Maladie infectieuse provoquée par Mycobacterium leprae, la lèpre atteint non seulement la peau mais également les nerfs périphériques, provoquant invalidités sévères et handicaps permanents lorsqu’elle n’est pas traitée. Elle fait partie des six maladies que l’OMS considère comme une menace majeure dans les pays en développement, principalement dans les pays du Sud tels que l’Inde et le Brésil. Mais comment cette maladie ancestrale, éradiquée en Europe depuis la fin des années 1990, peut-elle encore aujourd’hui être source d’inquiétude ?
Les antibiotiques ont été administrés contre la lèpre à partir des années 1950, et durant une trentaine d’années, le traitement a consisté en une succession de monothérapies : dapsone, rifamycine, puis clofazimine, qui ont souvent été confrontées à l’émergence de souches résistantes à l’exception de la clofazimine. Mais, avec les recommandations de l’OMS de n’utiliser que la polychimiothérapie combinant ces 3 antibiotiques en même temps, l’éradication future de la lèpre ne faisait plus aucun doute. Le sujet a dès lors fortement désintéressé les autorités sanitaires et de nombreux laboratoires de recherche spécialisés dans ce domaine s’en sont également détournés.
Pourtant aujourd’hui le constat est alarmant : le nombre de nouveaux cas de lèpre, estimé à 200 000 chaque année dans le monde, reste résolument constant, et ce depuis une vingtaine d’années. Pourquoi la raréfaction voire la disparition de la lèpre n’est finalement pas observée ? L’argument de l’antibiorésistance a rapidement été soulevé, notamment facilité par l’utilisation massive d’antibiotiques dans d’autres pathologies infectieuses. La recherche sur ce sujet est extrêmement compliquée car M. leprae ne peut pas être cultivée in vitro, c’est-à-dire sur des milieux de culture usuels, et se multiplie chez l’hôte infecté très lentement. Bien qu’une technique alternative utilisant un modèle d’infection murin existe, elle se révèle fastidieuse avec des résultats disponibles au bout d’un an seulement, de quoi décourager de nombreux laboratoires d’entreprendre la recherche de cet agent pathogène. Quelques-uns se sont pourtant attelés à la tâche, en utilisant des techniques indépendantes de la croissance bactérienne, et ont ainsi permis la découverte des gènes impliqués dans la résistance à certains des antibiotiques utilisés.
Face à ce constat, l’OMS a mis en place en 2008 un réseau de surveillance intégrant 19 pays, et qui consiste à tester l’antibiorésistance vis-à-vis de ces antibiotiques à partir des échantillons de peau prélevés sur des patients lépreux. Le but ? Mieux cerner l’ampleur du problème et adapter le traitement individuel en conséquence. Il en ressort que 8% des patients analysés présenteraient des souches résistantes à au moins l’un des antibiotiques de 1ère ligne. Quid de la résistance au traitement de 2nde ligne, utilisé lorsque le traitement de 1ère ligne n’a pas été efficace, et incluant d’autres antibiotiques tels que la clarithromycine ? La résistance ne peut être testée, puisque les gènes impliqués ne sont pas encore connus. Il apparait donc non seulement primordial d’identifier les gènes impliqués dans la résistance à ces autres antibiotiques, mais également d’explorer et de développer de nouvelles approches thérapeutiques afin d’anticiper l’apparition et la propagation de souches multi-résistantes.
En attendant, l’OMS a présenté en 2016 sa Stratégie mondiale contre la lèpre 2016-2020, et tous les pays concernés doivent dorénavant tester l’antibiorésistance aux trois antibiotiques, au moins dans tous les cas de rechute. En outre, l’OMS est sur le point de publier les premières recommandations pour le diagnostic, la prévention, et le traitement de la lèpre : quel sera l’impact sur cette lutte millénaire ?