La dépression est une maladie

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2021 - Votre pharmacien vous conseille N° 167 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

Authentique trouble du cerveau, durable et difficile à traiter, la dépression (nerveuse) ne doit pas être confondue avec un « coup de mou » transitoire, elle engage tout le corps et l’avenir. Ne vous laissez pas abuser par la banalisation des mots/maux du quotidien.

 

 

Les médecins emploient le terme « dépression- maladie » ou « épisode dépressif caractérisé ». En 2017 elle touchait 9,8% des 18-75 ans et deux fois plus les femmes (13,0% contre 6,4% chez les hommes), avec un pic entre 18 et 44 ans (11,5%) et une diminution à partir de 45 ans.1 La pandémie Covid a aggravé la situation : une enquête de résilience montre que les ados ont moins surmonté la situation que les enfants ; ils ont tous eu des difficultés à garder le moral.2 Dans l’enquête EPICOV on atteint, chez les 15-24 ans, 22,0 % de syndromes dépressifs en mai 2020 (10,1 % en 2019) et chez les femmes 15,8 % (12,5 % en 2019).3

 

Diagnostic souvent tardif

La classification internationale de la maladie varie un peu avec le temps mais une chose ne change pas : la durée des signes, présents 24h/24 pendant au moins 15 jours et la tristesse excessive (durée et intensité) compte tenu du contexte. La perte d’un proche peut affliger pendant des mois mais elle n’est pas permanente. Il y a des moments où la personne s’évade, normalement, de son deuil. Une vraie dépression entraîne la complète perte d’intérêt et de plaisir pour des activités habituellement joyeuses ; un pêcheur à la ligne qui délaisse totalement ses cannes est suspect. Le corps s’effondre : ralentissement des gestes et des idées, sommeil perturbé (réveils précoces). La difficulté de concentration et de décision, le repli sur soi sont remarquables surtout professionnellement. La personne « se défait ». Parfois au contraire elle s’agite en craintes perpétuelles ; une anxiété majeure se mêle à la tristesse et égare l’entourage, comme le médecin. La mauvaise appréciation est facilitée par l’installation insidieuse et les signes propres à chacun en fonction de ce qu’il est et de ce qu’il a vécu intimement. De la prudence donc ; un licenciement lorsqu’on est harcelé peut être, au vrai, plus bénéfique que désastreux, comme un deuil qui soulage d’une charge émotionnelle intolérable…

 

Enquête minutieuse

Peu de médecins disposent d’assez de temps pour explorer l’histoire personnelle/familiale et apprécier les symptômes significatifs. Pour aller plus vite on utilise des échelles de dépression, particulièrement en consultation psychiatrique. Celle-ci est nécessaire en urgence quand des idées suicidaires se bousculent (voir encadré), mais aussi parce que l’enfermement dans la maladie grandit avec le retard du traitement. Malheureusement, le patient s’empresse rarement chez le médecin. Il esquive, minimise, pour exorciser le spectre de la maladie chronique avec sa dépendance aux médicaments. Pourquoi ne pas répondre à un score de dépression pour commencer ? L’échelle HAD est très utilisée et facile à remplir. On la trouve sur le site de la Haute Autorité de Santé. Un score d’au moins 7 points mérite une consultation médicale sans traîner. De quoi se mettre en état d’accepter la prise en charge.

 

Héritage génétique à part

Il existe une vulnérabilité familiale à la dépression. Les études chez les jumeaux le prouvent. Mais cela n’implique pas qu’une personne génétiquement vulnérable fera une ou des dépressions dans sa vie. Il faut des circonstances favorables, comme les traumatismes de l’enfance, très destructeurs (maltraitance, maladie psychiatrique d’un parent, bas statut socio-économique familial). Chaque événement défavorable joue son rôle de manière autonome, comme le montre une vaste étude danoise : les « bouquets » de gènes favorables n’ont pas plus de poids dans la dépression des trentenaires que les événements pénibles de leur existence passée.4

 

Prendre feu par tous les bouts

C’est avéré, l’inflammation déprime les neurones, or elle est très présente dans les maladies chroniques, lors d’un surpoids ou d’une obésité. Dans cette logique, les maladies auto-immunes sont très favorables à la dépression ainsi que les infections sévères.5 Inutile donc de houspiller les gens malades pour qu’ils se secouent, il faut les traiter efficacement et gentiment. Il faut réduire aussi la misère socio-culturelle, en soi inflammatoire donc « dépressogène ». Dans une étude Inserm, le bas niveau d’éducation est un facteur indépendant d’inflammation chronique.6 Contre la dépression comptez sur l’instruction et la connaissance, bonnes aussi contre la démence Alzheimer : une pierre deux coups !

 

La faute au microbiote intestinal, en plus ?

Une équipe mixte CNRS/Institut Pasteur) a étudié cette hypothèse : « de façon surprenante, le simple transfert du microbiote d’un animal présentant des troubles d’humeur à un animal en bonne santé suffit à induire des modifications biochimiques, et conférer des comportements synonymes d’un état dépressif chez ce dernier ». L’explication est que des bactéries du genre lactobacilles fabriquent des acides gras précurseurs de molécules de bonne humeur dans le cerveau (système endocannabinoïde). En leur absence, dans ce modèle animal, les souris dépriment.7 La qualité de l’alimentation étant liée à l’instruction, on entrevoit un lien entre ces causes…

 

Traitements multiples à bien doser

Le traitement d’une dépression implique les antidépresseurs, bien connus depuis que le Prozac a été commercialisé comme pilule miracle. Ont suivi maintes molécules agissant sur les mono-amines cérébrales de l’humeur, d’emploi plus aisé que d’autres produits réservés aux neuropsychiatres. Leur facilité de prescription ne doit jamais faire oublier qu’un traitement se pèse soigneusement et n’est pas que pharmaceutique, d’abord parce que les médicaments mettent plusieurs semaines à agir.

Dans les situations graves, on dispose de la stimulation magnétique transcrânienne, voire carrément d’implants d’électrodes dans le cerveau (stimulation profonde). Les électrochocs sont efficaces en dépit de leur mauvaise image médiatique. On peut même implanter un stimulateur du nerf vague (comme pour traiter certaines épilepsies). Ces prises en charge sont hospitalières et spécialisées bien sûr, mais les psychothérapies sont à la portée de n’importe quel patient bien conseillé par son médecin.

Les thérapies comportementales et la méditation ont donné des preuves d’efficacité en réduisant la durée de la maladie et la fréquence des rechutes.

D’autres possibilités chimiques sont à l’étude car il persiste des dépressions résistantes à tous les traitements habituels. Leur prise en charge relève de centres experts, comme ceux de la Fondation Fondamentale (www.fondation-fondamental.org). Enfin, les rechutes après une dépression restent fréquentes, même à distance, et justifie de faire le point régulièrement avec son médecin.

 

 

Risque suicidaire majeur

En 2017, 4,7% des 18-75 ans déclaraient avoir pensé se suicider au cours des 12 derniers mois ; 7,2% avaient tenté de se suicider au cours de leur vie, dont 0,39% au cours de l’année. Être femme, en situation financière difficile, célibataire, divorcé ou veuf, inactif professionnellement (chômage, retraite) sont des facteurs favorisants comme les événements traumatisants. Mais le plus déterminant est un épisode dépressif caractérisé au cours de l’année écoulée : risque suicidaire multiplié par 8,3 pour les hommes et 6,6 pour les femmes par rapport à une personne non dépressive.8 Convaincu ? Consultez en urgence.

 



Références

1- Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire. N° 32-33 du 16 octobre 2018.

1bis - Institut du Cerveau et de la Moelle. Journée de la dépression 2019.

2- BEH Covid-19 N° 8 du 20 mai 2021.

3- DREES Etudes&Résultats, mars 2021, n°1185

4 - Esben Agerbo et coll. JAMA Psychiatry. En ligne le 13 janvier 2021.

5 - Michael E. Benros et coll. JAMA Psychiatry. En ligne le 12 juin 2013.

6- Berger E et coll. Nat Commun. 2019; 10: 773. En ligne le 15 février 2019.

7- Grégoire Chevalier et coll, Nature Communications, 11 décembre 2020

8- BEH. N° 3-4 du 5 février 2019.

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