Titulaire de la chaire « économie et gestion des services de santé du Cnam », Jean de Kervadoué plaide pour un changement du mode de rémunération des médecins

Plaidoyer pour la capitation : une voie s’ouvre, elle peut être la solution

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Année 2024 - crédits iconographique DR

Les médecins ne doivent plus être payés à l’acte. Telle est la conviction de Jean de Kervasdoué. Dans une tribune initialement publiée dans Le Point, le titulaire de la chaire « économie et gestion des services de santé » du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), la capitation est la solution. Libéral, éthique et plus économe pour la collectivité, ce mode de rémunération pourrait en outre favoriser une prise en charge coordonnée des patients et donc les coopérations interprofessionnelles. A condition de respecter des préalables juridico-pratiques et de prendre le temps de discuter avec les professionnels de santé ;Selon l’ancien directeur des hôpitaux et auteur de « La santé à vif », ouvrage qui dénonce l’inaction de l’État face à un système de santé malade.

 

« Il faut sans doute aller davantage à une rémunération, ce que l’on appelle à la capitation… plutôt qu’à l’acte isolé. C’est ça la bonne méthode ». C’est ce qu’a notamment assuré le chef de l’État le mercredi 20 décembre sur France 5. Nul doute que la remise en cause d’un des sacrosaints principes de la médecine « libérale* » de 1927 va agiter la profession. Il était temps.

*Partisan de cette réforme depuis plusieurs décennies, il est possible de montrer pourquoi et comment elle permettrait de sortir la médecine générale et quelques autres spécialités cliniques (pédiatrie, gériatrie et peut-être gynécologie médicale) de l’impasse profonde dans laquelle elles se trouvent. Le niveau ridicule de la rémunération à l’acte (26,50 €) en est l’un des signes.

 

Archaïsme du salariat à l’hôpital

Il existe trois manières de payer les médecins et trois manières seulement : le salariat, le paiement à l’acte et la capitation. Les deux dernières sont libérales, pas la première : être salarié indique toujours un lien de dépendance à l’égard de l’institution qui vous paye. Sans trop insister sur cette modalité bien connue de tous, il convient de souligner cependant que le mode de paiement des médecins hospitaliers des hôpitaux publics français est particulièrement archaïque.

En effet, la rémunération d’un praticien hospitalier ou d’un médecin universitaire dépendra de son grade, voire de son statut, pas de sa spécialité ni de sa qualité. Or, chacun pourra aisément convenir que les contraintes d’un chirurgien ou d’un réanimateur, ne sont pas exactement les mêmes que celles d’un biologiste. Ils sont pourtant payés de la même façon à grade et à ancienneté identiques, quel que soit par ailleurs leur éventuel investissement dans la vie de leur hôpital.

Tarif ridicule des actes

Les statuts hospitaliers ne donnent donc pas la même souplesse que la convention collective des centres de lutte contre le cancer ou celle des autres établissements à but non lucratif qui sont tous de droit privé, nous l’avons montré dans ces colonnes.

On croit également bien connaître le paiement à l’acte, mais qu’est-ce qu’un acte ? N’est-il pas surprenant que le tarif de la consultation soit le même que le médecin ait 26 ou 60 ans, qu’il garde ses patients dix minutes ou une demi-heure, qu’il suive assidûment ou pas les sessions de formation continue, qu’il prescrive bien ou pas ? En outre, comme pour les actes techniques de radiologie, de chirurgie, d’anesthésie et de biologie, auxquels la capitation ne s’applique pas, il y a derrière chaque acte une décision administrative qui précise à la fois la nature de cet acte et le tarif auquel il sera remboursé.

C’est la raison pour laquelle cherchant à tenir les dépenses d’assurance maladie, le tarif des actes est devenu ridicule, par exemple : 220 € d’honoraires pour un chirurgien qui opère une patiente d’un cancer du sein !

 

Éthique, libéral et économe

Le troisième système est donc la capitation, de capita, la tête en latin. Il a été pratiqué en France au début du vingtième siècle par le département des Landes pour les patients bénéficiant de l’aide médicale gratuite, c’est surtout, depuis, la règle universelle dans beaucoup de pays d’Europe du Nord.

L’idée est simple : l’assurance maladie (ou l’équivalent) verse un forfait annuel au médecin traitant choisi par le patient, ce dernier ne payera alors aucune de ses consultations. Ce système est libéral : le patient choisit son médecin. Ce système est éthique : n’est-il plus noble pour un médecin d’être rémunéré pour prendre en charge la santé d’un patient que pour « faire » des actes ?

Ce système est de plus économe. L’étant, il permet d’augmenter très sensiblement la rémunération des généralistes et autres praticiens concernés. Il l’est parce que les médecins, dès qu’ils sont payés à la capitation, prescrivent deux fois moins d’actes or, comme un généraliste prescrit (hors hospitalisation) environ quatre fois le montant de ses honoraires, on voit d’une part la réduction potentielle des dépenses et d’autre part la marge d’augmentation de la rémunération des médecins payés à la capitation.

Signalons en outre que ce système a pour seul facteur inflationniste l’augmentation de la population, une grande qualité que n’a pas le paiement à l’acte, inflationniste par essence.

 

Coordonner la prise en charge des patients

Pour la mise en œuvre d’une telle réforme, la souplesse s’impose. L’expérience mondiale montre qu’il est sage de conserver le paiement à l’acte pour les visites et consultations en dehors des heures ouvrables et des jours fériés (environ un tiers des revenus). Elle apprend aussi qu’il ne faut pas rendre ce choix obligatoire, mais le proposer aux médecins et à leurs patients. Ils y viennent vite.

Une telle réforme ne veut pas dire que les médecins doivent continuer à travailler seuls, bien au contraire : en Europe comme en Amérique du Nord ou en Asie, ils exercent à partir d’une maison médicale regroupant entre cinq et dix de leurs confrères, mais aussi des infirmières, des kinésithérapeutes, voire des dentistes, des radiologues et un centre d’analyse biologique. Aux États-Unis moins de 1% des médecins exercent seuls dans leur cabinet !

Enfin, il est urgent de sortir d’une situation où chacun prescrit de son côté, sans coordination. La médecine de ville, en France, est un orchestre sans chef ; chaque instrumentiste joue dans son coin, d’où la cacophonie, cacophonie parfois fatale. La médecine se spécialise, les métiers de la santé se multiplient, il faut d’urgence coordonner la prise en charge des patients à domicile. La capitation doit le permettre à condition, que l’on rémunère décemment le praticien pour ce rôle essentiel.

Une fois l’idée exprimée, sa mise en œuvre pose, ne le dissimulons pas, de multiples questions pratiques et juridiques. Un médecin peut-il, et si oui dans quel cas, refuser un patient ? Comment procéder dans les régions sous-médicalisées ? Combien de patients peuvent-ils être inscrits sur la liste d’un médecin ? Comment calculer les forfaits ? Certainement en tenant compte de l’âge, mais quid des maladies chroniques ? Lesquelles distinguer…

L’urgence est d’analyser ce que font des pays comme le Danemark ; s’en inspirer, puis procéder à des simulations avant de négocier avec la profession les modalités et le calendrier de mise en œuvre. Une bonne année de travail. Un beau projet mais, là encore, le diable sera dans les détails.

* Est-elle libérale quand un de ses ordres principes est le monopole d’exercice de la profession ?

 

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