Avec une moyenne d’âge de 85 ans pour les femmes et de 78,9 ans pour les hommes, le nombre de plus de 60 ans vivant en France devrait passer de quinze millions aujourd’hui à quelque vingt millions en 2030. Une véritable vague de seniors, synonyme de nouveaux besoins et donc d’opportunités économiques dès lors que les attentes auront été identifiées.
Selon le sociologue Serge Guérin, « vieillir débouche en effet sur une multiplicité de situations » qui peuvent se résumer en quatre types principaux : les seniors traditionnels (SETRA), qui ont un peu de mal à comprendre ce qui se passe ; les seniors qui sont fragilisés (SEFRA) soit économiquement, soit physiquement, soit mentalement, soit cognitivement ; les boomers bohèmes (BOOBER) qui ne se sentent en rien âgés et enfin les boomers fragilisés (BOOFRA) qui ont des attentes bien plus importantes que les générations précédentes en terme de service.
D’autant que « 92 % des plus de 60 ans, sont en bonne santé et donc non dépendants », explique le Professeur Françoise Forette, médecin gériatre et interniste, présidente de la Commission de surveillance de l’hôpital Broca, (APHP) ; La raison ? « Les progrès médicaux ont fortement contribué à faire reculer l’âge de la dépendance », ajoute le membre du Comité scientifique de l'association France Alzheimer.
La notion même de senior varie donc selon la culture et le mode de vie plutôt qu’en fonction de l’âge. Pas question pour autant pour l’auteur de « La guerre des générations aura-t-elle lieu ? » d’opposer ces catégories. Quelles que soient leurs différences, tous ces types de seniors reflètent avant tout une façon d’appréhender la vie et ne sauraient être cantonnés à une approche strictement générationnelle.
Un point de vue partagé par le président de Familles rurales. Dominique Marmier, considère ainsi que la solidarité intergénérationnelle perdure quand bien même la crise agricole, à l’origine de la désertification rurale, et l’éloignement géographique lié aux carrières professionnelles pourraient parfois laisser penser qu’elle est plus compliquée à mettre en œuvre. Pour preuve : quelque 8,5 millions d’aidants bénévoles contribuent à faire fonctionner le système social qui, « sans eux, nécessiterait 164 milliards d’euros supplémentaires », précise encore Serge Guérin.
Tout en rappelant les améliorations successivement mises en place par les différents gouvernements, Françoise Forette déplore le poids écrasant du reste à charge pour les familles concernées par la prise en charge des personnes âgées. D’où sa préconisation d’instaurer une assurance dépendance publique obligatoire qui pourrait être gérée par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Une solution qui pourrait donner une bouffée d’oxygène à des collectivités locales souvent au bord de l’asphyxie. Car aujourd’hui, « la dépendance est financée par l’allocation personnalisée pour l’autonomie (APA) qui est principalement accordée par les Conseils départementaux », précise Frédéric Bierry. Souhaitant sortir enfin du fonctionnement en silo, toujours en vigueur dans la sphère du médico-social et du social, le président du Conseil départemental du Bas-Rhin prône ainsi une meilleure articulation entre conseils départementaux, conférences régionales de santé et de l’autonomie (CRSA) et agences régionales de santé (ARS).
Une approche qui, selon le président de la Commission solidarité et affaires sociales de l’Association des départements de France (ADF) et auteur d’un rapport sur l’évolution des politiques sociales, permettrait de « développer le soutien à domicile afin d’instaurer un écosystème à même d’améliorer la prise en charge en amont ». L’intérêt ? « Limiter les risques et les coûts sanitaires. » Dans cette perspective, « la place du pharmacien apparait naturellement centrale car ce sont des acteurs de proximité qui contribuent à générer du lien social et à développer des actions de prévention dans le cadre d’un suivi de santé », précise encore Serge Guérin.
Et à l’heure où la notion de care tend à supplanter celle du cure, il est fondamental d’accompagner les personnes (âgées) et de construire avec elles des projets de santé afin qu’elles soient auteures le plus longtemps possible de leur vie. D’où le souhait du président de l’association Familles rurales de voir les pharmaciens développer une offre de services pour améliorer la prise en charge des patients âgés. Une offre de service qui nécessitera une totale transparence et une réelle information diffusée auprès des patients, des personnes âgées et des aidants « en attente de conseils et de lien social ».
Cette évolution semble d’autant plus intéressante qu’elle pourrait constituer un véritable relais de croissance pour des officinaux aujourd’hui mis à mal par la pression exercée sur le médicament par les gouvernements successifs pour tenter de résorber les déficits sociaux. Un défi relevé par Agnès Tarodo, pharmacien d’officine, adhérente au groupement Giphar, installée en milieu rural, dans le sud du Tarn, et qui s’est spécialisés dans la prise en charge des personnes âgées.
Une orientation logique, puisque 60 % de sa clientèle est âgée de plus de 60 ans. Les personnes âgées qui sont par ailleurs confrontées au problème de la désertification médicale, constituent donc un véritable enjeu économique et nécessite la mise en place de services dédiés telles que l’instauration de consultations pharmaceutiques, la préparation de doses administrées (PDA), la livraison à domicile, ou encore le développement de marchés spécifiques comme le MAD-HAD, la nutrition… Sans oublier le rôle de vigie qui permet de repérer très tôt un problème comme l’émergence d’une maladie neurodégénérative.
« De telles initiatives pourraient être encouragées et promues par l’Association Familles Rurales », explique son président, Dominique Marmier, qui entend fédérer l’ensemble des acteurs pour faciliter la prise en charge des patients âgés et développer la prévention, à l’instar des ateliers mémoires mis en place avec la CAF et la mutualité sociale agricole (MSA) ou encore de l’accord conclu avec la Fédération nationale de l’éducation physique et de la gymnastique volontaire. Des exemples qui présentent en outre l’avantage de développer le lien social et donc de rompre l’isolement.
Autant de raisons qui incitent les pouvoir publics, à travers la voix du président de la Commission solidarité et affaires sociales de l’ADF, à s’inscrire dans ce mouvement et à envisager de financer de telles initiatives en rémunérant les acteurs. Sur quelles bases? « Tout restera à inventer une fois que les besoins auront été identifiés et que tous les acteurs publics et privés auront été réunis », explique Frédéric Bierry qui insiste par ailleurs sur « la nécessité de raisonner en bassins de vie et d’inclure l’ARS dans la boucle ».
Cette démarche a d’ailleurs permis de mettre en place un accueil de jour itinérant dans le département du Bas-Rhin et pourrait se concrétiser par d’autres actions avec les pharmaciens que l’auteur du rapport sur l’évolution des politiques sociales considère comme « l’une des clés d’un accompagnement global des personnes âgées et donc du bien vieillir ». A charge dès lors à l’ensemble des acteurs de la « filière silver éco » de se structurer localement.