Plutôt à mettre au pluriel, ces dispositifs médicaux ambitionnent de révolutionner le soin des plaies et escarres grâce aux techniques numériques. Modernité ou effet d’annonce ? De quoi parle-t-on ?
Qu’est-ce qu’un pansement intelligent ?
C’est un dispositif qui peut faire certaines opérations : évaluation, succession d’actions, réservées auparavant aux compétences des professionnels de santé. Il exerce une forme de délégation de tâches, de préférence à distance car le déplacement d’un soignant à domicile est ce qui coûte le plus cher et reste le plus contraignant en temps alloué par patient. Dans ce cadre, un pansement peut héberger une intelligence artificielle constituée d’algorithmes mathématiques comme dans beaucoup de domaines. Cela exige toutefois de combiner plusieurs techniques. Ce savoir-faire est le domaine privilégié des start-ups biotechnologiques.
Comment construire un tel pansement ?
Les textiles « intelligents » intègrent déjà des micropuces électroniques (datatextiles ou textiles collecteurs de données) qui gèrent des situations plus ou moins complexes selon les algorithmes qu’ils hébergent sous forme d’application dédiée sur un terminal extérieur, tel le smartphone du patient. Le circuit entre les capteurs d’environnement, la partie logicielle qui gère les données et l’émetteur qui envoie les informations sur internet ou intranet est déjà bien maîtrisée ; elle peut s’appliquer à une situation sanitaire banale mais avec des risques de complications importants, justifiant ainsi qu’on déploie la (coûteuse) technique.
Le premier souci posé par une plaie étant son infection, les nouvelles technologies proposent de dépister la prolifération locale des bactéries, voire spécifiquement celles résistant aux antibiotiques. Le pansement peut aussi détruire les bactéries par divers mécanismes biochimiques ou biophysiques, tels que des microchamps électriques. Toutes ces options ont pour vocation de laisser en place le dispositif plusieurs jours ou plusieurs semaines pour réduire les coûts de surveillance.
Exemple de détection d’infection et plus
La start-up Spineli Design a développé Zavo son pansement connecté grâce à un transfert technologique avec une équipe Inserm (Unité biomatériaux et bioingéniérie - Strasbourg). Le principe est de détecter la présence dans la plaie d’une multiplication suspecte de bactéries pathogènes par électroluminescence. Pour l’instant il ne s’agit que de cibler certaines souches à cause de leur danger particulier. Une application dédiée pour smarphone gère la connexion de proximité par système Bluetooth. Elle alerte d’abord le patient, qui peut choisir ou pas d’envoyer ces informations à un professionnel de santé ou un réseau de professionnel de santé, permettant leur intervention si nécessaire. C’est l’aspect préventif du pansement avec surveillance à distance. Pour intervenir encore plus vite sur la plaie, la présence des bactéries déclenche le largage d’un produit antimicrobien, incorporé sous forme de molécule pré-antiseptique dans le « datatextile ». Cet antimicrobien chimiquement généré par l’électroluminescence des bactéries pathogènes n’est pas antibiotique, de sorte qu’il n’y a pas de résistance possible à la suite de l’emploi du pansement.
Graphène hors norme à l’honneur
La start-up Graphéal a choisi d’utiliser les propriétés stupéfiantes d’un matériau culte dans le monde de l’ingéniérie, le graphène. Son patch est constitué de graphène (feuille d’une seule couche d’atomes de carbone pur) en contact direct avec la peau lésée. Ses caractéristiques physico-chimiques stimulent les cellules de la peau, et accélèrent la cicatrisation. Extrêmement fin et souple, la feuille de graphène ne gêne pas le mouvement et laisse passer les exsudats, évitant la macération. Le biocapteur intégré au patch traite et numérise les signaux, puis les envoie par transmission sans fil NFC grâce à son application dédiée pour smartphone. La détection de l’activité bactérienne se fait par les variations du pH (acidité) dans la plaie. L’application logicielle offre un historique des informations, les observations de l’infirmière, la probabilité d’infection et l’importance de l’exsudat. Ainsi il n’est pas besoin de le changer souvent pour surveiller ce qui se passe en dessous. Autant de manipulations en moins.
A qui s’adresse un pansement intelligent ?
À tout patient dont la ou les plaies sont des portes à l’infection, généralement durant de longue durée, avec un haut risque de complications rapides. C’est le cas des brûlures, des plaies chirurgicales, des plaies chroniques quand les conditions de cicatrisation sont mauvaises, comme chez les diabétiques, les insuffisants veineux (ulcères) ou les escarres par surpression chez les personnes alitées longtemps.
Quid des données récupérées ?
Parler de recueil de données médicales transmises à distance à un serveur et à des équipes de soins c’est ouvrir la question de leur contrôle. Le nouveau réglement européen de protection des données personnelles (RGPD) s’impose ici comme ailleurs dans le monde du dispositif médical connecté.
Comment se procurer un pansement connecté ?
Ce dispositif est vendu à n’importe quel client sans prescription médicale soit par l’intermédiaire d’un grossiste ou d’un détaillant (le pharmacien), soit en direct par le fabricant par internet. Son tarif est fixé par le fabricant. Seul son remboursement est conditionné par une prescription (ou protocole) médicale, après une évaluation par la commission technique (CNEDIMTS) de la haute autorité de santé, suivie d’une délibération interministérielle par le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui donne ou pas son accord. Ce remboursement par l’Assurance maladie est calculé en fonction du bénéfice sanitaire.
Qui surveille le pansement intelligent ?
La matériovigilance s'exerce sur les dispositifs médicaux après leur mise sur le marché ainsi que dans le cadre des recherches cliniques. Elle est orchestrée par l’Agence des médicaments (ANSM) et repose sur les déclarations spontanées et détaillées des profesionnels de santé et des usagers. Depuis le 13 mars 2017, ceux-ci peuvent signaler aux autorités sanitaires tout événement indésirable ou risque d’événement indésirable liés aux produits de santé sur le site signalement-sante.gouv.fr.
Le marché du pansement, colossal !
Il représente 17 milliards de dollars dans le monde, et coûte 365 millions d’euros chaque année à l’Assurance Maladie. Dispositif médical le plus répandu, les pansements sont produits en France par une vingtaine d’entreprises et intéressent de nombreuses start-ups.
Une réglementation particulière
Les pansements sont des dispositifs médicaux qui obéissent à une réglementation particulière qui n’est pas celle du médicament quoiqu’ils servent par définition aussi au traitement d’une maladie, outre son diagnostic, son contrôle, sa prévention et sa compensation. Il existe quatre classes de dispositifs médicaux selon leur risque de nuire en cas de mauvais usage ou de détérioration. Le pansement et les textiles en général font partie de la classe I la plus inoffensive, mais cela varie avec la sophistication technique, l’usage de tissus animaux et l’importance de la plaie à traiter : classes IIa ou IIb, voire III.
La qualité d’un dispositif médical est garantie (sur choix du fabricant) par un marquage CE médical qui l’astreint à la norme ISO 13485. Le décret européen UE 2017/745 a renforcé la sécurité et la performance des dispositifs médicaux marqués CE. Son application d’abord prévue pour mai 2020 a été reportée à mai 2021, suite aux mesures sanitaires imposées par la Covid-19.
