L’esprit et le corps sont-ils séparés ?
Non. Grâce à la neuro-imagerie fonctionnelle la séparation entre système nerveux (cerveau, moelle épinière, nerfs) et conscience douloureuse s’efface : la douleur est un processus électrochimique multiple qui implique tout le corps biologique. Dans la définition de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP) c’est « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans ces termes ». Il s’agit bien du ressenti du patient (difficile à quantifier et à qualifier), pas systématiquement liée à une lésion manifeste. Un ballet de neurotransmetteurs se met en place et produit une réalité consciente, que le patient exprime par des mots, mais surtout par un comportement évocateur que les soignants doivent reconnaître, particulièrement chez les nourrissons et les enfants, ainsi que chez les personnes âgées.
Peut-on voir la douleur avec l’imagerie ?
Oui. L’imagerie cérébrale, notamment l’IRM-fonctionnelle, permet d’identifier la douleur consciente, de la détecter dans le cerveau, et peut-être dans un futur pas trop lointain la mesurer. Elle montre les liens étroits entre douleur et émotions. Un message d’alerte périphérique (doigt brulé par exemple) n’est pas seulement dirigé vers les zones du cerveau dédiées aux informations sensorielles, mais aussi adressé conjointement aux zones de l’attention, de l’émotion désagréable et à celles de la mémoire qui l’identifie ou pas comme un événement déjà vécu. Des aires émotionnelles sont particulièrement impliquées dans ce circuit : le cortex cingulaire antérieur et insulaire antérieur ainsi que l’amygdale cérébrale. Toutes ces projections neuronales multiples fournissent au final une synthèse consciente : la douleur unique et singulière ressentie par l’individu.
Cela explique qu’on ne puisse pas la quantifier précisément ; ce qui fâche le patient douloureux qui ne se sent pas cru ! On recourt donc aux évaluations psychométriques, grossières mais pratiques, comme l’échelle visuelle analogique : placement du curseur entre « pas de douleur » et « pire imaginable ». De nombreuses échelles apprécient aussi la détresse psychique et sont utilisées par les psychiatres et psychologues.
Quelle est l’influence des émotions ?
Énorme. La douleur varie selon les individus et chez une même personne selon son environnement en lien étroit avec le contexte psycho-social (émotionnel) comme le prouve l’imagerie cérébrale. Celle-ci montre clairement qu’un individu dont l’attention est distraite ressent moins la douleur que s’il est focalisé sur un événement douloureux. La douleur est au contraire plus difficile à supporter si la personne est déprimée ou anxieuse : ce qui explique les douleurs chroniques observées lors de divorce, licenciement, retraite, décès ou abus sexuel…
Une douleur qui persiste faute d’une prise en charge correcte peut provoquer une dépression nerveuse authentique. Et inversement une maladie dépressive peut s’exprimer seulement par la douleur physique. Et une crise d’anxiété se manifeste souvent par des douleurs corporelles variées.
La douleur est-elle plus féminine que masculine ?
Les misogynes ont toujours disqualifié les douleurs féminines comme plus proches de simagrées que de réalités. Les médecins ont trois explications à cela.
Les femmes expriment plus leur douleur que les hommes. Elles ont des raisons hormonales d’être plus dolentes. Os et cartilages dépendent des hormones sexuelles ; leur variation fait mal, surtout leur effondrement ménopausique. Les hormones sexuelles affectant aussi le cerveau, son humeur et sa résistance la douleur s’affaissent avec la chute des estrogènes protecteurs. Alors que les hommes et leur testostérone ont une sensibilité avantageuse à la morphine endogène et exogène.
Ajoutons que la charge de travail féminine est double ou triple (profession, direction du foyer, éducation des enfants) voire quadruple quand il faut s’occuper des ascendants âgés. Pour couronner le tout, les femmes subissent fréquemment des violences qui laissent des traces émotionnelles, mémorielles et sensorielles.
Sans moments de détente assez nombreux, les aires cérébrales associées aux messages douloureux surchauffent, la souffrance s’aiguise.
Finalement, le grand risque de tourner en rond dans le cerveau est de fabriquer des douleurs chroniques. On ne s’étonne donc pas que celles-ci affectent 30% des adultes, proportion qui augmente avec l’âge, touchant davantage les femmes et les catégories socio-professionnelles défavorisées.
La douleur chronique est-elle émotionnelle ?
Oui en partie. La douleur chronique a des voies communes à la douleur aiguë, mais avec une plus forte implication émotionnelle. C’est bien le problème car une douleur chronique ne sert pas à protéger l’individu d’un danger présent. Elle s’autonomise comme un dictateur, ce qui intrigue les chercheurs et usent les médecins qui s’y attaquent. Une part douloureuse revient à la pérennité de l’inflammation dans le circuit d’information entre la périphérie du corps et le cerveau. Dans l’espoir de diminuer l’influx douloureux (nociceptif) chronique les médecins ont beaucoup compté sur les opiacés (ou opioïdes pour les Anglo-saxons) mais leurs dangers ont déclenché une vague de décès par surdosage aux Etats-Unis (74.000 décès en 2017) qui perdure même avec la pandémie Covid.
Les chercheurs français s’intéressent à l’amygdale, le centre émotionnel du cerveau, en essayant d’y moduler l’information douloureuse véhiculée par le glutamate. Mais l’amygdale n’est pas seule à fournir la conscience de la douleur. On peut tenter la stimulation électrique de différentes zones critiques avec des électrodes implantées (comme dans le traitement de la maladie de Parkinson) ou avec la stimulation magnétique transcrânienne (un aimant extérieur stimule les aires cérébrales sous le crâne et les méninges). Tout ce matériel impressionnant n’étant pas forcément très efficace en pratique, il reste les stratégies millénaires.
Peut-on contrôler la douleur avec l’esprit ?
L'hypnose et la méditation de pleine conscience tentent de modifier le ressenti douloureux en manipulant de l’intérieur deux régions essentielles à la production d’une conscience douloureuse : le cortex cingulaire antérieur et insulaire antérieur).
La méditation cherche à brouiller le message pénible en utilisant un constat : le cortex ne peut pas traiter plus de 6 ou 7 informations en même temps. En pleine conscience on lui donne l’injonction ferme et douce de se focaliser sur la respiration par exemple, ou une partie du corps ou une sensation corporelle fine. Le cerveau qui réoriente son attention sur autre chose se trouve alors dans l’incapacité de traiter l’information douloureuse comme il le faisait auparavant. On l’oblige à faire une sélection favorable au patient.
L’hypnose agit en séparant l’information de la douleur périphérique (nociception) du ressenti émotionnel qui lui est associé par les projections neuronales multiples. Puis elle tente de rebrancher l’information nociceptive à d’autres sentiments et souvenirs émotionnels ; de sorte que le résultat du mélange produise une conscience différente. On joue donc sur l’interprétation du signal douloureux. Pas question de traiter l’hypnose d’escroquerie ! Parfaitement démontrée par l’imagerie cérébrale elle est de plus en plus utilisée en anesthésie pour réduire la quantité de médicaments, ce dont l’organisme se trouve très bien. On l’utilise aussi contre les douleurs chroniques. Toutefois cela demande un opérateur bien formé, une bonne coopération du patient et une bonne capacité à déployer son imagination.
Insensibilité congénitale à la douleur
Pas du tout avantageuse, cette maladie génétique très rare est très souvent rapidement mortelle. Sans signe d’alerte douloureux, blessures, mutilations et infections écourtent l’espérance de vie en raison des soins tardifs et/ou erronés. Les fractures mal soignées et les lésions de tous ordres usent l’organisme. Quand ce diagnostic est fait il faut se surveiller en permanence et prendre des précautions toute sa vie… Un travail à plein temps !
Références
International Association for the Study of Pain - www.iasp-pain.org
Dossier Douleur - Inserm 2016
Dossier Ce que l’on sait de la douleur - CNRS 2019