Dans un système de santé en France qui se veut inclusif, attentif aux besoins des plus vulnérables, il est inconcevable que les personnes en situation de handicap ou âgées, déjà confrontées à des défis quotidiens majeurs soient en plus confrontées à des obstacles administratifs absurdes et inhumains.
Pourtant, c’est ce que vivent beaucoup de personnes lourdement handicapées ou âgées qui tentent d’accéder à certains examens ou soins médicaux. Entre discours bienveillant sur l’accessibilité des soins et réalités de terrain, une dichotomie inquiétante persiste.
Toute dépendance physique est une situation qui, par nature, exige flexibilité, écoute et réactivité des services de santé publics et privés. Mais, la réalité est bien différente. La vie au quotidien des personnes dépendantes est une accumulation d’humiliations, en raison de nombreuses difficultés administratives et logistiques : devoir justifier sans cesse leur situation, se heurter aux refus de services qui devraient être accessibles à distance, ou encore devoir mobiliser des proches ou des salariés parce qu’il est imposé de récupérer en personne les résultats d’un examen médical.
Récupérer un résultat médical s’avère être une épreuve kafkaïenne. Cela impose de réserver un transport adapté pour se rendre en établissements de soins publics et privés ce qui relève la plupart du temps d’un véritable parcours du combattant : cela exige d’anticiper la réservation plusieurs jours à l’avance, sans garantie que le véhicule sera disponible à l’heure prévue.
Ce stress logistique s’ajoute à la complexité de la situation du patient, obligé de mobiliser des ressources physiques, financières, et humaines pour une procédure a priori très simple. Comble de cette absurdité : ces déplacements médicalisés sont parfois imposés pour des démarches d’à peine trois minutes, comme le simple retrait d’un compte rendu ou d’un CD-ROM d’examen.
De plus, au sein des établissements hospitaliers, souvent vastes et mal adaptés aux personnes à mobilité réduite, naviguer à travers le dédale des couloirs devient une épreuve en soi. Pour une personne lourdement dépendante, devoir venir elle-même récupérer des examens ou effectuer des démarches que le numérique pourrait régler, équivaut à l’échec du système de santé à remplir sa mission fondamentale : soigner, dans les meilleures conditions possibles.
Ces situations sont d’autant plus douloureuses qu’elles révèlent des manquements et lacunes
du système, un manque de considération et un décalage entre les discours de bienveillance et
les pratiques effectives des institutions de santé.
Dans les faits, les consultations et services, y compris ceux dédiés au handicap ou au grand-âge, présentent trop de barrières administratives rendant en réalité l’accès aux soins difficile voire impossible. En théorie, accessibilité et prise en charge adaptée sont mises en avant : personnalisation des soins, accompagnements spécifiques et parcours de santé adaptés.
En pratique, ces promesses se révèlent souvent être des vœux pieux. Cela résulte de “parapluies administratifs”, où règles et procédures prennent le pas sur le bon sens et l’humanité : des normes, des sécurités, des protocoles qui, sous prétexte de protéger les personnes, en réalité compliquent la vie de celles et ceux qu’il est censé aider.
Aujourd’hui, la médecine physique et de réadaptation rencontre un manque cruel de praticiens et de nouveaux internes, ce qui met en grande difficulté la poursuite et la coordination de soins chez des patients adultes lourdement dépendants. Pour autant, le système bénéficie (mais pour combien de temps encore ?) d’un nombre important de médecins et soignants, dont l’engagement quotidien mérite d’être salué. Nous avons en France des professionnels de santé et au secrétariat, de dévouement et compétence remarquables, prêts à se surpasser chaque jour pour offrir des soins de qualité.
Leur investissement va bien au-delà de la simple pratique médicale et sociale, apportant une dimension humaine inestimable, faite d’écoute, soutien, et accompagnement. Toutefois, ces professionnels sont souvent eux-mêmes englués dans ce système administratif, empêtrés dans les lourdeurs de procédures à appliquer malgré leur désir de soigner avec plus de souplesse. Leur frustration face à ces contraintes souligne l’écart entre réalité humaniste de notre système de santé et sa rigueur bureaucratique. L’épuisement capacitaire les guette et pour eux aussi, il y a urgence à agir.
Une des manières de pallier ces états de fait serait d’inviter plus largement les professionnels de santé et du médico-social, des échelons de secrétariat administratif jusqu’aux médecins, à réaliser, dans le cadre de leur formation continue obligatoire, une formation dédiée à l’accompagnement au long cours des patients lourdement dépendants. Sachant évidemment que cette formation ne devra pas être élaborée, ni prodiguée, sans le concours des personnes concernées.
Dans la même lignée, il s’impose aussi d’associer les personnes concernées aux réflexions autour des parcours et des procédures administratives pour que les réponses apportées prennent en compte les vrais besoins.
La vraie question est donc celle de la place du patient dans le système de santé. Tant que les besoins des personnes dépendantes seront traités comme des contraintes supplémentaires, le système restera inadapté et inégal. Il convient donc de mettre en place des politiques de santé qui ne se contentent pas de répondre à des normes administratives, mais qui placent réellement les patients et personnes accompagnées au centre de la démarche.
Cela impose de changer de regard, de ne plus les voir comme des problèmes mais comme ceux susceptibles d’être porteurs de solutions qui fonctionnent. Il est temps de les considérer comme des collaborateurs et acteurs à part entière du système de santé.
Les améliorations du système sont attendues par les personnes handicapées ou âgées, mais pas seulement par elles. Or, une chose est certaine : lorsque l’on trouve des solutions pour les plus vulnérables, les solutions identifiées bénéficient à l’ensemble de la population.
La rigidité administrative devient un fardeau d’autant plus insoutenable que les technologies actuelles la contourneraient facilement. Si le système bancaire et de nombreux services publics ont évolué pour s’adapter aux réalités de la vie contemporaine, le secteur de la santé ne peut rester à la traîne. Dans un monde où la signature d’un contrat de prêt sur 30 ans peut se faire d’un clic, il est impensable que l’accès aux soins soit encore entravé par des procédures dépassées.
Le secteur de la santé doit embrasser toute possibilité qu’offrent les technologies actuelles pour alléger les procédures et permettre à chacun de bénéficier d’un accès simple, fluide et digne aux soins. Peut-on envisager que l’ensemble des services publics et privés de santé contribuent à « MonEspaceSanté », service public de santé, afin de pouvoir y accéder depuis son domicile, au lieu que l’accès aux soins reste embourbé dans des pratiques d’un autre temps ?