Deux économistes de la santé, Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, ont modéliser l'impact des dépenses de santé sur le niveau de vie et de bien être de la population

Concilier dépenses de santé et équité intergénérationnelle

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr

Comment concilier vieillissement de la population et maîtrise des dépenses de santé? Quelles solutions mettre en oeuvre pour améliorer l'équité intergénérationnelle du financement? Quels effets macroéconomiques aurait une augmentation des dépenses de santé? Quelle serait la conséquence d’une modification de la structure du financement des dépenses de santé? Autant de questions auxquelles ont tenté de répondre Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, deux économistes de la santé, membres de la Chaire "Transitions démographiques, Transitions économiques", en modélisant l'impact des dépenses de santé sur le niveau de vie et de bien être de la population.

En 2015, la dépense courante de santé représentait 12% du PIB, soit 262 Mds €. Depuis 2010, elle croit d’environ 1,5% à 2,5% par an. Elle est financée à 76,6% par la sécurité sociale, à 1,4% par la couverture maladie universelle (CMU), à 13,5% par les mutuelles et à 8,5% par les ménages (reste à charge).

Lorsqu’on s’intéresse au profil de consommation de la santé, on constate que les dépenses totales de santé croissent avec l’âge. Dans une société vieillissante, la dépense courante de santé est amenée à augmenter suite au vieillissement de la population et au progrès médical.

 

inégalité intergénérationnelle

Pour l’instant, le financement de cette dépense courante de santé est supporté principalement par les actifs (80.9%) qui représentent 59,3% de la population totale. Les retraités qui représentent pourtant 24,5% de la population totale ne contribuent qu’à hauteur de 7,4% au financement des dépenses de santé, soit moins que les jeunes (11,7%) pourtant moins dotés en capital. Il existe donc une inégalité intergénérationnelle dans le financement des dépenses de santé.

Si la littérature en économie de la santé insiste sur les effets positifs de la santé sur l’espérance de vie, la productivité et le bien-être, elle ne s’est pas suffisamment penchée sur les effets macroéconomiques d’une augmentation des dépenses de santé ou sur les effets d’une modification de la structure du financement des dépenses de santé.

Dès lors, il est légitime de se poser les questions suivantes :

• La dépense de santé est-elle un coût ou un investissement ?

• Pour une évolution donnée de la dépense de santé, quelles structures de financement mettre en place ?

L’objectif d’une telle recherche est, d’une part d’analyser les effets des dépenses de santé et de leur financement sur l’économie française ; et d’autre part, de mesurer les effets des dépenses de santé sur le bien-être, l’espérance de vie et la productivité dans un cadre unifié.

 

Le modèle Melete (ModELisation pour une protEcTion sociale durablE)

Les chercheurs ont développé un modèle d’équilibre général calculable à générations imbriquées afin de mesurer l’impact simultané (positif et négatif) des dépenses de santé sur le PIB, la productivité, le bien-être et les comptes de la protection sociale.

Le modèle, basé sur 16 générations à chaque période, prend en compte des générations allant de 20-24 ans jusque 95 ans et plus. Les individus sont répartis en trois niveaux de qualification : les individus faiblement qualifiés (niveau inférieur au bac), les individus moyennement qualifiés (entre bac et bac+2) et les individus hautement qualifiés (bac+3 et plus).

Tous les piliers de la protection sociale sont modélisés avec une description fine des branches retraites (calcul des retraites sur le SAM des 25 meilleures années) et santé (variation des dépenses individuelles de santé selon des caractéristiques personnelles et le progrès technique) et avec une description comptable des branches chômage, famille, logement, et assistance sociale.

Les prélèvements fiscaux (TVA, IRPP, taxes sur les revenus du capital) et sociaux (cotisations sociales, CSG, contributions publiques) sont également modélisés. Tout comme le sont les principaux types de dépenses de santé (sécurité sociale, mutuelles de santé, reste à charge).

Le scénario de référence est calé sur les hypothèses « 1.3% - 7% » du COR de 2016 à savoir :

• Un taux de croissance de la productivité globale des facteurs qui converge à 1.3% en 2026

• Un taux de chômage qui converge à 7% en 2025

• Des dépenses de retraites qui atteignent 13.4% du PIB en 2060 et qui sont stables par la suite

• Un besoin de financement des retraites de -0.2% en 2060

• Une dette publique stable après 2015.

Les scénarii testés grâce au modèle MELETE sont les suivants :

• Le scénario central : les dépenses (publiques, complémentaires et restes à charge) de santé demeurent constantes après 2015

• Les scénarii « dépenses » : hausse de la dépense totale de santé et structure du financement inchangé

o Scénario D1 : en 2060 la dépense totale de santé atteint 13% du PIB

o Scénario D2 : en 2060 la dépense totale de santé atteint 20% du PIB

• Les scénarii avec une hausse de la dépense totale de santé de type D1 et une modification de la structure du financement

o Scénario F1 : le supplément de dépenses est uniquement financé par la CSG

o Scénario F2 : alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs, suppression de la CSG des moins de 30 ans et des retraités faiblement qualifiés

o Scénario F3 : suppression des cotisations santé et chômage qu’on bascule sur la CSG (Réforme Macron)

 

Dépense de santé : coût ou investissement ?

En comparaison avec le scénario central, quel que soit le scénario « dépenses », une augmentation de la dépense totale de santé entraine une détérioration du niveau de vie des individus, et ce malgré l’accroissement de la productivité qui s’en suit.

Les effets (négatifs) d’augmentation des prélèvements obligatoires l’emportent sur les effets positifs découlant de l’accroissement de la dépense de santé. Par contre, on note une légère augmentation de l’espérance de vie à 20 ans et à 60 ans.

Par ailleurs, quel que soit le niveau de qualification, une augmentation des dépenses de santé entraine une amélioration du bien-être à partir des générations nées en 1940 (grâce notamment à l’amélioration de l’état de santé des individus). Ainsi, l’augmentation de la dépense totale de santé a davantage d’effets positifs sur le bien-être que sur le niveau de vie.

 

Quelle structure de financement mettre en place ?

En comparaison avec le scénario D1, quel que soit le mode de financement de la dépense de santé, une hausse de la dépense de santé entraine une baisse du PIB par habitant. Cette baisse est légèrement plus forte pour les scénarii F1 et F2. Ainsi, les gains en productivité ne parviennent pas à mitiger les effets de l’éviction de l’investissement dû à l’augmentation de la CSG. Le scénario F3 apparait ici comme le plus neutre en termes de distorsion fiscale.

Si on s’intéresse à l’équité intergénérationnelle du financement de la santé, on constate que le scénario F1 accroit la contribution (collective et individuelle) des actifs et des retraités, tout en diminuant celles des jeunes, alors que le scénario F3 augmente la contribution de toutes les générations sans distinction.

Le scénario F2 est donc celui qui est le plus équitable dans les transferts entre générations. Si on tient compte du mode de financement de la dépense de santé, les scénarii F2 et F3 sont ceux qui procurent le bien-être maximum à partir des générations nées dans les années 90 et qui sont faiblement et moyennement qualifiées. Le scénario F3 est plus avantageux en termes de bien-être pour les générations hautement qualifiées des mêmes cohortes.

1 Professeur d’économie à l’Université de Lille, chercheur au le laboratoire LEM (Lille Economie et Management), et chercheur associé à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques

2 Professeur d'économie à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense, conseiller scientifique au Cepii et chercheur associé à la Chaire Transitions démographiques, Transitions économiques

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