées à la population générale » souligne Jean-Yves Seror. Le cancer du sein étant multifactoriel, aucune n’a jamais pu mesurer directement le risque causé par les doses délivrées par l’irradiation de la mammographie ellemême. La radio sensibilité des seins est augmentée chez les femmes jeunes et diminue considérablement avec l’âge : La radiosensibilité baissant à partir de 50 ans, cela confirme l’intérêt de la population cible du dépistage organisé » souligne le Dr Seror. L’étude américaine, publiée dans la revue Annals of Internal Medicine en janvier 2016, menée sur 100 000 femmes ayant subi une mammographie tous les deux ans de 50 à 74 ans, avec une estimation de 27 cancers radio induits (dont 4 décès) versus 627 vies sauvées par ce même dépistage, a d’ailleurs abouti à la mise à jour des recommandations des services de prévention sanitaires américains, exactement sur le même modèle que la France. Pour un dépistage tous les deux ans de 50 à 74 ans, le rapport bénéfice risque est favorable.

Si la possibilité de cancers radio-induits existe, il ne faut donc pas l’exagérer non plus. Au quotidien, il est d’ailleurs frappant de constater que « les questions des femmes à leur entrée en
salle de mammographie concernant l’irradiation sont souvent rythmées par les médias, et augmentent systématiquement dans les 10 à 15 jours suivant des articles ou émissions traitant du
sujet, observe le Dr Seror, qui vient de lancer une étude auprès des patientes du centre Duroc : l’une des questions vise à évaluer précisément ce ressenti. « Les premiers résultats indiquent que
si pour 12,2 % l’irradiation est un élément important, seuls 2% considèrent ce point comme un frein à la mammographie et 65,3% font confiance au praticien. »

« La grande majorité de ces études ont en outre été menées sur la base d’anciens appareils, analogiques, sans tenir compte des évolutions technologiques » Suite à une publication dans le New England Journal of Médicine en 2005 (Etude DMIST) les appareils de mammographie numériques ont été autorisés pour le dépistage organisé en France en 2008. Ils équipent aujourd’hui près de 98% des cabinets agréés et permettent une diminution de la dose d’irradiation pouvant aller jusqu’à 20%, par rapport aux anciens appareils. « Avec le numérique, on obtient également moins de mauvais clichés, qui obligeaient parfois à recommencer l’examen ».

Enfin si complément d’examen il doit y avoir après mammographie normale, sur des seins denses notamment, on privilégie l’échographie. Cela permet de rattraper 3 cancers pour 1000 femmesdépistées. « La tendance est donc de toutes les façons à diminuer les doses d’irradiation sur nos patientes. » Dernier aspect essentiel : le contrôle de qualité des appareils de mammographie, qui intervient tous les 6 mois, évite toute dérive d’irradiation dans le temps. Le cahier des charges du dépistage en France a permis une amélioration qualitative du parc de matériel, et cela profite aux patientes qui réalisent cet examen dans le cadre du dépistage organisé ou individuel.

 

 

 

Faux positifs, faux négatifs : ce qu’il faut savoir

L’attente est évidemment pénible à vivre, après avoir subi une mammographie. Trois semaines s’écoulent avant de recevoir ses clichés, tandis que les résultats sont, eux, transmis au
médecin. Avec la peur qu’ils soient incertains.

Le faux positif correspond à un cliché montrant une anomalie, qui ne correspond finalement pas à un cancer. Obligeant à rappeler la patiente, il est évidemment source de grande anxiété pour elle. Selon l’Euroscreen Working Group (J Med Screen 2012; 19 suppl 1 : 5-13) ce risque de faux positif est estimé à 20 % après dix tours de dépistage : dans la majorité des cas (17%) le doute est levé sans procédure invasive, par de nouveaux clichés et un examen clinique et dans 3% des cas, en passant par une biopsie. Ce taux de faux positifs et de biopsies à suivre pour lever le doute est très variable, de 8 à 21 %, selon les études, les systèmes de santé de chaque pays et le degré de judiciarisation de la relation médecin-patient. C’est pour le réduire au minimum que le programme français de dépistage a instauré le bilan diagnostic immédiat (BDI). « Il permet, dès lors que le radiologue trouve une anomalie de compléter la mammographie d’emblée par une échographie ou des clichés complémentaires ». Résultat, le taux de biopsies n’est aujourd’hui que de 2% en France, en cas d’anomalie repérée à la mammographie.

Lorsque l’examen de mammographie ne montre à l’inverse aucune anomalie, il faut éviter au maximum la possibilité d’être face à un faux négatif, qui rassurerait les femmes à tort. Afin d’en
limiter le nombre, le cahier des charges du dépistage en France prévoit des stratégies pour rattraper les faux négatifs : examen clinique (0,7% des cancers), échographie mammaire (1,8 %) et seconde lecture. Tous ces éléments associés à la formation spécifique au dépistage des radiologues et manipulateurs permet de limiter le taux de faux négatifs à 18%. Les
mammographies réalisées dans le cadre du dépistage organisé, il faut le rappeler, ne peuvent l’être que par des radiologues rompus à cette pratique, qui réalisent au minimum 500 de ces examens chaque année. Il faut en réaliser plus de 1500 pour faire partie des deuxièmes lecteurs qui évaluent systématiquement, une deuxième fois, tous les clichés « sains ». Cette deuxième lecture permet aujourd’hui de rattraper 6 % de cancers, soit 2200 sur une période de deux ans, chiffre stable depuis 2012 et, très variable en fonction des régions Toute la difficulté de cette seconde lecture et de rattraper les cancers qui auraient été ratés par le premier lecteur, sans être à l’origine d’un taux de rappel trop important. A l’avenir, elle sera probablement rediscutée dans le dépistage organisé, grâce à l’apport de la tomosynthèse, qui permet de détecter 27 à 43 % de cancers supplémentaires, tout en diminuant le taux de rappel

 

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