Les perturbateurs endocriniens

Par Dr Sophie Duméry -  Journaliste médecin

Théragora - www.theragora.fr - Année 2020 - Votre pharmacien vous conseille N° 156 - Page 0

Malédiction du 21e siècle, les perturbateurs endocriniens de synthèse industrielle ne sont pas récents. Le recul montre leurs effets néfastes, difficiles à évaluer et à attribuer à chaque molécule. D’où d’interminables polémiques scientifiques et politiques dont l’enjeu financier pèse lourd.

Qu’est-ce qu’un perturbateur endocrinien ?

L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) propose la définition de 2002 de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé)1 : « substance ou mélange de substances, qui altère les fonctions du système endocrinien et de ce fait induit des effets néfastes dans un organisme intact, chez sa progéniture ou au sein de (sous)- populations». Cela concerne des substances naturelles (hormones végétales du soja ou dioxine des feux de forêts), surtout les produits chimiques de synthèse déversés massivement depuis la révolution agrochimique du 20e siècle avec l’usage extensif des phyto-sanitaires ou phytopharmaceutiques : autres noms moins inquiétants des pesticides, substances destinées à tuer des organismes considérés comme nuisibles.

Les perturbateurs endocriniens (PE), très divers, interfèrent avec toutes les fonctions organiques : croissance, métabolisme énergétique, reproduction, glandes hormonales, système nerveux et échanges cellulaires. Leur action peut être mimétique (agoniste) : elle mime l’hormone ou le message cellulaire auxquels ils ressemblent. Le perturbateur peut bloquer l’effet de cette hormone, il est alors dit antagoniste. Entre ces deux options, il peut plus ou moins désorienter le métabolisme hormonal à des étapes complexes du fonctionnement cellulaire. Les PE les plus connus médiatiquement sont le glyphosate, le bisphénol A, la chlordécone, les phtalates et matières plastiques. Le Cahier de la Recherche ANSES n°13 donne tous les détails sur les recherches en cours. 2

 

Que risque-t-on à vivre dans ce bain perturbateur ?

L’imprégnation constante à faible dose chez des personnes hors des milieux professionnels, où l’usage des pesticides est réglementé et surveillé, provoque des troubles de la croissance fœtale, infantile et pubertaire. Ils altèrent la fertilité humaine et animale, favorisent le diabète et l’obésité, perturbent le cerveau (cognition), les apprentissages et les relations sociales (troubles autistiques). Ils favorisent les cancers hormono-dépendants. 

 

De nombreuses études confirment le lien entre perturbateurs endocriniens et pathologies humaines et animales dans des modèles de laboratoire. Il est beaucoup plus difficile de le prouver en population réelle. Les suivis de cohortes coûtent très chers et du fait du mélange incalculable (et incalculé) des substances chimiques dans l’environnement il est difficile d’impliquer une molécule en particulier dans un effet précis à une dose précise. Or ce sont les «cocktails» de produits qui ont le plus de conséquences sur l’organisme. Comble d’inquiétude, ll y a transmission à la descendance des perturbations imprimées sur les gènes des personnes exposées (phénomène épigénétique).

C’est ainsi qu’en commissions, française ou européenne, les différents acteurs du marché des pesticides se rejettent la culpabilité de tels maux, et pèsent sur les décisions sanitaires par des arguments financiers et politiques. Deux experts français ont inventorié ces faits préoccupants dans un rapport au Parlement européen (2019, en anglais sur internet).3

 

Que dit la réglementation, française et européenne ?

Des règlements sanitaires encadrent la production et la diffusion des produits chimiques dans l’Union européenne (REACH et CLP) mais ils ne spécifient rien pour les substances perturbatrices endocriniennes. Leur définition apparaît seulement dans les textes 2017 et 2018 de la Commission européenne relatifs aux Produits biocides et phytopharmaceutiques,4 à la suite d’une véritable bataille entre pays pour et contre leur ciblage. Finalement les critères adoptés concernent seulement les PE avérés et non suspectés, en dépit d’une expertise convaincante de l’ANSES.5 Un guide européen officiel d’identification des PE est toutefois paru pour aider les industriels distraits ou négligents à comprendre ce qu’ils fabriquent.6  De son côté, l’Inserm (Institut national de la recherche médicale) coordonne une stratégie européenne d’identification par des techniques de pointe afin de clore la dispute des définitions scientifiques (projet OBERON doté de 5,9 millions d’euros sur 5 ans).7 

Mais si la France est le premier pays à s’être doté d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE, avril 2014), elle peine à atteindre ses objectifs ambitieux. Prudemment, le SNPE1 (2015-2019) a été reconduit en PNSE2 (2019-2022).8 Il y est explicitement formulé « de mettre à profit le cadre institutionnel développé pour la recherche sur le risque chimique pour soutenir sur le long terme la recherche sur les perturbateurs endocriniens. » La recherche certes, mais pour quelles décisions ?

 

Où croise-t-on des perturbateurs endocriniens ?

Partout, dans l’eau des rivières et du robinet, dans l’air extérieur et intérieur, dans l’alimentation en particulier transformée par l’industrie agro-alimentaire. Il y a de quoi demander des antidépresseurs à son médecin traitant, alors que la HAS (Haute Autorité de Santé) dénonce l’abus de leur consommation… 

Quelques mesures individuelles sont possibles (voir encadré) pour limiter leur impact. Pour les mesures plus générales, la situation est tendue. L’article 83 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et commercial subordonne, au 1er janvier 2020, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (pesticides) à proximité des zones d’habitation (épandages) à des mesures de protection des personnes. Les mairies qui ont voulu anticiper ont provoqué bien des conflits ; qui osera appliquer cette loi en 2020 ? Le gouvernement a prévu d’arrondir les angles en demandant à l’Anses « tout complément utile à son avis du 20 juin 2014 concernant le dispositif réglementaire destiné à protéger les riverains des zones traitées avec des produits phytosanitaires, à la lumière des nouvelles connaissances scientifiques et de l’expérience acquises avec la mise en œuvre depuis 2016 du document guide de l’EFSA [Autorité européenne de sécurité alimentaire]9 pour l’évaluation de l’exposition des travailleurs, des opérateurs, des personnes présentes et des riverains. ». Pour se donner de la latitude dans l’interprétation de la loi si les esprits s’échauffent trop sur le terrain…

 

7 mesures de protection individuelle

1- Cesser le tabagisme actif et passif : le tabac contient des PE (benzopyrène, hydrocarbures polycycliques aromatiques, cadmium).

2- Ne pas chauffer sa nourriture dans des récipients en plastique, en particulier au micro-ondes, car le bisphénol, les phtalates migrent dans les aliments à la chaleur. Ne pas couvrir ou cuire son repas avec du film alimentaire.

3- Choisir des produits « bio » car les doses de PE y sont réduites, au mieux absentes.

4- Bannir les insecticides/pesticides du domicile et du jardin. À négocier avec le vétérinaire lorsqu’on protège son chien ou son chat contre les puces. Choisir des stratégies physiques (chauffage des mauvaises herbes, purins naturels).

5- Bannir les peintures sans solvants aromatiques (hydrocarbures) et le mobilier collé (préférer le chevillé ou cloué/vissé). 

6- Réduire les boîtes de conserve et cannettes de boissons enduites intérieurement de résine plastique. Préférer le frais, le congelé et les contenants en verre. Sinon rincer les aliments en conserve, et oublier les sodas qui sont des facteurs de risques de diabète et d’obésité.

7- les suppléments alimentaires utiles :
• l’acide folique (vitamine B9) : pas seulement chez les femmes enceintes et les enfants en croissance, parce qu’elle lutte contre les atteintes épigénétiques des PE. 
• l’iode : même à petites doses, il occupe ses récepteurs sensibles aux PE mimant les hormones thyroïdiennes. Ceux-ci perdent de leur action usurpatrice. 

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