Cachez ce sang que je ne saurai voir
A l'heure où la ministre de l'Enseignement supérieur a décidé de la mise en place de distributeurs de protections hygiéniques dans les universités pour la rentrée 2021, on assiste depuis peu à une mise en lumière des menstruations dans l'espace médiatique et politique. Sujet peu évoqué car « tabou », il apparait que les règles restent encore aujourd'hui un facteur d'exclusion sociale du fait de leur invisibilisation et du caractère stigmatisant de ces dernières. C'est dans ce contexte que l'Ifop a mené pour Intimina une enquête permettant de mesurer concrètement l'impact de cette invisibilisation sur la vie quotidienne des femmes et d'expliciter le mal-être et les privations que ces dernières s'imposent dans un espace public non inclusif.
LES CHIFFRES CLÉS
1 / L'IMPACT PHYSIQUE ET PSYCHOLOGIQUE DES MENSTRUATIONS...
- Cette étude révèle d'abord que près d'une femme sur deux souffre de règles douloureuses. Ce taux s'élève à 60% chez les plus jeunes femmes, âgées de 15 à 19 ans, dont 20% déclarant avoir des règles très douloureuses. Ce résultat montre que les menstruations ont encore aujourd'hui un impact fort sur la santé des femmes, notamment en raison d'un manque de prise en charge médicale de ces symptômes.
- Par ailleurs, le cycle menstruel semble aussi avoir des effets sur l'état psychologique des femmes puisqu'une nette majorité d'entre elles (81%) déclarent connaître des désagréments comme la fatigue (80%), le sentiment d'être plus irritable (71%) ou encore d'être plus mal à l'aise avec leur corps (59%). Ces effets apparaissent plus forts chez les femmes souffrant de règles douloureuses, preuve que la douleur induite par le cycle menstruel constitue une véritable contrainte.
- Malgré les récents progrès dans la reconnaissance des maladies gynécologiques comme l'endométriose ou le syndrome des ovaires polykystiques, le fait qu'une proportion massive de Françaises soit encore réduite à subir ces complications lors de leur cycle menstruel témoigne d'un manque de prise en compte du vécu des femmes par la société et le corps médical.
2 / ... UN FREIN DANS LA RELATION AUX AUTRES ET UN FACTEUR D'EXCLUSION SOCIALE
- Un autre grand enseignement de cette étude réside dans l'identification des menstruations comme un facteur d'exclusion sociale pour une part importante des femmes. En effet, la société et l'espace social revêtent parfois un caractère « hostile » à l'égard des femmes réglées : 46% d'entre elles ont déjà eu le sentiment que la gêne ou la douleur de leurs règles étaient sous-estimées par leurs amis hommes, et 42% par des membres masculins de leur famille. De plus, 33% des femmes ont déjà subi des moqueries ou des remarques désobligeantes en raison de leurs menstruations.
- Ce climat non inclusif entretient un sentiment de malaise dans le rapport des femmes à leurs règles, à tel point que 87% d'entre elles souhaiteraient ne plus être menstruées.
- Si aujourd'hui, on pourrait penser qu'une forme de libération de la parole s'est opérée, il apparaît dans cette étude que les règles constituent encore aujourd'hui un frein dans les relations sociales et les sorties, notamment pour les plus jeunes femmes. En effet, 83% des Françaises ont déjà renoncé à avoir des relations sexuelles lors de leurs règles, 31% à se rendre à un rendez-vous galant et 28% de sortir avec des ami(e)s, jusqu'à 39% chez les jeunes âgées de 18 à 19 ans.
3 / UN ESPACE PUBLIC NON INCLUSIF POUR LES PERSONNES MENSTRUEES
- Si les règles en elles-mêmes constituent parfois des obstacles aux interactions sociales, on retrouve ces freins dans la construction même de l'espace public, qui participe à une invisibilisation du cycle menstruel conduisant une majorité de femmes à cesser certaines activités.
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- Ainsi, 74% des femmes ont déjà été empêchées de se baigner lorsqu'elles avaient leurs règles, 65% ne se mettent pas en maillot, et 57% ne pratiquent pas d'activité sportive en raison de la douleur, d'une protection non adaptée ou encore de la peur de « l'accident » qui laisserait entrevoir ces menstruations que l'on apprend à cacher aux adolescentes dès leurs premières règles.
- Alors que les premières menstruations semblent abordées de plus en plus facilement au sein du cercle familial, l'espace public est encore loin d'être « menstrue-friendly ». Ayant intériorisé l'idée que les règles ne doivent pas être vues, les femmes ont développé différentes stratégies d'évitement : 83% d'entre elles ont déjà caché dans leur poche ou leur manche leurs protections hygiéniques lorsqu'elles se rendaient aux toilettes pour se changer, 74% cachent leurs protections lorsqu'elles sont dans un lieu public, et 64% ont déjà gardé leurs protections usagées dans leur sac ou leur poche faute de lieu approprié pour les jeter.
Le point de vue de l'experte : Louise Jussian, chargée d'études de l'Ifop
Malgré une libération de la parole vis-à-vis des menstruations depuis le XXe siècle du fait de la déchristianisation de la société, de la libération sexuelle et de la seconde vague du féminisme, certains freins sociaux perdurent et les personnes réglées restent invisibilisées de l'espace public. La libération de la parole permet certes aux jeunes filles d'accueillir plus paisiblement leurs premières règles, qui leurs sont présentées comme un « rite de passage » vers leur nouvelle féminité, mais un paradoxe demeure entre ce premier discours et ce à quoi les femmes sont ensuite confrontées : une certaine « diabolisation », ou du moins une négation par l'invisibilisation des menstruations dans l'espace public. En effet, les femmes cachent encore leurs protections hygiéniques pour se rendre aux toilettes et, alors que les distributeurs de préservatifs sont courants, ceux de protections hygiéniques commencent à peine à peupler l'espace public. Cet impératif à l'invisibilisation des règles marque encore profondément nos sociétés, au point que les personnes menstruées appréhendent cette période sous le prisme de « l'autocontrainte » telle que développée par Norbert Elias en se privant de l'accès à certaines activités sociales.
« Étude Ifop pour iNTIMINA réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 28 avril 2021 auprès d'un échantillon de 1 010 femmes, représentatif de la population féminine française âgée de 15 à 49 ans résidant en France métropolitaine. »
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