Par Emmanuel Hirsch, Université Paris-Saclay, publié dans The Conversation.fr

Soins palliatifs : 20 ans après le texte fondateur, un bilan insuffisant

- Théragora le 19 juillet 2019 N° 23 - Page 0 - crédits iconographique Shutterstock

 



Comment accompagner et soulager correctement les personnes en fin de vie ? Shutterstock
     

 

La loi visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs a eu 20 ans le 9 juin 2019 . Important à bien des égards, ce texte fondateur a marqué la première étape d’une évolution de notre législation sur la fin de vie.

Pourtant, malgré son ambition, il n’a pas permis de résoudre les problèmes liés au « mal mourir », qui continuent à être dénoncés aujourd’hui. Au point que les tenants du suicide médicalement assisté ou de l’euthanasie y puisent même leurs justifications.

Retour sur une loi importante, mais qui est peut-être intervenue trop tôt, dans un contexte social alors encore trop peu réceptif aux enjeux de la médicalisation des situations de fin de vie.

 

Les soins palliatifs, une introduction récente

En 1986, le rapport « Soigner et accompagner jusqu’au bout » marquait la première étape d’une politisation des enjeux humains et sociaux de la fin de vie. L’assistance médicalisée en fin de vie y était présentée en termes d’accompagnement des patients. Le 26 août de la même année, une circulaire instituera les liens palliatifs en tant que soins visant à « répondre aux besoins spécifiques des personnes parvenues au terme de leur existence. »

13 ans plus tard, la loi du 9 juin 1999 « visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs » affirmait déjà ce qui est aujourd’hui revendiqué en termes de « droit universel à l’accès aux soins palliatifs » :

 

 

« Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. » (Art. 1er)

 

Le texte allait jusqu’à proposer, et même décrire, une pratique médicale inédite, celle des soins palliatifs :

 

« Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »

 

Ce type de description est inhabituel pour un texte de loi. Un tel souci du détail témoigne de l’importance que lui ont accordée les parlementaires.

 

Un texte en avance sur son temps

Le concept de démocratie sanitaire est un héritage direct des années sida, durant lesquelles des personnes malades ont politisé des enjeux de santé publique, dans le cadre d’actions militantes, afin de faire entendre la voix des patients. Ces actions ont abouti à la reconnaissance de l’autonomie de la personne malade, et au respect de sa volonté informée (même celle-ci consiste à refuser un acte médical).

Tenant compte de cette conquête majeure, la loi de 1999 précise que « la personne malade peut s’opposer à toute investigation ou thérapeutique. »

Le texte traduit la préoccupation des auteurs d’éloigner le risque d’« obstination déraisonnable », tout en soutenant l’accompagnement des patients, considérés comme des personnes auxquelles est reconnu le droit de vivre leur vie jusqu’à son terme, dans la dignité et l’apaisement. Et ce, trois ans avant que ne soit votée la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

 

De bonnes intentions mais un constat mitigé

La définition du concept de soins palliatifs visait à apporter à la technicité médicale le surplus nécessaire de réflexions et d’engagements requis dans ces situations humainement difficiles. Mais le constat tiré de leur implantation depuis les années 1980 s’avère mitigé. Comment l’expliquer 

Les pouvoirs publics n’ont peut-être pas d’emblée consacré les moyens nécessaires à l’implantation des soins palliatifs dans le système hospitalier français, et au domicile. Pourtant, depuis 1999, pas moins de 4 plans nationaux ont visé au développement des soins palliatifs. À ce jour, un 5e plan est sollicité, tant les attentes ne sont pas satisfaites pour parvenir à un « accès universel aux soins palliatifs ».

En 2017, le dispositif des soins palliatifs était composé de 6592 lits dédiés, 157 unités, 430 équipes mobiles de soins palliatifs, 107 réseaux. Une offre insuffisante, comme le souligne le Conseil d’État dans son étude de juin 2018, appuyant sur « la nécessité de garantir l’accès aux soins palliatifs en réaction au constat ?aujourd’hui unanime? de leur développement insuffisant, circonscrit à la seule fin de vie, et inégalement réparti sur le territoire. »

 

Fallait-il faire de la médecine palliative une spécialité universitaire ?

Après 1999, la compétence d’accompagnement était censée diffuser dans l’ensemble des pratiques soignantes, afin de permettre une qualité et un confort de vie en amont de la phase terminale d’une maladie. Or, depuis, une spécialité universitaire médicale, la médecine « palliative », a été créée. Elle revendique aujourd’hui une expertise dont elle s’affirme détentrice. Mais il n’est pas certain que les fondateurs du mouvement français des soins palliatifs, dans les années 1980, ambitionnaient de créer une telle spécialité.

Sa reconnaissance suffira-t-elle à lui conférer une légitimité et une autorité aujourd’hui discutées, même au-delà de nos frontières ? Par ailleurs, en France, la société savante d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) ne contribue pas suffisamment au débat sociétal. En ce qui concerne l’euthanasie par exemple, son discours est trop souvent professionnel et défensif.

Si on la compare aux positions plus culturelles et politiques prises par l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD, on constate que l’argumentation de la SFAP s’avère pauvre en ce qui concerne la contribution au débat public. Ainsi, dès 1979, le fondateur de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) considérait que

 

 

« le droit de mourir dignement […] de droit devient un impératif évident, dès lors que la vie peut être prolongée jusqu’au dernier délabrement – et même au-delà ».

 

Pendant ce temps, soignants et membres d’associations militantes s’efforcent de mettre en œuvre des solutions sur le terrain, pour faire face aux réalités contemporaines, qui ont changé en deux décennies.

 

Un contexte médical et sociétal qui a évolué depuis 1999

Nos sociétés doivent aujourd’hui relever le défi de la transition démographique. Le passage de taux de natalité et de mortalité élevés à des taux de natalité et de mortalité faibles les force à se confronter de manière inédite à la chronicité de maladies hier incurables, à la longévité, au vieillissement, pour ne pas dire au « long vieillir » et au « long mourir ».

Dans le cadre du suivi médicalisé de la fin de vie, parfois sur une longue durée, les soignants sont sollicités pour assumer une fonction sociale qui naguère se vivait en société, et n’était pas à ce point professionnalisée. Aux spiritualités de la mort se sont substituées les législations du mourir. Il nous faut comprendre et intégrer cette mutation qui ne se limite pas, aujourd’hui à l’alternative entre soins palliatifs ou euthanasie.

 

De ce point de vue, les soins palliatifs ne semblent pas encore proposer des lignes d’action lisibles, à la hauteur des défis. Ce n’est pas tant la mort de la personne qui doit mobiliser l’attention, que les conditions d’exercice d’une présence digne, compétente et responsable dans la continuité d’un parcours de vie, parfois de longue durée, avant que ne s’impose la phase terminale de l’existence.

 

 

Aboutir le processus législatif pour lever les ambiguïtés

 

Depuis 1999, la France a expérimenté l’invention d’une législation de la fin de vie, là où précédemment la déontologie médicale imposait ses règles, voire sa morale.

Au cours des deux dernières décennies, les positions ont été affinées au fil des évolutions du débat de société, avivé par l’émotion et les passions suscitées par certains faits divers dont les circonstances ont été rendues publiques (destin de M. Vincent Humbert – dont a découlé en 2005 la loi Leonetti reconnaissant le « droit des malades en fin de vie », ou de M. Vincent Lambert, pour ne citer qu’eux.

Les évolutions imposées par la prise de conscience des conséquences paradoxales des conquêtes médicales sur les territoires de la vie, voire du mourir, ont été intégrées dans la loi.

Mais ce n’est pas encore suffisant, comme l’ont montré les controverses judiciaires découlant des décisions contradictoires relatives à la fin de vie de M. Vincent Lambert. Celles-ci ont en effet fait apparaître « un mélange des genres » qui nécessite des clarifications.

 

À lire aussi :  Vincent Lambert : quels enjeux juridiques et éthiques ?

 

 

 

Vers une dépénalisation du suicide médicalement assisté ?

Nous voilà donc à la croisée des chemins. Les réponses des Français interrogés sur la question du suicide médicalement assisté et de l’euthanasie dénotent une volonté que le législateur tienne compte de ces circonstances difficiles, dont l’existence révèle l’inaboutissement du processus législatif, et lève enfin les ambiguïtés.

Avec l’accès à la sédation profonde et continue jusqu’au décès institué dans la loi du 2 février 2016 « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie », qui peut être assimilée à une « euthanasie lente », les derniers interdits semblent avoir été partiellement levés. De telle sorte que semble s’imposer désormais une loi dépénalisant en France le suicide médicalement assisté ou l’euthanasie, ce qu’il convient de dénommer par euphémisme « l’assistance médicalisée active à mourir ».

 

Le défi sera désormais d’en définir les règles, et donc les limites, tout en étant capable de préserver les valeurs de sollicitude et de solidarités qui fondent nos devoirs d’humanité auprès de la personne qui meure.

Les soins palliatifs seront-ils en mesure d’assumer cette mutation ? Ceux qui les défendent sauront-ils se montrer inventifs d’une approche du vivre et du mourir en société ? Seront-ils capables d’un accompagnement distinct des protocoles sédatifs qui ont généré depuis 2016 tant de confusions et de discrédits ?

En définitive, il ne s’agit pas tant de légiférer sur l’euthanasie que de penser ensemble l’environnement humain et social favorable à une fin de vie digne, respectueuse des préférences et des droits de chacun, attentive à éviter les discriminations et donc inspirée des valeurs de notre démocratie.

 

Le temps est venu d’un acte politique pour conclure près de 40 années de discussions, parfois de polémiques, mais plus encore d’avancées, d’approfondissements et d’évolutions. Ces quatre décennies de maturation sociale ont mené à la possibilité d’affronter avec dignité, courage et discernement les conditions du mourir en société.The Conversation

 

 

Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

 

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