Par Eric Galam - Professeur en médecine générale, Université Paris Diderot – USPC

Ehpad, hôpital : prendre soin de ceux qui nous soignent… et puis quoi encore ?

- Année 2018 - The Conversation.fr N° 01 - Page 0 - crédits iconographique Shutterstock


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Les professionnels de santé sont particulièrement exposés au burn-out. Mais les patients préfèrent souvent les voir comme des super héros.shutterstock
     

 

Les soignants sont là pour soigner ; qu’ils ne viennent pas nous ennuyer avec leurs problèmes personnels… encore moins lorsqu’on a besoin d’eux ! C’est ce que pensent la plupart des patients. Les professionnels de la santé sont pourtant plus exposés au burn-out que d’autres, mais leurs appels à l’aide sont peu entendus.

On l'a mesuré à la sidération provoquée par le geste fatal d’un médecin à l’Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP) en 2015, ou celui de cette infirmière qui s’est suicidée en 2017 dans son bureau d’un autre hôpital parisien. Cette fois, c'est l'épuisement des aides-soignants qui s'invite dans l'actualité, à travers une grève d'ampleur inédite dans les établissements pour personnes âgées, les Ehpad, le 30 janvier, dans toute la France.

Si la société est peu disposée à ouvrir les yeux sur les fragilités des soignants, il faut reconnaître que les torts sont largement partagés. Car les soignants, en réalité, se plaignent rarement, que ce soit en maison de retraite ou à l'hôpital. Les témoignages rassemblés par un médecin, Valérie Auslender, dans son livre Omerta à l’hôpital (Michalon), font figure d’exceptions. Une centaine d’élèves infirmiers, aides-soignants ou internes en médecine y révèlent en effet les maltraitances infligées par leur hiérarchie. Signe d’un changement des mentalités dans la nouvelle génération ?

 

Le silence des médecins

Plus encore que les autres soignants, les médecins respectent un devoir de réserve digne des militaires, alors que rien ne les y oblige, eux, dans leur statut. De fait, on leur interdit d’avoir besoin d’aide et encore plus, d’en demander. Ce silence est imposé par des normes culturelles implicites, très contraignantes, qui « formatent » les praticiens. Il participe de l’acculturation qui transforme un individu lambda en médecin, comme je le montre dans une étude de 2015 consacrée aux non-dits de la formation des médecins.

Ces normes sont constituées par un ensemble de comportements évidents aux yeux des étudiants et des enseignants mais non explicités, décrit dans la littérature scientifique comme un « cursus caché » (en anglais, hidden curriculum).

Venant compléter la formation officielle universitaire et clinique, ces commandements peignent les contours du « bon » médecin. Le « bon » médecin ne se trompe pas, il n’hésite pas, il ne se dispute pas avec ses collègues ni avec ses patients et il ne se fatigue pas, même s’il travaille 30 heures d’affilée sans dormir. Surtout, il n’est pas sujet aux émotions malgré sa proximité avec les souffrances des patients et les soins qu’il est amené à leur prodiguer. Autant de règles non écrites qui l’empêchent de reconnaître les signes d’un épuisement professionnel.

 

Les premiers cas décrits de burn-out

Les métiers du soin sont pourtant les premiers dans lesquels les cas de burn-out ont été décrits par les chercheurs, dès 1974. On tend à l’oublier, dans une époque où chacun se considère menacé par ce syndrome, quelle que soit sa profession. Le burn-out est en effet devenu un sujet de conversation, de réflexion et de revendication.

Les travaux se multiplient pour en améliorer la compréhension, la définition et la prise en charge. L’Assemblée nationale a ainsi créé une mission d’information sur le burn-out, qui a rendu son rapport le 15 février 2017.

Avant de revenir sur le problème spécifique des soignants, il convient de comprendre comment le diagnostic de burn-out est posé. Cet état est apprécié, le plus souvent, par une grille d’évaluation aussi controversée que largement utilisée, le Maslach Burnout Inventory (MBI). L’outil comporte trois dimensions qu’on peut retrouver associées chez un même individu, avec pour chacune des taux forts, moyens ou bas : l’épuisement émotionnel ; une dépersonnalisation ou la déshumanisation faisant percevoir les personnes pour et avec qui on est censé travailler comme des objets, voire des problèmes ; une baisse de l’accomplissement personnel dans l’exercice de sa profession.

 

Les généralistes plus touchés que les autres

Il existe donc trois niveaux pour chacun des trois critères, d’où de multiples combinaisons possibles, produisant des tableaux assez différents. La parfaite santé est représentée par un taux faible dans les trois registres. Et la pathologie avérée, par un taux fort dans les trois. Entre ces deux extrêmes, les scientifiques qui étudient le phénomène peuvent placer le curseur à des niveaux variables.

Ces différences de paramétrage sont probablement en cause dans la grande variabilité des chiffres de burn-out énoncés. Si le chercheur se fixe comme critère un taux élevé pour seulement un critère sur les trois possibles, les résultats atteignent parfois des proportions de burn-out supérieures à 50 % de la population étudiée. S’il exige des taux élevés pour les 3 critères, on trouve encore des chiffres importants mais sans doute plus réalistes, inférieurs à 10 %.

 

Quel que soit l’instrument de mesure, les soignants se montrent particulièrement touchés. Déjà en 2007, dans l’étude que j’ai menée auprès de 10 000 médecins libéraux d’île-de-France (parmi les 24 000 recensés par l’Union régionale des médecins libéraux), 53 % d’entre eux se déclaraient menacés par le burn-out. Le chiffre montait à 60,8 % pour les généralistes.

L’enquête nationale réalisée auprès de médecins et de pharmaciens hospitaliers par des chercheurs de l’hôpital parisien de l’Hôtel-Dieu, l’étude SESMAT, publiée en 2011, a montré une proportion de burn-out de 42,4 %.

 


                      
Médecins, infirmiers, aide-soignants, toutes les professions du soin sont menacées par l'épuisement. Shutterstock
          

7 % de burn-out chez les internes

Une étude nationale, menée en 2010 auprès de tous les étudiants internes en médecine générale, a suscité une forte participation (les deux tiers), permettant d’analyser 4 050 réponses sur un total de 6 349 internes. Les résultats ont montré un fort épuisement émotionnel chez 16 % d’entre eux ; une forte dépersonnalisation chez 33,8 % ; un faible accomplissement personnel chez 38,9 %. Les scores sur ces trois critères atteignaient le niveau fort chez 7 % de ces internes.

Rappelons que les médecins ont un risque de suicide 2,3 fois plus élevé que les autres professions, selon l’étude réalisée par le Dr Yves Léopold, publiée en 2008 dans la revue de formation médicale Le Concours médical.

Enfin une étude réalisée dans 12 pays européens et publiée en 2008 par une équipe britannique, l’étude EGPRN, a montré que l’intensité du burn-out chez les médecins généralistes n’est pas une particularité française. Chez les praticiens interrogés, 43 % déclarent un fort épuisement émotionnel, 35 % une forte dépersonnalisation et 32 % une forte baisse de l’accomplissement personnel. Au total, 12 % déclarent un score fort dans les trois dimensions. Surtout, on observe des variations selon les pays, suggérant que le contexte national joue sur la santé mentale des médecins. Et qu’en améliorant l’un, on peut améliorer l’autre.

 

Le bien-être des soignants, condition de la qualité des soins

Au-delà du risque pour les soignants eux-mêmes, le burn-out met en péril la qualité de leur travail et la sécurité des patients. Comme l’indique le sociologue canadien Jean Wallace dans une revue de la littérature scientifique, le bien-être des médecins est aussi une condition à la qualité des soins, malheureusement rarement retenu parmi les indicateurs surveillés par les autorités sanitaires.

Du burn-out des soignants peuvent découler des erreurs médicales, comme je le montre dans l’ouvrage L’erreur médicale, le burn-out et le soignant (Springer). La prévention des accidents médicaux passe, aussi, par la prévention de l’épuisement professionnel, à l’hôpital comme dans les cabinets de ville.

Il est trop tôt, encore, pour juger des résultats des initiatives prises par le précédent gouvernement à ce sujet. Dans les suites du suicide du médecin à l’HEGP, l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) s’était en effet vue confier une mission sur les « risques psychosociaux des personnels médicaux », qui a débouché en 2016 sur un volumineux rapport.

 

Un plan pour la qualité de vie au travail

Dans la foulée, le 5 décembre 2016, la ministre de la Santé d'alors, Marisol Touraine, avait exposé sa Stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des soignants. Avec un sous-titre éloquent, « prendre soin de ceux qui nous soignent ». Après avoir exposé son plan pour l’hôpital, elle avait détaillé le 21 mars 2017 les mesures prévues pour les professionnels de ville.

Mais le burn-out reste trop souvent réduit, actuellement, à la seule notion d’épuisement physique. On le voit avant tout comme une immense fatigue face à la surcharge de travail, en oubliant ses dimensions émotionnelle et relationnelle. Ces dernières sont pourtant celles qui donnent valeur et sens à l’activité professionnelle, en particulier chez les soignants. Car l’exercice de la médecine clinique ne se conçoit pas sans humanité, sans désir d’aider le patient, donc sans une implication émotionnelle plus ou moins facile à doser.

The ConversationEn niant cet aspect du problème, l'aide-soignant, l'infirmier ou le médecin épuisé risque de se mettre à considérer ses patients comme des objets et d’altérer, du même coup, son accomplissement personnel. Il met ainsi en péril ce qui constitue l’essence même de son métier. « être un docteur et rester une personne », pour reprendre l’intitulé d'un colloque organisé en 2017 à Paris par l’Association européenne pour la santé des médecins (European Association for Physician Health, EAPH), n’est pas une option ; c’est une nécessité. « Prendre soin de ceux qui nous soignent » en est une autre, si les patients souhaitent être bien suivis et ainsi, se respecter eux-mêmes.

 

Eric Galam, Professeur en médecine générale, Université Paris Diderot – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation. Mars 2017/Janvier 2018

 

 

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