Étude Fondation Jean-Jaurès réalisée avec l'Ifop, coordonnée par le professeur Michel Debout

Suicide : l'autre vague à venir du coronavirus ?

Par Rédaction -  Théragora

Théragora - www.theragora.fr - Théragora le 6 novembre 2020 N° 39 - Page 0 - crédits iconographique Phovoir

 

 

Le lien entre le risque suicidaire et les crises économiques et sociales est connu, notamment depuis la crise de 1929. La Fondation Jean-Jaurès publie une enquête, avec l'Ifop, sur les effets du premier confinement sur le risque suicidaire de certaines catégories de la population. Michel Debout, professeur de médecine légale et membre de l'Observatoire national du suicide, a coordonné cette enquête pour la Fondation Jean-Jaurès (il avait déjà, en 2016, coordonné pour la Fondation Jean-Jaurès une enquête similaire sur le risque suicidaire et la prévention du suicide en France). Il analyse les résultats de cette nouvelle enquête.

 

  Le confinement, facteur de protection. Le déconfinement, facteur de risque

 

En France, 20% des Français ont déjà envisagé sérieusement de se suicider. Parmi ces personnes, 11% l'ont envisagé durant le premier confinement et 17% depuis la fin du premier confinement en mai.

 

Trois facteurs expliquent cette différence entre le « pendant » et « l'après »

 

Le premier est que le confinement a largement modifié le rapport au quotidien mais aussi le rapport à l'existence elle-même, du fait d'une menace diffuse et incertaine liée au virus. Cette menace a atteint, de façon indifférenciée, tous les Français et les Françaises, quelles que soient leur situation personnelle et leur problématique psycho-relationnelle. Nous étions tous égaux face à la menace qui n'était pas relative à notre personne mais extérieure à nous, provoquant une volonté de survie éliminant en partie les pensées suicidaires pour renforcer les dynamiques de protection collectives. Cela explique donc en partie ces taux de pensées suicidaires qui peuvent apparaître comme assez faibles durant la période de confinement.

 

Le deuxième est la solidarité qui s'exprime chaque fois que le groupe lui-même se sent menacé, comme l'a été l'expression spontanée de soutien et de générosité lors de la crue dévastatrice dans les Alpes-Maritimes ou encore l'extraordinaire mouvement de compassion exprimé lors des attentats terroristes de l'année 2015. On retrouve cette expression de solidarité dans les applaudissements adressés à tous les soignants.

 

Le dernier facteur est plus factuel, il réside dans la difficulté du passage à l'acte pendant la période de confinement du fait de l'obligation de résider en permanence avec ses conjoints et ses enfants ou sous le regard policier chaque fois que l'on essayait d'échapper à ce huis-clos. Tout passage à l'acte suicidaire nécessite un moment d'isolement pour sa réalisation rendue, évidemment, plus difficile pendant toute cette période.

 

 

Effets de la crise sur les pensées suicidaires chez les jeunes

 

Lorsque l'on compare les résultats obtenus dans une autre enquête de la Fondation Jean-Jaurès réalisée en 2016 par rapport à ceux de 2020, on note une augmentation globale des tentatives de suicide pour l'ensemble de la population (en 2020, chez ceux qui ont déjà envisagé le suicide – 20 % des Français -, 27% disent avoir déjà fait une tentative conduisant à une hospitalisation, contre 22% en 2016). C'est particulièrement marqué chez les jeunes : en 2016, chez les moins de 35 ans qui avaient déjà envisagé une tentative de suicide, 26% avaient fait une tentative provoquant une hospitalisation, contre 33% (+7 points en quatre ans) en 2020. Cette proportion en augmentation est la marque de la gravité de ce risque suicidaire puisque la proportion de ceux qui passent à l'acte chez ceux qui ont des pensées suicidaires atteint un niveau très préoccupant.

 

Pour les jeunes, on peut expliquer cette « dynamique » par la difficulté de se faire soigner ou de poursuivre les soins pendant le confinement et dans les semaines qui ont suivi. L'autre facteur explicatif concerne plutôt les adultes jeunes confrontés aux difficultés d'insertion professionnelle et sociale, de formation que de nombreuses études ont notées – même le président de la République a souligné la difficulté d'avoir vingt ans en 2020. Il y a là des facteurs de risques certains qui devraient déboucher sur des actions médico-sociales spécifiques (notamment en matière de prévention).

 

Dirigeants d'entreprises, artisans-commerçants, chômeurs : les trois populations les plus à risque de suicide

 

Parmi les 20% de Français qui affirment avoir déjà envisagé sérieusement de se suicider en 2020, trois catégories professionnelles ont des taux d'intention largement supérieurs : les dirigeants d'entreprises et les chômeurs à 27% et les artisans-commerçants à 25%.

 

  • Les artisans-commerçants

 

En 2020, parmi les 20% de la population qui ont envisagé le suicide, 27% ont fait une tentative de suicide qui les ont conduits à l'hospitalisation. Parmi ces 27%, 42% sont des artisans-commerçants. Cette proportion représente le taux le plus élevé de notre enquête et donne à voir la gravité particulière de ces situations qui devraient alerter les pouvoirs publics.

 

On retrouve aussi dans cette population d'artisans-commerçants une consommation de médicaments plus importante que la moyenne des Français. Quand on les interroge sur leur prise de médicaments au cours des douze derniers mois, 11% des artisans-commerçants disent avoir pris des anxiolytiques ou des tranquillisants (contre 9% pour la moyenne des Français), 11% des somnifères ou des hypnotiques (contre 8% en moyenne), 6% des stabilisants-régulateurs d'humeur (contre 2% en moyenne) et 7% des neuroleptiques (contre 2% en moyenne).

 

De même, l'appel à une association d'aide ou de soutien au cours des douze derniers mois s'élève à 6% chez les artisans-commerçants, contre 3% pour la moyenne des Français. La cause principale des morts violentes des artisans-commerçants a donc pour nom le suicide des petits entrepreneurs. A l'avenir, ce que nous montre notre enquête, c'est que ces catégories de la population pourraient avoir une pratique suicidaire qui se rapproche de la situation que connaissent déjà les agriculteurs, catégorie sombrement touchée par ce fléau.

 

  • Les chômeurs

 

La fragilisation psycho-sociale provoquée par la perte d'emploi, puis par l'impossibilité d'en retrouver un, a un effet sur la santé globale des chômeurs et, parmi les risques sanitaires, le risque suicidaire. Ce risque élevé a été pointé dans un grand nombre d'études à l'occasion des crises économiques de 1929 et de 2008 notamment.

 

Il n'est pas surprenant de constater un taux élevé de pensées suicidaires chez les chômeurs : 27% déclarent avoir déjà envisagé sérieusement de se suicider (contre 20% dans la population générale) avec un risque de passage à l'acte particulièrement élevé : parmi ceux qui ont déjà envisagé le suicide (soit 27% des chômeurs), 34% ont fait une tentative de suicide provoquant une hospitalisation (contre 27% dans la population générale).

 

Les chômeurs consomment par ailleurs plus d'antidépresseurs que la moyenne des Français : 16% des chômeurs disent en avoir consommé au cours des douze derniers mois, contre 10% chez la moyenne des Français. 

 

 

Chiffres clés de l'enquête :

  • 20% des personnes interrogées ont déjà envisagé sérieusement de se suicider ;
  • 25% des artisans-commerçants ont envisagé sérieusement de se suicider ; 
  • 27% des chômeurs et des dirigeants d'entreprise ont envisagé sérieusement de se suicider ; 
  • Parmi les personnes qui ont déjà envisagé le suicide (20% des Français), 25% sont âgés entre 18 et 24 ans ;
  • Parmi les personnes qui ont déjà envisagé le suicide (20% des Français), 24% sont des femmes de moins de 35 ans ; 
  • Parmi les personnes qui ont déjà envisagé le suicide (20% des Français), 11% l'ont envisagé durant le premier confinement, 17% depuis la fin du premier confinement ; 
  • Parmi les personnes qui ont déjà envisagé le suicide (20% des Français), 27% ont déjà fait une tentative de suicide provoquant une hospitalisation (22% en 2016) ; 
  • Au total, en France, 5% des personnes interrogées en 2020 disent avoir fait une tentative de suicide provoquant une hospitalisation (5% en 2016) ; 
  • Au cours des douze derniers mois, 10% des Français ont pris des antidépresseurs (16% des chômeurs) ; 
  • Au cours des douze derniers mois, 7% des Français ont été hospitalisé en hôpital psychiatrique
  • Au cours des douze derniers mois, 11% des artisans-commerçants ont pris des anxiolytiques (9% des Français), 7% des neuroleptiques (2% des Français). 


Étude Fondation Jean-Jaurès réalisée avec l'Ifop, - Méthodologie : l'enquête a été menée auprès d'un échantillon de 2000 personnes représentatif de la population âgée de 18 ans et plus. Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 28 septembre 2020.

 

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