Dans le labyrinthe des projets, des débats, des controverses voire des confrontations sur la fin de vie, quelle place occupera et laissera dans « l’histoire » la longue interview donnée par Emmanuel Macron à ces deux journaux aux idées contraires, que sont La Croix et Libération ? La première peut être, tant sa parole était attendue.
En choisissant deux quotidiens aussi éloignés l’un de l’autre, le Présidant a voulu s’adresser à deux publics qu’il devinait peu convaincus par son projet. Le premier, lecteur de la Croix, proche des milieux confessionnels, est arque bouté depuis toujours contre toute intervention humaine pouvant précipiter la mort ; le second, lecteur de Libération et donc proche de la gauche, pense à l’inverse que les projets sur la fin de vie, ne vont pas assez loin. Et il semble évident que ces deux groupes, à la lecture du texte présidentiel, du moins tel qu’il a été précisé par le Chef de l’Etat, ne sont guère disposés à applaudir.
Ce projet prévoit que les patients majeurs atteints de maladies incurables, dont « le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme » ou atteints de « souffrances réfractaires » c’est à dire ne pouvant être soulagés et « capables d’un discernement plein et entier », puissent demander au médecin et à son équipe, la prescription d’un produit létal, qui sera valable trois mois. L’équipe médicale qui devra statuer sur cette demande délivrera en cas d’accord, au patient une substance létale que celui-ci devra s’administrer lui même ou en cas d’incapacité de le faire, désigner une personne, proche ou médecin. Ce dispositif ne concerne pas les mineurs ni précise le Président, « les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui alternent le discernement, comme l’Alzheimer ». Si la réponse de l’équipe médicale est favorable, la prescription est valable trois mois, mais le patient peut évidemment se rétracter à tout moment.
Ce texte est certes une avancée, disent les partisans d’ « un accompagnement » des patients en fin de vie, mais il reste flou par certains de ses aspects. Notamment la notion de « court ou moyen terme » interroge. Moyen terme, c’est trois mois, six mois, douze mois ? II est craindre qu’avec ces critères mis en avant par le président de la République, « on ne se retrouve avec une loi qui soit difficile à appliquer », regrette Jonathan Denis, le président de l’Association pour le Droit de mourir dans la Dignité (ADMD). « Il n’y aurait rien de pire que de voter une nouvelle loi qui continue d’obliger les Français à partir à l’étranger », commente-t-il. ET aucune allusion dans ce projet du Président sur l’euthanasie et le suicide assisté alors que la Convention citoyenne qui a siégé de longs mois avait souhaité que ces notions figurent dans le texte.
Du coté du corps médical, on est également perplexe, pour ne pas dire plus. Pour le De Claire Fourcade, présidente de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), ce texte est « un projet de loi euthanasie », a –t-telle dénoncé sur franceinfo. « Je suis médecin en soins palliatifs poursuit-t-elle, j'accompagne des patients en fin de vie, je fais de l'aide à mourir au quotidien ». « Mais ce que propose le président, c'est un projet de loi pour faire mourir, un projet de loi euthanasie et suicide-assisté sur décision médicale », accuse-r-elle.
Enfin, du coté de Eglise, sans surprise, la critique n’est pas moins forte. « Appeler 'loi de fraternité' un texte qui ouvre à la fois le suicide assisté et l'euthanasie est une tromperie. Une telle loi, quoi qu'on veuille, infléchira tout notre système de santé vers la mort comme solution", déclare dans La Croix, Eric de Moulins-Beaufort, le président de la Conférence des évêques de France. On notera avec intérêt la différence d’interprétation entre les médecins et l’Eglise sur la notion de l’euthanasie et de suicide assisté.
La décision et la parole sont maintenant dans le camp des parlementaires. Le projet arrivera devant l’Assemblée Nationale fin mai. La date du 27 mai a été évoquée par Gabriel Attal, le Premier ministre. Le texte final qui sera voté ne sera pas celui qui sera présenté par le Gouvernement et annoncé par le Président, précise déjà avec un brin d’ironie un député de la majorité.