La tuberculose menace ànouveau l’Europe alors qu’elle avait été maîtrisée pendant des décennies. Les premiers touchés par cette maladie hautement contagieuse sont les migrants. En Allemagne de 2013 à2016, le flux migratoire s’est accompagné d’une augmentation de 30% de l’incidence de la tuberculose [1].
Les objectifs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sont de réduire l’incidence de la tuberculose de 50% et sa mortalité de 75% en 2025 ; puis respectivement de 90% et de 95% en 2035 [2]. Serait-ce possible en France ? « L’incidence de la tuberculose maladie en France a diminué de 6700 cas à4700 entre 2000 et 2015, mais il n’en n’est pas de même pour les formes multirésistantes», explique Thomas Maitre. Et d'ajouter : « Alors qu’il y avait peu de cas dans les années 2000-2010, l’incidence a doublé en 2012 et semble se stabiliser autour de 100 cas par an. »
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Cette augmentation serait essentiellement liée àdes mouvements de populations imprévisibles, en particulier le flux migratoire de primo-arrivants d’Europe de L’Est. « 91% des patients détectés avec une tuberculose multirésistante en France sont nés àl’étranger, en particulier dans les pays de l’Europe de l’Est comme la Géorgie, la Russie ou l’Ukraine» souligne encore Thomas Maitre.
Par ailleurs, les conditions sanitaires défectueuses des réfugiés favorisent la non détection de la tuberculose et la transmission des bacilles. Propices àla diffusion de la tuberculose, les « jungles » exposent non seulement les migrants accueillis mais aussi les employés des ONG qui s’en occupent. Leur démantèlement et leur transfert dans les zones rurales demande, en outre, une réorganisation des priorités géographiques des Centres de lutte antituberculeuse donc de leurs ARS. Aujourd’hui, 46% des cas sont diagnostiqués hors Ile-de-France.
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A ces facteurs s’ajoute une incohérence législative en France concernant le dépistage de la tuberculose chez les étudiants migrants primo arrivants. Alors que l’Office Français d’Intégration et d’Immigration [3] (OFII) est chargé du dépistage de tous les migrants primo arrivants àleur accueil, depuis début 2016 la médecine préventive universitaire est chargée des étudiants. Ce chevauchement incite l’OFII àse décharger sur les établissements d’enseignement supérieur, qui faute de moyens les renvoient sur certains CLAT. Or le milieu universitaire n’est pas ànégliger selon Philippe Fraisse : « A l’université de Strasbourg dans mon propre département, il y a 10400 étudiants internationaux en file active, 1900 primo-arrivants en 2017 : comment les dépister ? »
Autre facteur alarmant : la politique de prévention est altérée depuis deux ans àcause d’une pénurie de BCG, le vaccin anti-tuberculose. La pénurie menace par ailleurs certains traitements de la tuberculose, remettant en cause l’amélioration du succès du traitement en France, et l’atteinte de l’objectif de 85% fixé par l’OMS [4].
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Dans un contexte de pénurie de BCG, il est nécessaire de définir des recommandations de vaccination optimisées ciblée sur les populations les plus àrisque telles que les enfants des migrants primo-arrivants. « A la demande du Haut conseil de santé publique et de la Haute autorité de santé (HAS), nous sommes en train de redéfinir les pays àforte incidence » annonce le Dr. Fraisse.
Par ailleurs, le regroupement de migrants dans des zones rurales, qui prend au dépourvu non seulement les Centres de Lutte Antituberculeuse (CLAT) peu armés face àune telle affluence mais aussi les Centres hospitaliers universitaires (CHU), soulève de nombreuses interrogations : Où vont les migrants suite àun démantèlement de camp? Comment les dépister? Comment les suivre? Quelle protection de leurs travailleurs sociaux et encadrants? Le Réseau national des CLAT de la SPLF a réalisé une enquête nationale en accord avec la DGS et Santé Publique France pour apporter des réponses àces questions.
Mais d'autres demeurent. Comment mieux valoriser les séjours pour tuberculose dans les hôpitaux? Comment prendre en charge les patients atteints de bacilles multirésistants en province, alors que le Sanatorium de Bligny est le seul centre de Soins de Suite et de Réadaptation (SSR) actif dans la prise en charge des patients multi-résistants et extra-résistants? « Il est critique de développer cette filière de soins pour décharger les CHU et il n’est pas normal qu’un CHU doive refuser des patients en état d’urgence, parce que ses lits sont occupés pendant 4 à5 mois par un patient en attente ou en cours de traitement antituberculeux » met en garde Philippe Fraisse.
Une chose est certaine : toutes ces initiatives ne pourront pas être mises en place dans le contexte actuel de coupe budgétaire affectant la LAT. Il est plus que nécessaire de dédier des moyens conséquents, notamment la prise en charge des nouveaux tests de dépistage de l’infection tuberculeuse [5], la généralisation du diagnostic bactériologique rapide de la tuberculose et de la résistance àla rifampicine et la considération des déterminants sociaux, pour lutter activement et efficacement contre la tuberculose.